Conférence-débat. Le développement économique du Maghreb : quel rôle pour la France et l’Europe ?

Mardi 15 Juillet 2014
A l’occasion de la publication du rapport d’information « S’engager pour le développement du Maghreb : un défi, une obligation », coordonné par les sénateurs Josette Durrieu et Christian Cambon, IPEMED, avec le soutien du Sénat, a organisé un débat, le mardi 8 juillet autour de la thématique : «Le développement économique du Maghreb : quel rôle pour la France et l’Europe ?»
Sont intervenus à cette occasion, Josette Durrieu, Sénatrice et Vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, Jean-Louis Guigou, Délégué général d’IPEMED, Roger Goudiard, Directeur de l’AFD Algérie et Directeur du CEFEB et Jacques Ould Aoudia, Chercheur en économie politique du développement. Le débat était animé par Agnès Levallois, journaliste.

Introduisant la rencontre, Josette Durrieu a rappelé combien la Méditerranée était une région stratégique pour la France et plus largement l’Europe. En effet, trois ans après le début des révolutions arabes, les Etats du Maghreb sont à la croisée des chemins. Les défis sont immenses. L’Europe et la France ont un rôle à jouer, notamment pour soutenir le développement économique de ces pays.

Initialement, le rapport que Josette Durrieu a coordonné avec Christian Cambon, devait porter sur la région méditerranéenne dans son ensemble. Il a finalement été centré sur les trois pays du Maghreb, mais sa portée dépasse largement les relations France Maghreb. En effet, la rencontre avec Jean-Louis Guigou, auditionné par les auteurs, et la découverte de sa vision prospective et verticale de la régionalisation de la mondialisation en « quartiers d’oranges » ont convaincu les auteurs que la mise en place d’un vrai projet euro-méditerranéen, autant géopolitique qu’économique, était nécessaire et serait une source de croissance, pour la France et l’Europe. De ce fait, ce rapport est devenu un ouvrage de réflexion politique. Si de nombreux projets méditerranéens émergent, force est de constater qu’on le sait peu. A l’échelle européenne, la présence de Bernardino Leon, représentant spécial de l’UE pour la région du Sud de la Méditerranée, est un atout. A l’échelle de la France, beaucoup d’acteurs œuvrent sur le terrain, mais « où est le pilote ? » interroge la sénatrice. Dans le cadre de la mise en place de la « diplomatie économique », portée par le gouvernement et tout particulièrement Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, une réorganisation de tous les acteurs en charge de la Méditerranée est souhaitable, afin d’améliorer l’efficacité des actions françaises en Méditerranée et au-delà, de rendre plus lisible la politique méditerranéenne de la France. Un récent échange avec Fleur Pellerin, Secrétaire d'Etat chargée du Commerce extérieur, permet d’espérer que cette réorganisation sera opérée.

Pour Jean-Louis Guigou, la recomposition de l’appareil de production français doit passer par la Méditerranée. A deux pas de la France, la croissance est estimée à 6% dans les pays émergents d’Afrique du Nord et Subsaharienne. Au Nord, les pays européens vieillissent, sont endettés, dépendants sur le plan énergétique, avec un régime de croissance inférieur à 1%. La troisième révolution industrielle, née d’une convergence des technologies de la communication et des énergies renouvelables, constitue une base d’exploration et de transformation, une source de croissance tout à la fois pour l’Europe et la rive Sud de la Méditerranée. Les pays du Nord doivent proposer aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée des voies de coopération nouvelles, via la co-production notamment. Ils doivent changer de comportement et de mentalité. L’Europe doit proposer la mise en place d’une véritable politique méditerranéenne commune et désigner un Commissaire européen. Ces conditions réunies, l’économie européenne pourra rebondir et celle des PSEM décoller.

Roger Goudiard souligne que le Rapport du Sénat, en plus d’être une mine d’informations constitue une aide précieuse pour déchiffrer la période de transition politique et sociale que traverse la Méditerranée et surtout pour penser l’action à moyen et long terme dans cette région. Le Rapport 2013 du FEMISE  , auquel a contribué l’AFD, rejoint certaines analyses de ce Rapport. Il donne notamment la même image des défis de la transition qui se posent en Méditerranée, qu’ils soient génériques ou plus spécifiques à la région. Pour Roger Goudiard, poser la question du développement économique du Maghreb et du rôle que l’Europe et la France doivent jouer, oblige à poser aussi celle des fragilités sociales, qui ont été à l’origine des bouleversements qui affectent la région depuis trois ans et qui n’ont pas disparu. Sans remettre en question le cœur de métier de l’AFD, financer le développement, cette question des fragilités sociales amène l’AFD à ajuster sa doctrine autour de quelques idées simples : bien comprendre les fragilités sociales existantes, afin de ne pas les aggraver involontairement travailler sur les facteurs structurels de ces fragilités et bien analyser les enjeux des régions marginalisées. Enfin, faire bouger les lignes de pensée, en termes d’approche territoriale, de choix des interlocuteurs, de modes opératoires.
Enfin, à titre plus personnel, Roger Goudiard est convaincu de l’importance de mettre au centre des approches nouvelles, en s’appuyant sur les « réformateurs locaux », ceux qui sont désireux de « faire bouger les lignes dans leurs pays ». De ses expériences passées, il tire la leçon qu’il est essentiel d’avoir une lecture lucide des situations politiques, surtout lorsque celles-ci présentent une stabilité de façade.

Pour Jacques Ould Aoudia, il importe de bien comprendre la nature des phénomènes à l’œuvre dans les sociétés arabes, depuis 4 ans. Les questions politiques ont pris le pas sur les autres dimensions des révolutions arabes : les anciens modèles monolithiques et autoritaires ont cédé sous les poussées populaires. Ces pressions résultent de facteurs irréversibles : éducation de masse, urbanisation, accès aux informations mondialisées, qui débouchent sur la croissance de l’individuation au sein des sociétés. Cela ne signifie pas la fin immédiate des régimes monolithiques autoritaires, mais l’impossibilité de stabiliser les sociétés avec ce type de régime.
Après les phases constitutionnelles intervenues au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Libye, un nouveau pacte social est à construire. Pour le chercheur, toutes les sociétés du Sud n’ont pas pour ambition le seul développement économique et les Européens devraient bien se garder de négliger la dimension religieuse des sociétés arabes. Les partis islamistes ont pour projet d’islamiser les sociétés, avec un modèle économique basé sur la liberté d’entreprendre et la charité. Le développement économique n’est pas la priorité de leur projet politique. La dimension religieuse fait partie intégrante de ces sociétés et doit être prise telle quelle. Face à cela, le courant séculier est divisé et ne formule que peu de propositions pour sortir du modèle libéral-autoritaire-rentier qui a prévalu jusque-là, qui avait creusé les inégalités sociales, spatiales et générationnelles.
Il faudra du temps pour que les mouvements à l’œuvre dans les pays arabes conduisent à des solutions stables, aux plans politique et social. Quelle pacte social, quel modèle économique confortera la transition en cours et la fera pencher vers une société stable ? La page d’histoire qui est en train de s’écrire, sous nos yeux, n’est pas terminée.


Véronique Stéphan
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