FORUM EMCC 2013 : Exposé introductif de Jean-Louis Guigou

Jeudi 05 Décembre 2013
C’est pour moi un réel plaisir et un honneur que d’introduire les séances plénières du Forum des chefs d’entreprise de la Méditerranée. Je souhaiterais que ces débats soient placés sous le signe de la prospective, démarche intellectuelle et scientifique qui :

-    Privilégie le long terme au détriment du court terme ;
-    Privilégie l’anticipation et non pas la réaction au présent immédiat ;
-    Considère que « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare » selon la belle formule de Maurice Blondel.
Levons le nez de sur le guidon. Donnons du sens et une vision à toutes nos actions. Partageons ensemble cette vision de la grande région que nous devons contruire ensemble Europe-Méditerranée-Afrique. Soyons les acteurs de cette région « Verticale ».

Ma contribution aux débats de ce jour se limitera à 3 messages principaux :

1. La situation au Sud et à l’Est de la Méditerranée est moins dramatique que les médias nous le laissent croire.


Je n’ignore pas le désordre, les images de manifestations permanentes et d’affrontements, les grèves à répétition qui engendrent des souffrances au Sud et qui, malheureusement par ricochet, génère un sentiment de désillusion et de pessimisme en Europe. Il revient aux chercheurs, aux économistes et historiens de faire le point de manière plus objective.
Car, comme l’affirmait récemment Lionel Zinsou lors d’une conférence à Berlin, « la situation au Sud n’est pas alarmante », surtout si on la compare à la « Guerre Sale » qui a noircit les années 1970-1980 en Amérique Latine et Centrale faisant 50 000 assassinés, 30 000 disparus et 400 000 personnes incarcérés avec, en Argentine, une inflation de 300% en 1981 et de 220% en 1982.

•    L’économie des PSEM ne va pas si mal, surtout en comparaison de celle des pays du Sud de l’Europe : Grèce, Italie, Espagne.
-    En 2013, la croissance sera de 3% en Tunisie, 2% en Egypte et 4,% au Maroc
                               contre 0,2% en France, -1,4% en Espagne et -4,2% en Grèce
-    Entre 2001 et 2012, l’endettement des PSEM a diminué de 70% à 50% en moyenne
                                    Pour la zone euro, il a augmenté de 70% à 93%
-    La part IDE venant d’Europe dans l’ensemble des IDE entrant dans les PSEM baisse, passant de 55% en 2009 à 26% en 2012, mais ils sont compensés par l’afflux d’IDE en provenance du Golfe, atteignant 26% en 2012, et ceux des pays émergents qui représentent 27% du total en 2012.

•    Les PSEM ont donc des économies résilientes. Cela s’explique par l’importance de :
-    L’économie informelle ;
-    La solidarité familiale ;
-    La remise des revenus des migrants (estimés à 45 milliards de dollars par an) ;

•    Au titres des bonnes nouvelles venant du Sud de la Méditerranée, il faut mentionner la récente enquête  de la Fondation Anna Lindh montre la convergence des valeurs entre les deux rives de la Méditerranée.
-    La religion y décline en intérêt (62 % en 2010 puis 49 % en 2012)
-    Rester au pays est une priorité (8 % en 2010 contre 58 % en 2012)
-    Le modèle économique de l'Europe est envié (59 % en 2010 et 67 % en 2012).

•    Enfin, au titre des bonnes nouvelles, la colère des intellectuels et journalistes des pays musulmans. (Cf Courrier International n° 1199 du 24 oct. 2013) Qui de la Tunisie, d’Istanbul, Ramallah et Londres dénoncent la chape de plomb de l’obscurantisme : violence, terrorisme, répression, fatwa délirante, régression des droits des femmes.
Les « voix des musulmans ordinaires » (belle expression de Bruno Etienne) contre l’intégrisme islamiste commence à porter ses fruits.

Ces bonnes nouvelles, et il y en a d’autres, sont malheureusement noyées par le flot des informations catastrophiques et pessimistes qui voudraient mettre en évidence la chaos arabe. On en est loin et même très loin.

2. Dans ce contexte incertain, il est important de discerner les évènements qui, « à bas bruits », sont porteurs de transformations profondes.

L’intérêt nouveau, encore timide, des européens pour la Méditerranée est bien réel :

-    David Cameron a nommé, en mai 2013, un « Monsieur Méditerranée » en la personne de Lord Risby. Alors que le Commonwealth se délite, les Anglais redécouvrent la proximité de la Méditerranée. Ainsi, près de 50% des IDE entrants en Egypte proviennent de Grande-Bretagne ;
-    Les industriels allemands, après avoir investi et co-produit dans les PECO, se tournent vers le Sud, la Tunisie en priorité avec leur CCI, BDI et fondations ;
-    L’Italie est le premier partenaire économique de la Libye ;
-    Les Espagnols ont été, en 2012, les premiers fournisseurs du Maroc ;
-    La France demeure le premier partenaire économique du Maghreb avec une concurrence accrue de la Chine notamment en Algérie ;
La « Méditerranée des affaires » se prépare à des jours meilleurs.
La Troisième Révolution Industrielle et les relocalisations qui nous reviennent d’Asie ne peuvent que renforcer le développement de la rive Sud de la Méditerranée.

•    Cette redécouverte par l’Europe de l’intérêt économique que représente son Sud méditerranéen n’est pas en soit une exception ! Ce n’est pas un phénomène isolé. L’Europe est même en retard par rapport aux autres nations du monde comme :
-    L’Amérique a redécouvert son Sud depuis vingt ans avec l’ALENA et, maintenant, le MERCOSUR. 56% de leurs exportations se font dans cette zone. Le Mexique en est le principal gagnant. Le modèle des maquiladoras, fondé sur les bas coûts évolue grandement vers une nouvelle génération d’investissements, basés sur les co-productions avec les Etats-Unis.
-    L’Asie surtout a très tôt poussé les feux de l’intégration de son Sud. Si 33% des exportations de la zone étaient destinées au commerce intra zone en 1998, le taux est actuellement de 53%, d’autant plus qu’aux dernières nouvelles, l’ASEAN +  devient ASEAN + 6 avec l’entrée de l’Inde. Marché de

•    Dans ce nouveau contexte international - de redécouverte des Sud et de montée en puissance des pays émergents au sud- la co-production se définit comme une nouvelle génération d’investissements qui satisfait deux exigences :
-    Une exigence politique pour les pays du Sud qui ne veulent plus être considérés comme des pays sous-développés avec une main d’œuvre abondante et bon marché et des matières premières à piller mais être considérés comme des partenaires fiables qui recherchent le partage de la valeur ajoutée et les transferts de technologie
-    Une exigence économique pour les pays du Nord condamnés à produire de la qualité en allant chercher des talents et des compétences là où elles se trouvent dans un rayon géographique restreint (2000 km) permettant des circuits-courts et le contrôle des qualités. EADS avec ses différentes implantations dans des sites spécialisés en Europe est le bon exemple de co-production de qualité.
Si les pays européens veulent exporter comme le fait l’Allemagne il leur faut préalablement importer de leur voisinage des fragments de production à haute valeur ajoutée car il est impossible d’avoir toutes les compétences et tous les facteurs de production adéquats en un seul lieu. Ainsi se mettent en place des filières intégrées transméditerranéennes et agrègent les meilleures compétences à l’échelle de la région.  

•    Cette méthode de la co-production a été théorisé par l’économiste japonais Akamatsu en 1935, sous la dénomination de la théorie des « oies sauvages », car il s’agit bien d’un ensemble d’acteurs (industriels, organisations, collectivités locales, organisations gouvernementales…) qui se fixent pour cible un pays du Sud, avec son accord.
Le Japon a appliqué cette théorie avec succès en créant les Dragons asiatiques puis les Tigres. Ce même modèle de co-production a été appliqué avec succès par l’Allemagne dans les PECO.

•    Des chefs d’entreprises pionniers de France et d’Europe, mais également du Maghreb et du Machrek son en train de mettre en œuvre ce modèle de co-production. Il s’agit désormais, pour ne pas les laisser isolés et lever les obstacles à cette co-production Nord-Sud et Sud-Nord, de créer un grand mouvement de chefs d’entreprise qui portera la voix des entrepreneurs méditerranéens.
Le concept de co-production a un contenu anthropologique (confiance, respect de l’autre, partage, long terme…). Définitivement, il faut en finir avec les images d’une Afrique du Nord réduite aux textiles à bas coût, à un réservoir de gaz et de pétrole et de soleil pour le seul profit des Occidentaux.

3. Le mouvement EMCC (Euro-Mediterranean Competitiveness Confederation) est là pour aider, amplifier et structurer les efforts de ces entreprises pionnières du Nord et du Sud qui tissent des liens économiques entre les rives de la Méditerranée.

La composition d’EMCC ce sont toutes les entreprises qui ont un intérêt majeur à voir se développer le bassin méditerranéen :
-    Ce sont des représentants de grands groupes qui essaiment au Sud pour, demain, aller plus loin, en Afrique subsaharienne
-    Ce sont aussi des PME/PMI qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas aller en Asie ou en Amérique et qui intègrent la proximité dans leur stratégie d’internationalisation pour produire de la qualité.

•    EMCC est un mouvement de rassemblement de toutes les entreprises qui ont pour champ d’action la Méditerranée et EMCC, en tant que mouvement transnational et fédéral, va s’atteler à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés.
En effet, les chefs d’entreprise en Méditerranée doivent précéder les politiques qui sont confrontés à d’autres difficultés. Le rôle d’EMCC n’est pas d’attendre que les politiques avancent mais, au contraire, de leur faire des propositions leur permettant de prendre des décisions opportunes.

•    La valeur ajoutée d’EMCC :
-    Etre multilatéral et transméditerranéen alors que les organisations consulaires existantes sont très souvent bilatérales ;
-    S’appuyer sur un think tank euro-méditerranéen, IPEMED ;
-    Offrir des opportunités et des mises en relation ;
-    Créer un « Observatoire des co-productions » du nord vers le Sud mais également du Sud vers le Nord et permettre d’identifier les obstacles ;  
-    Exercer une influence politique et parler d’une seule voix ou plus précisément d’une voix collégiale.

•    La gouvernance d’EMCC :
-    Elle sera mise en place, ensemble, au cours de l’année 2014 avec :
-    En priorité, la constitution de « clubs pays », notamment au Liban et en Tunisie très rapidement ;
-    Un Secrétaire général intérimaire en la personne de Jean-Marie Paintendre sera localisé à Paris dans les bureaux d’IPEMED ;
-    Une Assemblée générale du mouvement EMCC aura lieu en décembre 2014 et adoptera définitivement les statuts ;
-    Pendant cette période intérimaire (décembre 2013 – décembre 2014), le contrôle d’EMCC sera assuré par le Président du Conseil de Surveillance d’IPEMED, Monsieur Xavier Beulin, Président de Sofiprotéol.

•    L'objet du Forum EMCC du 5 décembre 2013 :
-    Illustrer la co-production :
-    Analyser les bénéfices réciproques et présenter des success stories de co-production du Nord vers le Sud et du Sud vers le Nord ;
-    Identifier les obstacles (transfert de capitaux, logistique, mobilité des personnes,…) et adresser des propositions concrètes (visas de « notoriété », …) aux décideurs politiques des pays riverains de la Méditerranée  et aux instances européennes ;
-    Présenter l’organisation du mouvement dont les statuts et la gouvernance seront adoptés en 2014, avec :
-    Au niveau central : une fédération et un Secrétaire Général dans les locaux d'IPEMED ;
-    Des clubs EMCC (par pays ou par région administrative), qui chacun élira des délégués. L'ensemble de ces délégués formera l'Assemblée générale constitutive du mouvement EMCC qui se réunira en 2014.
Il sera proposé au Conseil de Surveillance d'IPEMED, qui regroupe toutes les entreprises fondatrices, d’organiser la phase transitoire précédant la mise en place du mouvement EMCC.

Participer à EMCC est un très bel engagement citoyen et militant des entreprises intéressées par la Méditerranée. Et vous pourrez rendre cet engagement encore plus décisif en adhérant à IPEMED !

J’en profite pour adresser à l’ensemble des entreprises de France, du Liban, de Tunisie, du Maroc et d’Espagne, membres fondateurs d’IPEMED, mes plus sincères remerciements pour la confiance qu’ils nous témoignent.

Conclusion

- Un seul mot d'ordre pour les entreprises du Nord : Cap au Sud !
- Un seul mot d'ordre pour les entreprises du Sud : Cap au Nord !
Ce mouvement est irréversible car, selon la belle formule de Victor Hugo, "On arrête des armées. On n'arrête pas le mouvement des idées" et j'ajouterai le mouvement des entreprises.
Cependant, une autre citation me vient à l’esprit, celle de Robert Schuman qui, malgré les nombreuses critiques dans les années 1950, négociait avec les Allemands la création d’un marché commun : « On ne fait pas la guerre avec les pays avec lesquels on fait des affaires.» Ainsi en militant et en multipliant les co-productions, c’est militer pour la paix et la sécurité.





Jean-Louis Guigou, 5 décembre 2013. Paris.


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