Colloque - Bilan et perspectives du processus euro-méditerranéen

Samedi 01 Janvier 2011
L’Institut d’études européennes des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles a fait de l’étude des relations euro-méditerranéennes l’un de ses thèmes de recherche privilégiés, et ce depuis le lancement du projet d’Union pour la Méditerranée (UpM). Fondé le 13 juillet 2008 dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, ce projet apparaît aujourd’hui essentiel lorsqu’il s’agit de comprendre les relations entre l’Europe et son voisinage méditerranéen. Il se heurte cependant, depuis son origine, à de nombreuses difficultés.Pour faire le point sur le processus euro-méditerranéen, dans le contexte des transitions historiques que connaissent certains pays du Sud de la Méditerranée, l’Institut de Prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) et les facultés universitaires de Saint Louis (FUSL) ont animé conjointement un colloque, le 29 mars 2011 à Bruxelles, consacré au bilan et perspectives du processus euro-méditerranéen et notamment au projet d’ « Union pour la Méditerranée ».Organisé à Bruxelles le 29 mars 2011, au sein de l’Université Saint Louis, ce colloque à réuni, au cours d’une journée de travail, des experts de haut niveau, des personnalités politiques et universitaires.

Introduction de Jean-Louis Guigou : « Entre la peur et l’espoir, j’ai choisi l’espoir »

Introduisant les travaux de la journée, aux côtés de Hugues DUMONT, Président de l’Institut d’études européennes des FUSL, Jean-Louis GUIGOU, Délégué général d’IPEMED, rappelle que la Méditerranée se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et qu’elle est partagée entre la peur des Européens de voir les révolutions déboucher sur l’extrémisme ou l’immigration incontrôlée et l’espoir qu’émergent de nouvelles élites au Sud. Entre ces deux positions, il a personnellement choisi l’espoir : l’espoir raisonné que grâce aux révolutions en cours dans certains pays de la région, la relation nord-sud méditerranéenne devienne de plus en plus évidente, et que chacun comprenne que « l’avenir de l’Europe, c’est la Méditerranée, et réciproquement ».Évoquant l’Union pour la Méditerranée (UPM) Jean-Louis Guigou a fait part de sa déception de voir que « ce magnifique concept d’Union de la Méditerranée » serve de paravent, en France notamment, à des débats sur l’islam, les visas, les immigrés… et que l’Europe soit incapable de se repenser elle-même dans le monde multipolaire qui se me en place aujourd’hui.Le projet d’Union pour la Méditerranée (UpM) a, selon lui, été construit sur de grandes maladresses. Trop personnalisé par la France, excluant l’Allemagne des premières discussions, handicapé notamment par la question des visas et des politiques restrictives d’immigration, ce projet doit aujourd’hui être repensé. Deux apports de l’UpM doivent cependant être conservés : le Secrétariat général et la logique des projets.Selon Jean-Louis GUIGOU, deux questions se posent principalement à l’UE : Doit-elle redéfinir ses priorités et recentrer ses relations avec les pays qui ont fait leurs révolutions ? Doit-elle supprimer les aides, accusées d’avoir favorisé la corruption ? Autant de questions qui seront abordées au cours du colloque.

Table ronde 1 : L’UpM face aux évolutions politiques et géopolitiques

Selon Bichara KHADER, Professeur à l’Université catholique de Louvain, les récents mouvements populaires ont conduit, en Europe, à un changement à la fois sémantique – les régimes amis sont devenus des dictateurs honnis – mais également de paradigme : On ne parle plus désormais d’ « exception arabe » ; on a compris d’autre part que le développement économique ne générait pas toujours l’ouverture politique. En effet, les pays arabes ont connu une croissance sans développement et un capitalisme de prédation. Les révolutions ont par ailleurs remis à l’ordre du jour le dialogue euro-arabe. Avec la Politique européenne de voisinage (PEV), l’Europe voulait assurer sa sécurité en favorisant le développement de ses voisins. Mais cette politique a négligé la société civile. De plus l’UpM a déplu aux allemands, qui s’estiment triplement méditerranéens : ils connaissent une importante immigration turque ; ils sont les premiers contributeurs aux programmes euro-méditerranéens ; enfin ils sont le premier partenaire commercial des pays Méditerranéens. La dépendance alimentaire et le développement rural sont par ailleurs les oubliés des projets de l’UpM. La compétition est constante entre pays du Sud, et la coopération entre Bruxelles et le Secrétariat reste à définir.Pour Marc OTTE, envoyé spécial de l’Union européenne au Proche Orient, il ne faut pas oublier les jeux iranien, israélien et turc. Si les révolutions mettent fin aux mythes de « l’exception arabe » et de la réussite du libéralisme économique sans libéralisme politique, elles sonnent aussi le glas de la stabilité de dictatures soutenues par l’Occident. L’arc de crise du Maroc à l’Afghanistan a trois points communs : le rôle de la jeunesse, la spontanéité des mouvements et le retour du peuple. L’UE doit changer d’attitude, parler avec tous les groupes, ne plus donner de leçons et n’aider que si on le lui demande. Enfin, il faut réfléchir à un cadre institutionnel pour la prévention des conflits et l’intégration régionale.

Table ronde 2 : l’UpM face à la crise économique et financière

Selon Jacques OULD-AOUDIA, chercheur en économie politique du développement, le partenariat euro-méditerranéen était faussé car élaboré par le Nord, à destination du Sud. Ainsi, la Commission a presque combattu le processus d’Agadir, qui n’avait pas été conçu par l’Europe. De plus, les trois hypothèses du partenariat euro-méditerranéen se sont révélées fausses. Tout d’abord, le libre-échange n’a pas érodé les positions rentières des élites du Sud en introduisant la concurrence. Ensuite, les Accords d’Association n’ont permis qu’un faible développement des IDE qui, en Egypte, ont provoqué une croissance sans développement. Enfin, les fonds du programme MEDA n’ont pas déclenché la libéralisation et la bonne gouvernance, mais au contraire ont favorisé l’apparition d’élites corrompues utilisant la libéralisation au service de leurs intérêts. L’UpM a pris acte de l’échec de Barcelone, mais elle est bloquée par les conflits et le sentiment d’une partialité européenne sur le conflit israélo-palestinien. La Commission, au vu de ses erreurs passées, devrait attendre pour réagir face aux révolutions et arrêter l’aide directe qui favorise la corruption. Enfin, la démocratie fonctionne différemment au Sud car, contrairement au Nord, les relations sociales y sont personnalisées et informelles. L’Etat y dispose de peu de moyens et la redistribution est informelle. Les sociétés arabes veulent fixer leurs propres règles. Si cela se fait, leurs diplomaties seront plus exigeantes.Francesco GOMEZ MARTOS, administrateur au parlement européen, rappelle que les Accords d’Association ont aggravé les déficits commerciaux des pays méditerranéens. De plus, le démantèlement des Accords multifibres en 2005 a pénalisé les secteurs textiles méditerranéens, concurrencés par Pékin. Le partenariat avec les PECO a diminué les ressources de l’UE pour la Méditerranée, et l’agriculture européenne reste protégée. Par ailleurs, la crise financière a contracté les exportations des pays MED, diminué les entrées d’IDE, les recettes du tourisme et les transferts des migrants. Le rebond économique nécessite de diversifier l’industrie, d’attirer les IDE en établissant de véritables autorités de la concurrence, en lançant l’intégration Sud-Sud. Il faut lutter contre la corruption, pour une justice impartiale et une fiscalité redistributive. De plus, l’UE, qui aura besoin de 16 millions de travailleurs qualifiés doit développer une complémentarité démographique avec les pays MED et y délocaliser une partie de son appareil industriel, comme l’Allemagne l’a fait dans les PECO. Enfin, le taux d’épargne et d’investissement dans les pays MED – 18 et 25% – est trop faible. L’UE peut aider à développer les marchés obligataires. Les pays MED n’ont pas besoin d’un plan Marshall mais d’un fonds pour la transition démocratique. Si elle n’améliore pas les conditions économiques et sociales, la démocratie échouera.Pour Olivier de SAINT-LAGER, coordinateur sénior, chargé du suivi de l’UpM et des relations avec le Secrétariat général de Barcelone, auprès de la commission européenne, le processus de Barcelone avait une vision globale mais n’a pas produit tout ce que l’on espérait. Chaque année, 1 milliard d’euro de dons et 1,5 milliard de crédit ont été accordés. S’il faut développer les mécanismes pour de bons investissements, le Sud demande toujours de l’aide et de la coopération. L’UE a certes fait trop bon marché de ses valeurs, mais elle négociait avec des Etats souverains. Il est possible d’aider directement les sociétés civiles, mais les procédures, notamment le contrôle, seront plus longues. Avec Barcelone et la PEV, les situations économiques des pays MED se sont améliorées. Cependant, il est nécessaire de développer les investissements publics, sur des projets ne rapportant que 4 ou 5% par an - et non 15%, comme l’exigent souvent les acteurs privés- et à externalité forte. Inframed notamment peut stimuler ces projets. La Commission peut aider à renforcer la sécurité juridique des investissements. Quant à l’UpM, elle n’a pas démarré. Certains pays UE ont d’autres priorités, la France a sans doute été trop présente, et le blocage entre les pays du Sud est important. La fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc coûte 2 ou 3% de croissance.

Table ronde 3 : Les méthodes et outils (« tableau de bord ») de suivi et de cohérence des projets UpM

Pour Immaculada ROCA I CORTES, du service européen d’action extérieure de la commission européenne, l’UpM est en grande difficulté. L’indétermination institutionnelle est énorme et l’on observe un conflit entre les tenants de la méthode communautaire et ceux de la méthode intergouvernementale. La France doit-elle passer le relais de la coprésidence du Nord ? La coprésidence du Sud est par ailleurs en suspens depuis la révolution égyptienne. Surtout, il est impossible d’organiser des sommets de chefs d’Etats et de gouvernements ou des réunions des ministres des Affaires étrangères depuis le bombardement de Gaza 2006. L’UpM d’après les révolutions arabes sera différente, mais les relations entre les pays ayant fait leurs révolutions et les autres seront difficiles. Enfin, si l’UE a donné des leçons depuis le lancement du processus de Barcelone, c’était à la demande des pays arabes.Olivier RUYSSEN estime, quant à lui, que l’UpM vit toujours, grâce au Secrétariat et aux projets. Le tableau de bord serait un instrument de gouvernance parmi d’autres, qui donnerait de la visibilité aux objectifs de l’UpM et mobiliserait les partenaires autour des projets. La Commission et la Haute Représentante viennent de publier une Communication conjointe, soulignant la nécessité de réviser la PEV et l’UpM, qui devrait coopérer avec la BEI. Le Secrétariat général pourrait délivrer des « labels UpM » à des projets signés et élaborés, qui auraient un engagement minimum de financement ; mais il ne dispose d’aucune capacité de financement. Il donnerait accès à un interlocuteur de haut niveau et augmenterait les chances du projet labellisé d’obtenir des crédits et des dons. Le Secrétariat général doit être soutenu et se concentrer sur les projets, laissant la politique à la PEV.

Table ronde 4 : L’UpM et le problème de l’eau : vers une stratégie et une agence communes ?

Selon Jean-François DONZIER, Directeur de l’Office international de l’Eau, le bassin méditerranéen comptera 535 millions d’habitants en 2025, ce qui posera des problèmes d’accès à l’eau potable et d’assainissement dans les pays de la rive sud. Le tourisme accroît également la pression sur l’eau. Il n’existe que très peu d’accords internationaux pour la gestion intégrée des eaux transfrontalières. Le manque d’eau douce entravera le développement des pays MED, où l’agriculture irriguée absorbe 75% de la consommation d’eau. De plus, dans les bidonvilles, on paie l’eau jusqu’à 20 fois plus chère qu’en centre ville. Par ailleurs, le changement climatique est réel au Maghreb, avec des précipitations inférieures de 15 à 25 % à celles répertoriées du temps de la période coloniale. Dans tous les pays méditerranéens, inondations et sécheresses seront plus longues et fréquentes. Les solutions techniques existent, mais les problèmes sont institutionnels. La réunion des ministres en charge de l’Eau à Amman, en décembre 2008, a élaboré une Stratégie méditerranéenne de l’eau, basée sur la gouvernance, la résolution des problèmes liés au changement climatique et l’optimisation des financements. Mais Gaza a tout bloqué. Tous les projets de lutte contre le changement climatique et d’optimisation des ressources en eau, devront intégrer les populations. Pour le financement, l’OCDE propose trois solutions : les taxes administratives sur l’eau, la hausse des tarifs, ou le transfert de ressources tierces. Chacun doit payer l’eau en fonction de ses moyens.Hervé LAINE, membre du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable, affirme que la consommation actuelle des Méditerranéens - 280 milliards de mètres cubes par an - impose une réduction significative de la consommation en eau. Il existe 80 à 90 acteurs de l’eau en Méditerranée, sans commandement politique unifié. Il serait possible de créer un hub méditerranéen mettant en commun les compétences, comme l’a proposé l’IPEMED, et de réduire la consommation d’eau de 25%. Dans le cadre de l’UpM, on pourrait créer une Agence méditerranéenne de l’eau, initialisée par des politiques puis reprise par des professionnels. Elle permettrait de mutualiser les ressources et de réaliser des transferts, sans aide ni corruption. Mais la question du financement reste ouverte.Vincent DOLLE, Directeur de l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier, IAMM, insiste sur le lien entre eau et sécurité alimentaire. Les pays sud-méditerranéens représentant 25% du marché mondial des céréales, seraient plus puissants s’ils négociaient ensemble. En 2030, 100 millions de Méditerranéens supplémentaires habiteront les villes. Il faudra nourrir plus, avec moins de terres arables par habitant. De plus, la majorité de ces terres sont sur la rive Nord, et seules 12% des précipitations d’eau tombent sur le Sud. Il est possible de diminuer de 25% la consommation d’eau de l’agriculture, dans le Sud. Il faut une gestion coopérative des ressources transfrontalières d’eau, associer la PAC et le développement rural méditerranéen, constituer des stocks alimentaires sur 100 jours face à la volatilité des prix, gérer l’eau et la sécurité alimentaire comme des biens publics.

Conclusion : « pour un plan Marshall Euro-méditerranéen »

Jean-Louis GUIGOU insiste d’abord, dans sa mise en perspective des travaux, sur les points de convergence entre tous les intervenants. La maîtrise scientifique de l’eau, de l’énergie et de l’agriculture est indispensable au développement des pays du Sud de la Méditerranée. Malgré les tensions initiales, l’UpM a un Secrétariat général et des projets. Les révolutions arabes ne sont ni antioccidentales ni islamistes ; elles partagent les valeurs occidentales. Enfin, le financement des projets UpM sera essentiellement privé, du fait des déficits budgétaires, ce qui nécessite une sécurité juridique. Les points de divergence, en revanche, sont les suivants. L’UE devrait redéployer son appareil de production au Sud de la Méditerranée, comme l’Allemagne le fit dans les PECO. La réforme de la PAC devrait prendre en compte les Européens et les Sud-Méditerranéens. Il faudrait un plan Marshall pour les pays MED, sous condition de l’ouverture des frontières intérieures.

Clôture des Débats par Dominique Baudis : « Offrir à la Turquie la coprésidence de l’UPM »

Selon Dominique Baudis, Député européen et Président de l’Institut du monde arabe (IMA), après 40 ans de glaciation, le monde arabe entre dans une phase d’ébullition généralisée. La comparaison avec 1989 et la fin des « démocraties populaires » dans les PECO, a ses limites, car, si autoritarisme et inégalités sont remis en question, il n’existe pas d’empire arabe. Les moyens de communication ont joué un rôle central pour faire émerger les blogueurs, héros de ces révolutions. Les peuples deviennent acteurs de leur histoire. La démocratie sera différente pour les Tunisiens et les Egyptiens et pour les Irakiens, à qui on l’imposa. Dans les médias occidentaux, on ne parle plus de « masse » ni de « rue » arabe. Plusieurs questions apparaissent. Les jeunes réussiront-ils à ouvrir l’espace politique ? Quelles orientations prendront les partis islamistes, légalisés ? Quelles conséquences auront ces évènements sur le conflit israélo-palestinien ? L’équation se complexifie pour Israël, car le président égyptien sera plus exigeant. Le statu quo ne fonctionne plus, la seule assurance serait un accord politique. Pour Dominique Baudis, opposer Euromed et UpM est un débat artificiel. L’UpM est en difficulté depuis l’écrasement de Gaza sous les bombes, mais les réunions parlementaires continuent. Il faudrait offrir la coprésidence de l’UPM à Ankara. L’UpM est un étage politique supérieur, et offre un meilleur partage des responsabilités Nord-Sud. Elle est plus nécessaire que jamais.Compte-rendu par Raphaël John, ancien étudiant du Master 120 en études européennes

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