Intégration économique en Méditerranée : quels blocages, quelles perspectives ?

Lundi 11 Février 2013
A l’occasion de la publication d’un recueil d’entretiens dirigés par Agnès Levallois et Jacques Ould Aoudia, Méditerranée - 30 voix pour bâtir un avenir commun, (collection Construire la Méditerranée, IPEMED, 2012) IPEMED a organisé, le 8 février 2013, en partenariat avec le magazine Jeune Afrique, un petit déjeuner consacré aux obstacles freinant une intégration économique plus poussée entre pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) et pays européens et aux solutions qui permettraient de les lever. Au fil des entretiens, c’est la notion même d’euromed  qui est remise en question, notamment par la partie dite « méditerranéenne ».

Malgré l’évidence d’une complémentarité économique entre les PSEM et l’Europe, celle-ci ne s’est pas traduite, dans les faits, par la mise en place d’un partenariat productif stratégique, susceptible de favoriser l’intégration régionale. Quels sont donc les principaux facteurs qui ont pu bloquer cette orientation ?

Pour Pierre Conesa, Chercheur associé à l’Iris, le principal blocage réside dans l’antagonisme de perception de cet espace. La Méditerranée est un espace fractionné et antagoniste, plein de contradictions. La perception même de cet espace génère, au Nord comme au Sud, instabilité et angoisse. Au Nord, on parle d’Euro-Méditerranée, mais en même temps, l’Europe, La France en particulier, parlent de bâtir une Europe de la défense.  L’Otan, les discours de guerre globale contre l’islamisme, sont des facteurs anxiogènes.

Au Sud, la situation n’est pas beaucoup plus cohérente. Les pays de la rive sud sont perclus de rivalités : l’absence de coopération Sud-Sud notamment, « l’Interland », est la source de nombreux problèmes. Mais par un « rhumatisme de la pensée », on va tenir un discours de « victimisation » qui permet d’expliquer toutes les difficultés rencontrées par des facteurs extérieurs (la colonisation, le conflit israélo/palestinien…). La corruption des élites en est une autre. Longtemps soutenue par les dirigeants au Nord, elle a engendré les poussées islamistes.

Autre facteur mis en avant par l’historien, la Méditerranée est une frontière fermée, un fossé d’effondrement sur le plan géologique et « peut-être la frontière la plus déséquilibrée de la planète ». Cette situation renforce les écarts de perceptions entre Nord et Sud.

Pour El Mouhoub Mouhoud, Professeur d’économie à l’université Paris Dauphine, l’artefact multilatéral est source de blocage. Les pays du Nord ont tissé des liens bilatéraux avec ceux du Sud. C’est l’histoire, et notamment l’histoire coloniale, qui a créé une construction euro-méditerranéenne verticale dont les bases sont aujourd’hui remises en cause. Or le Sud n’a pas de stratégie multilatérale. Sur cet artifice, des pactes bilatéraux ont été construits, notamment avec les élites au pouvoir au Sud : comme une roue, dont l’Europe serait le centre et les PSEM les rayons. Ces relations ont renforcé les « fléaux » des pays du Sud, et notamment des pays du Maghreb : la polarisation des économies, le chômage, l’expatriation des diplômés, la spécialisation des économies dans peu de secteurs…)

Ce jeu stratégique d’échanges, voire de libre échange, a entraîné un retard dans les évolutions en Algérie dans les années 80 et entrave aujourd’hui le changement au Sud. Il est remis en question, notamment par la société civile.

Alors que va-t-il se passer ? Quels facteurs pourraient favoriser l’intégration régionale ?

En dépit des difficultés, El Mouhoub Mouhoud constate que la région construit elle-même en ce moment son destin. Alors que les accords de libre échange Nord Sud, assortis de contraintes lourdes sont en train d’imploser, « l’intégration Sud-Sud, et Sud-Est est en marche », comme le montrent les indicateurs économiques, la progression de l’arabisation, le développement de la mobilité des qualifiés entre pays du Sud, les accords de libre échange au sein du GAFTA (Great Arab Free Trade Agreement)…
Les décideurs européens doivent le comprendre : si le sud se construit, une relation multilatérale devient possible. Le parlement européen semble avoir conscience de ces enjeux plus que les États. Le 5+5 est un autre artefact et il faut le faire vivre mais avec toute l’Europe.

Par ailleurs, des stratégies de co-production et surtout de co-formation doivent être mises en place entre les Etats du Nord et du Sud. Un espace intégré de la connaissance, basé sur la libre circulation des compétences doit être construit.

Pierre Conesa, quant à lui,  propose la création d’une « commission vérité et mémoire » capable de mettre fin aux divisions historiques, aux schizophrénies qu’elles ont engendré et d’ajouter «l’avenir n’est pas fermé».

«La décolonisation c’est aujourd’hui», conclut El Mouhoub.




Compte rendu par Véronique Stéphan
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