Coopération décentralisée en Méditerranée : Quels enjeux? Quel rôle pour les Régions?

Mardi 05 Mars 2013
A l’occasion de la publication d’un rapport coécrit par Jean-Louis Guigou et Michel David sur La coopération décentralisée en Méditerranée, IPEMED a organisé le 1er mars, en partenariat avec Régions Magazine, un petit-déjeuner autour de Jean-Paul Bachy, Président de la région Champagne-Ardenne, Tarik Kabbage, Président de la commune urbaine d'Agadir et Georges Morin, Maire adjoint de Gières, en charge des coopérations méditerranéennes. Il s’agissait d’évaluer le rôle des régions au sein du partenariat euro-méditerranéen, en prenant notamment appui sur des expériences de coopération décentralisée franco-maghrébines.

Réalisée à partir de 35 entretiens, l’étude publiée par IPEMED a servi de point d’ancrage à la discussion. Jean-Louis Guigou, introduisant les débats, a rappelé les caractéristiques de la coopération décentralisée en Méditerranée : des collaborations basées sur la confiance, ancrée dans la durée, fondées sur des besoins pragmatiques, permettant un apprentissage au Nord comme au Sud, et a priori apolitiques, plus ou moins coupées des relations d’Etat à Etat.

Face aux besoins, Jean-Louis Guigou souligne que les montants engagés en Méditerranée restent faibles, que les actions souffrent de dispersion faute de stratégie globale, que la correspondance entre l’offre et la demande est inadéquate et qu’enfin, les acteurs engagés manquent de professionnalisme. D’où la mise en avant d’un certain nombre de recommandations, en faveur d’une meilleure connexion entre le Sénat et les régions, d’une meilleure mise en valeur de l’AFD au Sud, qui pourrait jouer le rôle de coordinateur, et d’un recentrage des actions autour de la gouvernance et du développement local, et de thèmes porteurs comme l’Economie Sociale et Solidaire.

Fort de son expérience en tant que Président de la région Champagne-Ardenne et de la commission Affaires internationales et coopération décentralisée à l’Association des Régions de France (ARF), Jean-Paul Bachy a rappelé qu’en France, la décentralisation est en marche, et renforce le rôle central des collectivités territoriales dans le cadre de la coopération avec la Méditerranée, lien entre l’Europe et l’Afrique. A l’image du partenariat entre la région Champagne-Ardenne et la région de l’Oriental au Maroc, la coopération décentralisée en Méditerranée n’est pas le seul fait des régions du Sud de la France, les régions du Nord étant impliquées notamment par la présence d’une diaspora maghrébine dont on sous-estime le rôle et qui créé une proximité de fait entre les deux rives de la Méditerranée. Au constat dressé par l’étude d’IPEMED sur le caractère désordonné de la coopération décentralisée, Jean-Paul Bachy a souligné la mise en place d’accords-cadres entre régions, au sein de l’ARF, pour définir des priorités et un cadre de travail ; impliqués également dans la région de l’Oriental, Lille, le conseil général de Seine-Saint-Denis et la région de Champagne-Ardenne ont par exemple signé un protocole reposant sur des objectifs complémentaires et la mise en commun de leurs moyens. Dans la lignée des propos tenus par Jean-Louis Guigou, Jean-Paul Bachy a reconnu que même si la coopération décentralisée concerne plusieurs domaines (culturel, éducatif, associatif etc.), la problématique économique est devenue prédominante, au nom d’intérêts communs gagnant-gagnant. En opposition au modèle hérité du colonialisme, au modèle de l’aide à proprement parler, il a ainsi plaidé pour le développement d’un partenariat à égalité de droits et de devoirs, gagnant-gagnant, porté par les Etats mais aussi par les collectivités territoriales impliquant notamment les entreprises présentes dans les régions. La mobilisation des acteurs économiques comme facteur de succès a été soulignée à plusieurs reprises pendant les débats, en particulier par la Communauté urbaine de Dunkerque, qui a relevé l’émergence d’une convergence entre coopération décentralisée et coopération économique, la coopération économique décentralisée et par André Jaunay, Président de Développeurs sans Frontières qui a souligné l’importance des réseaux professionnels (Réseau Entreprendre, Business Angels, etc.) aux côtés des régions.

Tarik Kabbage a, lui, rappelé la condition de réussite de la coopération décentralisée : la gouvernance, sous entendue « la bonne gouvernance ». Pour le Président de la commune urbaine d’Agadir, il est difficile de sortir du vieux schéma des jumelages, où le tourisme exotique prévaut, si les acteurs engagés ne représentent pas la société civile. La gouvernance est donc un combat pour la déconcentration, la décentralisation, car les régions au Maroc n’ont pas les mêmes pouvoirs que les régions françaises. Un constat repris par George Morin lors de son intervention : le maire algérien a moins de compétences légales et financières que son homologue du Nord, qui doit alors impliquer le wali (préfet).

Néanmoins, les jumelages peuvent constituer une première étape à la coopération décentralisée pour Tarik Kabbage, qui témoigne à partir du partenariat Agadir – Nantes, de la relance de la collaboration autour de problématiques concrètes et des transferts de savoirs.  A souligner l’apport des retraités et de la diaspora, Tarik Kabbage ayant cité en exemple la création de l’Association marocaine pour des éco-villes par Mehdi Guadi, lequel est intervenu par la suite sur les deux points qui, selon lui, n’apparaissent pas suffisamment dans le rapport d’IPEMED : la question européenne, notamment le travail de l’ARLEM, et la coopération Sud-Sud, l’Union européenne pouvant contribuer à ce que des relations se nouent entre pays du Sud via la diplomatique des villes. Enfin, pour cet élu du Sud, la dispersion de la coopération européenne décentralisée en Méditerranée est un moyen de faire jouer la concurrence (travail avec la GIZ sur la gestion des déchets, coopération transfrontalière avec l’Espagne, implication des Canaries pour la réhabilitation d’anciens quartiers etc).

L’intervention de Georges Morin a été plus critique à l’égard de l’étude coécrite par Jean-Louis Guigou en insistant sur la cohérence existant entre l’action du ministère français des Affaires étrangères et l’action des collectivités territoriales, avec la reconnaissance des compétences des régions, l’ouverture d’une enveloppe financière et sur place, l’appui des ambassades à l’action des collectivités. Même constat pour le rôle de coordinateur de l’AFD au Sud. Georges Morin a également réfuté le maintien de relations condescendantes dans la définition des besoins, et le manque de professionnalisme des acteurs engagés, puisqu’il existe un véritable échange de compétences. Pour le président du groupe pays France-Algérie à Cités Unies France (CUF), la coopération décentralisée est le fruit des élus (qui en constituent le premier cercle, celui de la légitimité démocratique et financière), des fonctionnaires territoriaux, qui forment le second cercle, et enfin des populations, qui composent dans sa diversité le troisième cercle (universités, entreprises, associations etc.) Le maire et le Président de région est alors le chef d’orchestre sur son territoire pour inclure l’ensemble des partenaires. George Morin a souhaité donner trois exemples de coopération entre la France et l’Algérie qui témoignent de cet esprit de coopération, bien loin des opérations de jumelage grâce à l’implication de l’ensemble des acteurs : Bordeaux-Oran, Dunkerque-Annaba, Grenoble-Constantine où un travail a été mené au niveau de l’informatisation de l’état civil et du développement du secteur culturel.

Après ces interventions, un débat avec la salle a suivi. Parmi les principales interventions, Françoise Dal, Présidente de la commission «Citoyenneté, Relations Internationales et Coopération Décentralisée» du Conseil Régional Nord Pas de Calais est intervenue pour rappeler le contexte historique de création des jumelages, (réconciliation franco-allemande) et a souhaité attirer l’attention de l’auditoire sur la nécessité d’ouvrir la coopération décentralisée à la jeunesse, et de réfléchir à un nouveau modèle de développement à partir du concept de colocalisation.
Luc Guyau, Président du conseil de la FAO, enfin, a quant à lui plaidé pour que le développement urbain, en lien avec les milieux ruraux, soit une thématique-clé de la collaboration entre collectivités territoriales.


Compte-rendu par Kelly Robin

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