Fouad ZMOKHOL, entrepreneur Libanais, président de RDCL World : « L’Afrique est le continent où nous pouvons tout apprendre continuellement »

Mercredi 11 Décembre 2019

Président de l’association RDCL World, qui fédère la diaspora mondiale libanaise des chefs d’entreprise, Fouad ZMOKHOL, récemment en visite à Paris, était l’invité de l’Ipemed et du CAPP (Club Afrique de la Presse Parisienne) à un petit déjeuner de presse organisé à la fameuse brasserie La Coupole. L’occasion d’un échange sur la  situation au Liban, mais aussi sur l’Afrique, où les entrepreneurs libanais contribuent à quelque 30 % du PIB du Continent, selon plusieurs estimations concordantes.

 

Propos recueillis par Pierre Delyon pour Ipemed

 

Professeur des universités, PDG et DG de plusieurs entreprises, conférencier, président d'association… vous avez de nombreuses cordes à votre arc. Commençons par celle du conférencier universitaire… Que nous diriez-vous sur les événements actuels au Liban ? comment les comprendre ?

Fouad ZMOKHOL - Le Liban passe par l’une des périodes les plus difficiles de son histoire. Il est vrai que nous avons eu plusieurs crises auparavant qui se sont succédées dans notre pauvre pays, mais c’est la première fois que nous faisons face en même temps à une crise économique dramatique, une crise sociale qui ne fait qu’empirer, avec un niveau de pauvreté en hausse vertigineuse, une crise monétaire alarmante, une crise de liquidité dangereuse, et une crise de confiance sans précédent…

Mais en parallèle, il existe une lueur d’espoir et un rayon de soleil qui transpercent ces nuages sombres. En effet, c’est la première fois que le peuple se soulève de la sorte, brise les murs de la peur, s’unit comme jamais contre une classe dirigeante corrompue qui a gouverné pendant 30 ans. Nous assistons à une réconciliation tant attendue depuis la fin de la guerre civile, à une Révolution, ou plutôt à une « Evolution », dont les femmes qui se sont distinguées par leur courage impressionnant sont devenues le symbole, ainsi que nos jeunes – par leur dynamisme et franc-parler, des jeunes en quête de changement et d’un avenir meilleur.

 

Dans le grand quotidien libanais « L'Orient-Le Jour », vous avez signé récemment une tribune libre joliment intitulée « J'ai repris confiance ». Mais pourquoi ?

Fouad ZMOKHOL - En effet, j’ai repris confiance lorsque j’ai vu mon peuple que je croyais endormi ou suiveur, partout dans toutes les régions libanaises, briser les murs de la crainte et de la peur, défiant les tabous de la guerre, et scander des noms jadis interdits, demandant des comptes à rendre.

J’ai repris confiance lorsque j’ai entendu les cris de douleur et de souffrance de mon peuple qui refuse de se rendre, déterminé plus que jamais à affronter le destin pour réclamer ses droits, recommencer sur de nouvelles bases, et tout reconstruire, mais surtout se reconstruire.

J’ai repris confiance lorsque j’ai compris que le peuple libanais ne se rendra pas, n’abandonnera point sa lutte et sera toujours un exemple de résistance et de résilience au monde entier.

J’ai repris confiance car j’ai vu que nous avons une chance en or de nous reconstruire sur de nouvelles bases solides.

 

En tant que chef d'entreprise(s) maintenant, comment décryptez-vous la situation économique de votre pays ? quelles sont vos craintes ? vos espoirs ?

Fouad ZMOKHOL - Notre crise économique est très alarmante et atypique. Cela fait plusieurs années que nous craignons cette chute vertigineuse, essayant de nous cacher derrière notre petit doigt, nous rassurant qu’elle n’aura pas lieu... Mais nous y voilà, en pleins sables mouvants... 

L’équation est très simple, nous faisons face à une crise de liquidité sans précédent, nos entreprises n’ont plus de fonds, les clients et les fournisseurs non plus... Les employés ne perçoivent plus qu’une minime partie de leurs salaires, avec un chômage dépassant les 35 %. Nos banques ne peuvent plus faire face à la panique générale, ni trouver les liquidités pour subvenir aux demandes des clients.

L’État n’a presque plus de fonds pour assurer ses frais de fonctionnement et le re-paiement de ses dettes publiques et obligations monétaires. D’autre part, nous assistons à une perte de confiance entre le peuple et les dirigeants, entre la communauté internationale et nos protagonistes, entre notre communauté d’expatriés (qui transféraient jadis plus de 15% de notre PIB), et l’État…

Mes craintes sont claires : notre État est proche de la faillite et de l’effondrement complet…

Mes espoirs sont que nous avons une chance historique de voir une nouvelle équipe dirigeante de spécialistes et de technocrates prendre le dessus, entreprendre les réformes tant promises et espérées, et se lancer dans un plan de restructuration qui nous fera repartir de plus belle et bâtir un nouvel élan, une nouvelle croissance, et surtout une nouvelle économie sur des bases solides.

 

Parlons de l'Afrique, que vous connaissez bien, étant PDG de SAPDIB, (Société Africaine de Production et de Distribution de Boissons), qui emploie quelque 150 personnes à Abidjan. Quelle est votre perception du potentiel d'avenir du continent ? et de l'environnement des affaires ?

Fouad ZMOKHOL - L’Afrique est un continent passionnant, plein de ressources, d’opportunités, mais aussi de risques et d’incertitudes. Je crois fermement et je mets toujours en action ma théorie et stratégie des 3D: Développement, Diversification et Délégation. 

L’Afrique est l’un des seuls continents où je peux appliquer ce plan managérial, car il nous permet facilement de se développer, ainsi que nos services et nos produits, se diversifier géographiquement, et surtout déléguer ce chantier à nos meilleures ressources humaines en quête de challenge et d’aventure.

L’Afrique est le continent où nous pouvons tout apprendre continuellement, expérimenter de nouvelles opportunités et initiatives, mais en même temps, il est crucial d’avoir une bonne gouvernance, un très bon suivi comptable, et un audit méticuleux, pour pouvoir survivre dans un environnement difficile et une culture différente.

 

L'Afrique est engagée dans une course-poursuite entre la croissance démographique et la croissance économique indispensable pour y faire face. Quelles seraient les priorités d'action, selon vous ?

Fouad ZMOKHOL - Il est crucial de se concentrer sur la croissance économique, car sinon la croissance démographique à elle seule augmenterait le niveau de pauvreté, donc les risques d’une crise sociale dangereuse. La priorité serait la création d’emplois, l’encouragement de la création d’entreprises, l’augmentation de l’investissement externe.

Il est aussi très important d’assurer une couverture sociale et médicale au peuple africain, et surtout d’encourager l’éducation pour tous.

À mon avis, ces thèmes doivent être les priorités des pays riches, pour aider et surtout accompagner ce continent à très fort potentiel, mais aussi à risques mitigés.

 

Vous êtes depuis 2017 le président de RDCL World, association mondiale d'entrepreneurs libanais. Quels sont les axes d'action de votre association, en Afrique ?

Fouad ZMOKHOL - Une très grande partie de chefs d’entreprises libanais se sont installés en Afrique depuis de longues années.

D’après les institutions africaines, et notamment la Banque africaine de Développement (BAD), ceux-ci contribuent à plus de 30% du PIB du Continent.

Ils ont fièrement développé des entreprises dans tous les domaines : industriel, commercial, médical, de tourisme, de télécommunications, de services…

Notre objectif, en tant qu’entrepreneurs du RDCL World, est de bâtir des synergies, des collaborations, et des partenariats productifs avec ces entreprises-sœurs.

Je crois fermement que nous devons tous nous défaire de nos habitudes d’individualisme, et apprendre à travailler en groupe, en équipe. Dans un monde en pleine mutation, c’est le seul moyen de développement et de croissance. Et j’ajouterai : de survie !

 

Fouad ZMOKHOL - Plus largement, que représente la diaspora libanaise dans le monde, et en quoi pèse-t-elle positivement  sur l'économie libanaise ?

Fouad ZMOKHOL - Comme c'est bien connu, le Liban compte 4 millions d’habitants sur son territoire et une communauté de plus de 15 millions de personnes d’origine libanaise dispersées dans le monde entier.

Ceci représente notre vrai « pétrole national », notre plus grande ressource.

Les expatriés transfèrent plus de 7 milliards de dollars annuellement vers la mère patrie, ce qui représente environ 15 % de notre PIB.

D’autre part, notre communauté de Libanais dans le monde tient à visiter souvent sa terre natale pour revoir familles et amis, se ressourcer et refaire le plein de souvenirs...

Les Libanais de la diaspora investissent essentiellement dans l’immobilier, tout d’abord dans leur village natal, comme preuve de réussite, puis dans des produits sûrs, à bon rendement. Ils favorisent aussi le secteur bancaire et financier, qui leur offre un retour sur investissement attrayant.

Mon objectif est de les encourager à investir aussi dans le secteur privé libanais; et surtout dans les sociétés à fort potentiel de croissance, PME, microentreprises ou même les start-up, et pouvant rayonner à l’export, dans notre la région du Proche-Orient mais aussi au-delà, partout dans le monde !

 

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