L’économie sociale et solidaire au Maghreb : quelles réalités pour quel avenir ?

Mercredi 20 Novembre 2013
Face aux bouleversements que connaît la région méditerranéenne, à la crise économique et à la nécessité de faire aboutir les phases de transition socio-économique, l’économie sociale et solidaire (ESS) apparaît comme une solution, une troisième voie entre le secteur privé et le secteur public. Eu égard au potentiel que représente ce secteur en termes d’emploi et de création de valeur ajoutée, IPEMED y consacre une de ces études intitulée « L’Economie sociale et solidaire au Maghreb : quelles réalités pour quel avenir ? », composée de trois monographies détaillant les caractères de l’ESS au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Le 15 novembre dernier était organisé, à la Closerie des Lilas, un petit-déjeuner dédié à l’ESS, qui a donné l’occasion à Gérard Andreck, président de la MACIF, et Roderick Egal, président d’IESMed, d’échanger autour des enjeux de la reconnaissance et de la structuration de ce secteur.

Radhi Meddeb, président d’IPEMED, a introduit le débat en témoignant de l’intérêt d’IPEMED pour le secteur de l’ESS : les révolutions qui ont bouleversé la rive sud de la Méditerranée ont montré que la croissance économique n’était, en soi, pas suffisante. Les révolutions sont nées de l’exigence d’une croissance inclusive, qui saurait associer les populations à l’identification de leurs besoins. Dans un contexte où les Etats sont désargentés et les secteurs public et privé inaptes à répondre à des besoins dont la satisfaction n’est pas « rentable », l’ESS semble s’imposer comme une des solutions viables à la crise.

Gérard Andreck, président de la Macif, a mis en exergue le potentiel  du secteur de l’ESS en France. En effet, l’ESS représente 10% de l’activité économique et 10% des emplois, et crée plus d’emplois nets que le reste des secteurs de l’économie. La création d’un poste dédié à l’ESS au sein du ministère de l’économie et des finances et les travaux initiés autour d’une loi-cadre la régissant attestent de la reconnaissance du secteur par les pouvoirs publics. Au niveau européen, c’est le même constat : l’ESS est un secteur qui compte.

A cet égard, le décalage avec le sud de la Méditerranée est donc flagrant : dans les pays du Maghreb, l’ESS ne représente qu’un pour cent des emplois et de l’activité. Seul le Maroc présente une véritable avance en la matière ; pour la Tunisie et l’Algérie, c’est le manque de structure, l’absence de cadre réglementaire et de soutien des pouvoirs publics qui brident le secteur. Gérard Andreck a tenu à distinguer, dans ces pays, l’économie sociale dite réparatrice, qui intervient là ou les Etats n’ont plus la capacité ou la volonté d’intervenir, et l’économie sociale « de marché » proposant un mode de développement alternatif, un autre rapport au client.

C’est ce constat de décalage entre les deux rives de la Méditerranée qui a incité la MACIF et le Crédit coopératif à mettre en œuvre les rencontres MedESS afin de connaître les aspirations et les besoins suscités et révélés par les révolutions. Roderick Egal, organisateur de MedESS, a présenté cette initiative organisée en Tunisie en mai dernier comme la rencontre d’un sujet, l’ESS, d’un moment, celui d’attentes particulières révélées par les révolutions, et d’un lieu, Tunis, symbole de cette volonté de changement. Le « printemps de l’engagement solidaire » a exposé des initiatives entrepreneuriales concrètes et exemplaires mises en œuvre par des acteurs qui créent de la valeur économique et sociale dans ce secteur d’avenir. A moyen terme, les trois priorités pour l’ESS sont la formation au management de l’ESS avec l’ambitieux projet campus MedESS ; l’accompagnement à la création et la consolidation de l’activité ; et l’innovation financière, dans la mesure où l’un des principaux défis qui se posent aux initiatives du secteur est l’accès aux capitaux, aux moyens de financement du fait de leur statut particulier.

Il y a une urgence à se tourner vers la Méditerranée en matière d’ESS. Les acquis français et européens dans ce secteur peuvent servir de socle pour développer les contacts et encourager le développement de l’ESS dans les pays du pourtour méditerranéen, et à plus long terme, sur le continent africain. Gérard Andreck a beaucoup insisté sur l’étroit partenariat qui lie la Macif à de nombreuses sociétés marocaines dans le secteur de l’assurance notamment, et qui lui permet d’observer les besoins de la rive sud en matière d’ESS. En outre, il faut encourager le décloisonnement entre les trois pays du Maghreb dans le domaine de l’ESS afin de permettre les transferts de compétences et d’expériences. Les diasporas ont, à cet égard, un rôle fondamental à jouer.

Quittant prochainement ses fonctions de président de la MACIF, Gérard Andreck a mentionné son souhait de poursuivre une action forte en Méditerranée, selon des modalités qui restent à définir.

Les échanges qui ont ensuite eu lieu avec la salle ont révélé un certain nombre de défis auxquels est confrontée l’ESS, en particulier dans son positionnement en tant que troisième voie entre les secteurs public et privé. Se pose tout d’abord la question de la frontière entre l’économie « dure » et l’ESS. Force est de constater que, dans nombre de cas, les initiatives relevant de l’ESS sont avalées par l’ « économie dure ». Pour le président de la Macif, la solution est à trouver dans une réflexion sur les fonds alloués à l’ESS, son accès aux financements et la « protection » du secteur via un cadre juridique non contraignant. Il s’agit également de trouver un lien, d’établir des partenariats entre le secteur privé et l’ESS  - partenariats public-privé dans les domaines de l’assurance et de la santé notamment.

La question de l’accès aux capitaux pour les initiatives relevant de l’ESS est absolument centrale : c’est la principale entrave au développement du secteur, du fait de son statut particulier et de l’absence de cadre juridique et de convergence des normes en la matière.

En conclusion, pour le président d’IPEMED, « Les dirigeants [des pays du sud de la Méditerranée] doivent intégrer que l’ESS ne relève ni du folklore, ni de la charité. C’est un vrai secteur et un gisement considérable en termes d’emplois et de croissance »




Compte rendu par Clarisse BOURY.
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