Un an après les Printemps arabes, quel bilan politique et économique dans les PSEM ?

Vendredi 02 Décembre 2011
Le 2 Décembre 2011, IPEMED, en partenariat avec l’Académie diplomatique internationale, organisait un petit déjeuner de la Méditerranée sur le thème : « Un an après les révoltes arabes, quel bilan politique et économique dans les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ?»

Un an après l’immolation par le feu de Mohammed Bouazizi et le début des contestations, Sophie Bessis, Jean-Pierre Filiu et Mehdi Lahlou étaient réunis pour éclaircir les incertitudes qui entourent les bouleversements intervenus dans la région.

La Tunisie : éléments d’explication sur une révolution (Sophie Bessis)

Sophie Bessis commence par rappeler les grandes lignes de la révolution tunisienne. Après trois semaines de soulèvement, Ben Ali est renversé le 14 janvier 2011. En ce sens, elle considère qu’on ne peut véritablement parler de révolution qu’en Tunisie : « plus qu’un homme, c’est un régime qui est tombé ». Malgré la pression de la rue, la Tunisie a pris son temps pour rédiger une nouvelle constitution. De mars à octobre, des institutions de transition ont œuvré pour rendre les élections, transparentes, crédibles et acceptables. La Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et de la transition démocratique, auto dissoute le 13 octobre dernier, a ainsi rédigé le code électoral, le code de la presse, les règles régissant les partis et leur financement. L’instance supérieure indépendante pour les élections était chargée, en lieu et place d’un Ministère de l’Intérieur discrédité, de garantir la bonne tenue des élections.

Sophie Bessis qualifie la situation tunisienne post-révolution comme, non pas en crise, mais « en panne ». La situation économique et sociale est difficile sans être désespérée. Le 24 octobre, avec les premiers résultats de l’élection pour l’assemblée constituante, est arrivée l’annonce de la victoire du parti Ennahda. Sophie Bessis tient à relativiser cette « victoire » qui s’explique tant par les moyens, l’organisation du parti, leur référentiel idéologique immédiatement compréhensible, que par les modalités du scrutin à liste proportionnelle. La faiblesse et la diversité des autres partis en présence (33 partis, 1800 listes) tranchait avec le bloc homogène formé par Ennahda. Le 30 novembre, un gouvernement de coalition s’est constitué pour un mandat d’un an avec deux enjeux : réussir la transition sociale et élaborer une constitution. Mme Bessis pointe ici des divergences majeures de visions, de projets de société, au sein du gouvernement comme au sein même du parti dominant, Ennahda. Deux voies, deux discours se retrouvent en son sein : une voie « islamo-conservatrice », respectueuse des acquis modernes, et une voie dite plus radicale, « plus salafiste». Est-ce un double langage ou l’expression d’opinions divergentes ? Sophie Bessis rappelle qu’en parallèle des dérapages des mouvements salafistes (qui ne concernent que 5 à 6 000 personnes en Tunisie), le parti Ennahda se mure  dans un silence assourdissant. Mme Bessis conclut que la Tunisie est entrée le 23 octobre dans une nouvelle phase de changement qui verra le recomposition des forces politiques.

 
Le Maroc : un changement sans évolution (Mehdi Lahlou)

Le deuxième intervenant, Mehdi Lahlou, économiste marocain, tient lui aussi à relativiser les inquiétudes. Pour lui, situation du Maroc n’a rien d’une révolution, ni même d’une évolution : « On a fait du surplace. On a pris un lapin, on l’a mis dans le chapeau, on a sorti un lapin ». Au référendum constitutionnel de juillet 2011, le oui l’a emporté avec 98.5%. Mis en perspective avec le résultat de 98.7% obtenu au référendum constitutionnel du 24 juillet 1970, l’économiste marocain ironise : « on a gagné 0.2 point en 41 ans » En effet, les réformes ne sont pas à la hauteur des promesses. L’Etat civil promis est resté à l’état de mirage et le roi préside toujours le Conseil des ministres, dirige toujours la justice, et contrôle toujours les forces de police. Les mêmes partis (Istiqial, PPS, USFP) se sont retrouvés à former un gouvernement de coalition. En réponse au mouvement du 20 février, le roi Mohammed VI avait pourtant dans son discours du 9 mars parlé d’un changement profond. Si la Tunisie a donné le temps au temps, le Maroc a bouclé sa révision constitutionnelle en 10 jours et s’est précipité vers l’organisation d’un référendum le 1er juillet 2011 et de législatives à l’automne sans réelles garanties. Là encore, il faut nuancer la « victoire » des « islamistes » aux élections du 25 novembre 2011. Sur les 35 millions d’habitants que compte le Maroc, seuls 12,5 Millions d’électeurs étaient inscrits sur les listes quand elles auraient pu en compter près de 25 millions. Ainsi, du fait d’une participation modérée, inférieure à 50 % (45,4 %),  le PJD comptabilise 27% des députés, avec seulement quelque 1,4 million de voix. Ce qui n’est pas, à proprement parler, une ‘’victoire écrasante, ni un ras de marée islamiste.


« L’apprentissage de la pluralité » (Jean-Pierre Filiu)

D’emblée, Jean-Pierre Filiu se refuse à parler de « printemps arabes », arguant qu’il y aura plusieurs saisons. Une Révolution, au singulier, sur le temps long, est en train de se jouer dans les pays arabes. Les mouvements qui se jouent actuellement dans les pays du sud de la méditerranée semblent pris entre une dynamique révolutionnaire et une consécration de l’Etat nation postcolonial. Face à cette renaissance arabe, la peur est mauvaise conseillère. Contre le vieux discours de la dictature comme supposée alternative au chaos islamiste, l’universitaire rappelle que le véritable chaos, l’instabilité incarnée, c’est la dictature.

« Il nous faut apprendre le pluriel », assure M. Filiu. Dans cet apprentissage de la pluralité, il faut différencier l’Islam, comme pratique sociale et l’islam politique. Il faut aussi apprécier le pluralisme voire l’émiettement politique tant en Tunisie qu’en Egypte où les islamistes, minoritaires, sont profondément divisés (quatre partis des Frères musulmans, trois partis salafistes en Egypte). M. Filiu distingue trois composantes dans les résultats égyptiens, au premier des trois tours: un vote religieux, un vote de rupture, de renouvellement de la classe politique et un vote d’ordre. Il refuse l’idée d’un tsunami islamiste : le mode de scrutin a joué pour une certaine surreprésentation, sachant que 300 000 votes sont restés sans représentation.  Refusant un package « islamiste » hâtif, Jean-Pierre Filiu rappelle toute sa foi dans la non-violence, certes non photogénique, mais réelle, encore aujourd’hui, dans les mouvements syriens et yéménites de contestation.




Compte rendu par Alexandra Besly.
Photos
Partagez cet article
Imprimer Envoyer par mail