Quels partenariats régionaux pour une meilleure gestion de l’eau en Méditerranée ?

Mardi 10 Avril 2012
Dans le cadre de ses petits déjeuners mensuels, IPEMED a organisé le vendredi 6 avril, une rencontre consacrée à la gestion de l’eau en Méditerranée.
Jean-Louis Chaussade, Directeur général de Suez environnement intervenait aux côtés de Mohamed Salem Ould Merzoug, ancien ministre, président du RIOB (Réseau International des Organismes de Bassin et Haut Commissaire de l'OMVS, l’Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal.


Contexte 


Les pays méditerranéens ont à faire face à des enjeux majeurs en matière d’eau : gestion, en quantité et en qualité, de la ressource et de la demande, gestion des usages, aspects financiers et techniques.

Ces enjeux incitent fortement à développer une coopération accrue entre l’ensemble des acteurs du secteur. De même la géographie particulière de la région, qui réunit au sein d’un même bassin des pays confrontés à des problématiques communes, induit naturellement un besoin de dialogue, de partage d’information, d’échanges d’expérience, d’expertise et de conseil.

Pour y faire face, IPEMED préconise de mettre en place de nouveaux outils de gouvernance et de gestion de l’eau dans le bassin méditerranéen, destinés à mieux valoriser et mutualiser les compétences des institutions existantes de l’eau et mieux impliquer l’ensemble des parties prenantes et notamment les acteurs locaux.
  
« Il faut améliorer la coopération entre l’ensemble des acteurs de l’eau en Méditerranée »
Jean-Louis Chaussade 


Pour Jean-Louis Chaussade, à l’échelle de la Méditerranée, les besoins sont immenses. La demande en eau du bassin méditerranéen devrait en effet croître de 25% à horizon 2025. Or l’eau est déjà une problématique cruciale à l’échelle de la région, les pays méditerranéens ne disposant que de 3% des ressources en eau douce de la planète et concentrant plus de la moitié de la population la plus pauvre en eau. De plus, les ressources en eau sont inégalement réparties, puisque la rive Sud ne dispose que de 13% de la ressource de cette région. Les modèles de calcul du GIEC s’accordent par ailleurs pour penser que la Méditerranée sera la première touchée par les phénomènes d’augmentation de température liés au réchauffement climatique. Très vite, en cas de stress hydrique,  la problématique de l’eau pourrait se transformer en problématique de « transhumance ». 

Il souligne également que la question de la gouvernance de l’eau en Méditerranée doit intéresser l’ensemble des acteurs de l’eau et notamment les entreprises, telles que le groupe Suez environnement, très présent et engagé dans la région.

Il rappelle que Suez Environnement gère notamment depuis 2005 les eaux d’Alger et depuis 2008 les eaux d’Oran via sa filiale Aguas de Barcelona. La  Société des Eaux de Marseille intervient également à Constantine depuis 2008 sous la forme d’un contrat de management, schéma également en vigueur à Alger et Oran, et qui semble particulièrement adaptée aux besoins actuels de la région méditerranéenne. Dans le cadre du contrat signé en 2009 par la filiale de Suez environnement à Casablanca, Lydec, le groupe a pu mettre en place un mécanisme de subvention du raccordement aux services essentiels et raccorder ainsi les quartiers défavorisés aux services d’eau et d’assainissement.


Que faire pour répondre aux besoins croissants en Méditerranée ?

Une taxe de passage du canal de Suez  pour les gros transporteurs ?

Jean-Louis Chaussade rappelle qu’un tiers du trafic maritime mondial traverse la Méditerranée, via le canal de Suez. L’une des solutions pourrait donc consister à s’assurer que les gros transporteurs  concourent à la réduction de la pollution de la Méditerranée et que leur passage génère de nouvelles sources de financement.

Un comité de bassin des bassins

Une meilleure coopération entre tous les acteurs du bassin méditerranéen est nécessaire. Le problème dépasse en effet le cadre national. Et la supranationalité va s’imposer à tous, dans le domaine de l’eau

Pour Jean-Louis Chaussade, il faut considérer la Méditerranée comme un bassin des bassins. Il suggère ainsi de mettre en place un Comité de bassin des bassins. Ce comité pourrait être  constitué sur la base d’une adhésion volontaire des Etats. Il pourrait permettre d’apporter un appui aux outils institutionnels mis en place par les Etats et l’Union pour la Méditerranée. Jean-Louis Chaussade souligne l’importance de s’inscrire dans une démarche « bottom-up » et de rompre donc avec la démarche « top-down » qui a souvent prévalu et a été parfois source de complexité et de lenteur, voire de blocage.

Cette instance de concertation pourrait être consultative dans un premier temps et réunir l’ensemble des parties prenantes autour de la définition et à la mise en œuvre des politiques et des projets sur l’eau : villes et collectivités territoriales, organisations de bassins, ONG, Opérateurs industriels, usagers, éventuellement partenaires nationaux, etc.

Ce Comité pourrait également formuler des propositions en matière de stratégies régionales de l’eau de même que des préconisations pour assurer la mise en œuvre de ces stratégies. Enfin, il pourrait formuler aux échelles nationales et régionales des avis sur les projets concrets et favoriser la mise en place de modalités de financement, notamment innovants.

En termes de fonctionnement, il pourrait s’appuyer sur les moyens disponibles au sein du Réseau Méditerranéen de Ressources sur l’eau.

Jean-Louis Chaussade rappelle que le Forum Méditerranéen de l’Eau, lancé en décembre 2011, et qui a également vocation à servir de plate-forme de dialogue et de concertation entre l’ensemble des acteurs de l’eau et de la région, présente plusieurs similitudes avec le projet de Comité Méditerranéen des acteurs de l’eau. Si cette initiative se pérennise, elle devra, dans la mesure du possible intégrer l’ensemble des parties prenantes de l’eau et constituer une véritable structure de conseil et de recommandation des politiques de l’eau de la région.

 

L’innovation : un levier clé pour la gestion commune des ressources autour du bassin.


Pour Jean-Louis Chaussade, enfin, l’innovation est un levier clé pour la gestion commune des ressources autour du bassin méditerranéen : l’innovation technique et technologique, qui doit permettre d’inventer de nouvelles solutions plus respectueuses de l’environnement et économes en ressources, mais aussi la mise en place de modes innovants de concertation et de gouvernance, qui incluent notamment la mise en œuvre de nouveaux modes de contrats entre les acteurs publics et privés.

Mohamed Salem Ould Merzoug rappelle qu’il y a eu des guerres de l’eau ; le premier traité diplomatique connu a soldé une guerre entre cités sumériennes qui aura duré cent ans !

3500 enfants meurent chaque jour par manque d’accès à l’eau potable. Plus d’un milliards d’hommes n’y ont pas accès dont 400 en Afrique. Plus de 2 milliards n’ont pas accès à l’assainissement.

Il souligne qu’il existe 273 bassins hydrographiques transnationaux, et des centaines d’aquifères dans le monde. L’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) a apporté des éléments d’analyse intéressants, même s’il ne va pas très loin.

En qualité de Haut Commissaire de l’OMVS (Observatoire de Mise en Valeur du fleuve Sénégal), M. Ould Merzoug rappelle que le fleuve Sénégal est partagé entre quatre Etats souverains, qui ont réussi à mettre en œuvre une gouvernance optimale, grâce à l’OMVS.

Parmi les éléments de cette bonne gouvernance, il met en avant :

-      la bonne échelle territoriale ; l’enjeu de l’eau ne pouvant être géré que par bassins
-      une gestion intégrée couvrant tous les aspects de l’eau. Un arbitrage incessant est nécessaire, entre ces usages, entre intérêts, entre nations et au sein d’une même nation.
-      une solidarité obligatoire ; et notamment le respect de règles communes ; la recherche constante de réponses communes.

Ainsi une gestion intégrée mais surtout solidaire de la ressource constituent les éléments clés de la réussite. Pour Mohamed Salem Ould Merzoug, le principe de base doit être la solidarité. Techniquement, la façon d’appliquer cette solidarité doit s’inscrire dans la GIRE (Gestion intégrée des ressources en eau) . D’ailleurs, on ne peut parler de GIRE sans fonctionner dans un cadre solidaire.

M.Ould Merzoug rappelle que le fleuve Sénégal prend sa source dans les régions équatoriales et traverse 1800 km de territoires arides pour la plupart. Il a donc dû être déclaré « zone internationale de souveraineté partagée » : une nature donc très territoriale de l’approche

Une « Charte des eaux du fleuve Sénégal », ratifiée en 2002, après 32 ans de débats, constitue la base légale.

Il existe en fait deux options stratégiques : soit le partage de la ressource entre les secteurs d’usage (énergie, transport, pêche…) ; soit le partage entre les entités territoriales. La première est la seule jouable, la seconde conduit au conflit.

Mais la force de la règle de droit ne suffit pas ; La mise en place de systèmes d’information rigoureux et transparents, sur des instruments techniques d’aide à la décision, enfin sur un programme d’action commun, est nécessaire. 

Enfin, en matière de financements, ils doivent être à la fois publics, privés et mixtes (Partenariats Public Privé.

Mohamed Salem Ould Merzoug : « Il faut réinventer l’action publique dans le domaine de l’eau ».

Au cours du débat, plusieurs questions ont été soulevées, notamment celles du Nil et du rôle de l’Union européenne.

Soulignant la dimension géostratégique des problèmes de l’eau dans l’est méditerranéen, la question du Nil a été  posée : D’ici 10 ans, les risques de pénurie vont s’intensifier en Egypte. Or les accords entre pays du bassin du Nil sont encore balbutiants. Dans ce contexte, que peuvent apporter l’Union pour la Méditerranée et l’Union européenne ?

Pour Jean-Louis Chaussade, la boîte de Pandore des prélèvements par barrage a été ouverte par l’Egypte avec le barrage d’Assouan, qui est responsable d’une évaporation gigantesque. Il est indispensable et urgent de réussir une gestion concertée de la ressource.

Mohamed Salem Ould Merzoug partage l’inquiétude de Jean-Louis Chaussade. L’initiative du Nil est bien connue du RIOB. Son échec serait terrible, et bien avant 2030. Mais cette initiative est mal construite, il faut avoir le courage de le dire. Elle doit être rebâtie.

Concernant le rôle de l’Union européenne, Mohamed Salem Ould Merzoug, souligne que la directive cadre sur l’Eau de l’UE est un bon exemple de la supranationalité nécessaire. Sans copier les solutions existantes (par exemple les Agences de l’eau en France), il pourrait être possible de s’inspirer de  leur cadre conceptuel (qu’on retrouve pour beaucoup dans la directive cadre) pour l’appliquer à des situations différentes.

Pour M. Merzoug, « il faut réinventer l’action publique dans le domaine de l’eau, promouvoir de nouveaux paradigmes, dépassant le cadre de la souveraineté nationale ».

 


Véronique Stéphan
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