Les acteurs méditerranéens du secteur aérien face aux défis du développement durable - Rio+20

Lundi 11 Juin 2012
Dans le cadre des petits déjeuners de la Méditerranée, IPEMED a organisé vendredi 8 juin 2012, en partenariat avec le magazine Jeune Afrique, une rencontre consacrée aux enjeux de la dynamique de développement durable appliquée aux acteurs du secteur aérien dans la région méditerranéenne.

Après une présentation par Louis Boisgibault, expert IPEMED, de son rapport publié par IPEMED[1], portant sur l'« Impact différencié de la contrainte carbone sur les deux rives de la Méditerranée et les politiques de sobriété carbone », sont intervenus le PDG de Royal Air Maroc (RAM), Driss BENHIMA, et le Directeur Général adjoint de Air France, Bertrand LEBEL.

Dans sa courte introduction, Louis Boisgibault rappelle les engagements pris par l’Union Européenne pour répondre aux objectifs de réduction d’émissions, posés par le Protocole de Kyoto avec la mise en place du système communautaire d’échange de quotas (SCEQE ou EU ETS en anglais). Si ces engagements ne concernent que les pays européens, ils produisent néanmoins des effets sur l'activité des acteurs économiques internationaux. Ainsi, la donne a changé depuis 2012 avec l’inclusion du transport aérien international dans ce marché de permis d’émissions. La décision, prise de manière unilatérale par la Commission Européenne, vise à anticiper la croissance constante du trafic aérien international (2-3% par an) qui augmentera le volume d’émissions de CO2.

Cette décision constitue le premier impact négatif de la contrainte carbone à l’égard des pays émergents et en développement, parmi lesquels les pays du sud de la Méditerranée, qui, pour des raisons historiques, ne sont pas tenus de s’engager à des objectifs de réduction d’émissions.

D’autres impacts négatifs, concernant d’autres secteurs industriels, ont été également identifiés, notamment le risque de fuites carbone, la perte de rentabilité pour les industriels avec le passage de vente aux enchères, et la potentielle réduction d’importations en Europe de produits à forte teneur carbone provenant du Sud.

A l’opposé, cette dynamique peut encourager les acteurs du sud à adopter des normes environnementales plus exigeantes ou par exemple à développer les relations commerciales régionales (faisant baisser la facture carbone). Des espoirs sont placés dans la mise en œuvre progressive et à moyen terme de mécanismes de marchés à l’échelle d’un secteur industriel des pays de la rive sud pour susciter une action collective « mais différenciée ». Plus de coopération euro-méditerranéenne, provenant de la Commission mais également des industriels à l’égard des acteurs économiques du sud, permettrait de favoriser l’échange de stratégies, de pratiques et de technologies sobres en carbone.

Driss BENHIMA précise que la compagnie nationale marocaine est plutôt très favorable au principe d’instauration d’un mécanisme incitatif de réduction d’émissions, mais il déplore les modalités d’application « impérialiste » de la directive européenne. Il rappelle que le Maroc a déjà inclus dans sa stratégie de développement les questions environnementales et que la nouvelle constitution marocaine a même constitutionnalisé les principes de développement durable.

Concrètement, pour la RAM, le coût de cette taxe carbone est évalué, sur les huit prochaines années, entre 36 et 72 millions d’Euros, soit un coût annuel d’environ 9 millions d’Euros, équivalent, à quelque chose près, au chiffre d’affaire annuel de la RAM.

Driss Benhima souligne que la RAM se soumettra au système communautaire d’échange de quotas, tout en rappelant son opposition aux modalités d’application de cette mesure. Avec l’association des transporteurs aériens (IATA), la RAM appelle à ce qu’un mécanisme s’organise au niveau mondial sous les auspices de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale.

Driss Benhima regrette en outre que ce système ne tienne pas compte de l’histoire et des stratégies des compagnies, dont certaines se sont doté de flottes récentes, efficientes en termes de consommation de carburant, avant même leur soumission au système de quotas européens.

Enfin, des améliorations dans la gestion du trafic aérien de certaines zones européennes (notamment l’Espagne) pourraient être trouvées pour organiser des trajectoires les plus rectilignes possibles et donc plus économiques en carburant.

Bertrand LEBEL, Directeur Général Adjoint de Air France, rappelle le défi posé au secteur aérien : réduire ses émissions, dans un contexte de très forte croissance du trafic aérien international et malgré le fait qu’il soit « prisonnier » des énergies fossile.

Soulignant que le groupe Air France s’était toujours exprimé en faveur de la mise en place d’un système de permis d’émissions, plutôt qu’un système de taxe, Bertrand Lebel rappelle le souhait du groupe que le mécanisme de plafonnement d’émissions et d’échange de permis ne s’applique qu’à l’égard des vols intra-européens. La Commission a finalement décidé de l’appliquer à l’ensemble des vols, même ceux provenant de territoires non européens. Des risques de rétorsion sont donc à craindre de la part de certains pays ; la Chine et l’Inde se sont notamment vivement exprimées sur le sujet.

Il ajoute par ailleurs que le marché carbone est instable, qu’il a été touché par des fraudes à la TVA, que la spéculation est importante, et que cela ajoute de la volatilité à la volatilité du prix du baril de pétrole. Le groupe Air France devrait être amené à acheter 4 millions de tonnes de CO2 par an, ce qui pourrait lui coûter entre 25 et 120 millions €/an selon le prix de la tonne carbone. Un effet contre productif est à craindre : les options auxquelles pourraient avoir recours les compagnies pour réduire leurs émissions étant limitées, ces dernières risquent de réduire leurs marges et d’être empêchées d’effectuer les investissements nécessaires pour renouveler l’achat de flottes plus performantes.

3 axes d’évolution sont avancés :

-     organiser une meilleure gestion du ciel en défragmentant la gestion du trafic aérien, ce qui permettrait d’optimiser les plans de vols ;

-     l’innovation technologique, avec les progrès réalisés par les constructeurs aéronautiques, même si l’innovation n’est pas encouragée du fait du duopole « Airbus-Boeing » ;

-     l’utilisation de biocarburants, domaine dans lequel il y aurait le plus d’espoir ; d’autant qu’il est raisonnable de penser que d’ici 2025 le biofuel sera compétitif.

 
Au cours du débat, plusieurs questions ont concerné la position exigeante de la Commission vis-à-vis des compagnies étrangères. En effet, pourquoi s’obstiner contre le secteur aérien qui n’est responsable que de 2% des émissions mondiales de CO2 ? Peut-on considérer qu’il s’agisse d’une taxe pour pénaliser certains acteurs (sachant que la profitabilité des transporteurs aériens demeure faible)? Cette taxe doit-elle faciliter le progrès technique, freiner l’essor du trafic aérien ? ou rééquilibrer le budget européen… ?

Il apparaît que le secteur aérien s’avère être le secteur dans lequel une taxe carbone est plus simple à mettre en place et dont les effets au niveau mondial peuvent être le plus visible. De plus, c’est un secteur en pleine croissance au niveau international. En agissant dans ce secteur économique international, la Commission incite l’ensemble des acteurs mondiaux du secteur à prendre des mesures effectives de réduction. L’OACI tarde en effet à définir un cadre de réglementation international de réductions des émissions. Si cela pouvait voir le jour cela pourrait constituer un bon exemple de gouvernance mondiale sectorielle.

Driss Benhima déplore qu’il n’y ait pas une meilleure redistribution des recettes, recueillies par l’Union Européenne avec ce système de permis d’émissions, notamment vers les compagnies non-européennes. Il est prévu que ces recettes permettent d’améliorer les performances environnementales des compagnies aériennes, mais les bénéficiaires potentiels de ces fonds générés par l’EU ETS ne sont pas clairement identifiés.

On peut noter en outre que si les compagnies aériennes sont touchées par le système, ce n’est pas le cas des constructeurs aériens qui devraient pourtant être incités à augmenter leurs investissements en R&D pour développer des engins les plus efficients possibles.

 

Compte rendu par Morgan Mozas, chef de projet IPEMED  


___________________________

[1] A paraître (septembre 2012)
Photos
Vidéos
Partagez cet article
Imprimer Envoyer par mail