Débat IPEMED / CDS - Colocalisation en Méditerranée : réalité marocaine et perspectives de développement

Dimanche 28 Avril 2013
Dans la continuité des travaux d’IPEMED sur la colocalisation en Méditerranée et quelques semaines après la visite de François Hollande, Président de la République française, qui a appelé à repenser la relation France-Maroc autour du concept de colocalisation, le Conseil du Développement et de la Solidarité (CDS), think tank marocain indépendant, et IPEMED ont organisé conjointement une manifestation, le 26 avril, à Casablanca, destinée à exposer les expériences réussies de colocalisation au Maroc et faire état du potentiel à développer dans la région.

Dans son introduction, Mohamed Benamour, Président du CDS, a en effet appelé à prendre prétexte de la crise qui touche les deux rives de la Méditerranée pour s’orienter vers « une politique audacieuse basée sur des concepts de co-investissement et de colocalisation ». D’un côté, le Maroc « est idéalement placé pour jouer un rôle de hub pour les IDE » en Afrique, a-t-il avancé, « la France quant à elle, est le premier investisseur au Maroc, avec un milliard d’euros annuels ». Pour lui, l’horizon du partenariat franco-marocain est donc le continent africain, « moteur de la croissance mondiale » dont les chiffres font rêver : la croissance de la consommation en Afrique de 860 milliards de dollars en 2008 sera de 1.400 milliards de dollars en 2020 et assure plus de la moitié de la croissance industrielle. L’Afrique aura, en 2050, 60% des terres arables disponibles au monde, a également rappelé M. Benamour, soulignant également le taux de croissance annuel moyen de ces 5 dernières années (5,4% hors pétrole, contre 3,2% pour le reste du monde).  En 2050, la population africaine sera de 2,1 milliards, soit le quart de la population mondiale et actuellement, 4 Africains sur 10 ont moins de 15 ans. Cette insistance sur le Sud, M. Benamour l’a justifié par l’existence de stratégies sectorielles au Maroc, qui « pourraient convenir avec des adaptations à l’Afrique ». La colocalisation prend sens dans ce grand espace « Europe-Méditerranée-Afrique » pour Jean-Louis Guigou, Délégué général d’IPEMED, pour qui, le Maghreb est le « pivot », le « passage obligé ». Même son de cloche chez Joël Sibrac, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Maroc, qui voit le Maroc comme une « plateforme vers l’Afrique subsaharienne ».  Pour Fathallah Sijilmassi, Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, dont l’intervention a été lue par Farida Moha, modératrice des débats, le Maroc est donc « triplement gagnant » dans cette nouvelle géographie.

Mais qu’est-ce qu’est la colocalisation ? 

Alors que la délocalisation fait référence à un départ et à une fermeture, la colocalisation pour Jean-Louis Guigou implique l’ouverture d’un établissement complémentaire sans la fermeture du premier. Pour Fathallah Sijilmassi, « la colocalisation vise le renforcement de la compétitivité ».  

Dominique Bocquet, Contrôleur général économique et financier au ministère français des Finances, auteur de l’ouvrage Pour une mondialisation raisonnée (La Documentation française, 2012), est intervenu pour rappeler le lancement, en juillet 2012, de ce thème des « colocalisations » par Nicole Bricq, comme élément de la relation bilatérale entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée. D’abord « geste politique pour faire de nos productions communes un élément d’approfondissement du lien France-Maroc », cette problématique a fait l’objet, le 1er mars dernier, d’une lettre de mission le chargeant de la réalisation de monographies par pays (Maroc, Algérie, Libye, Egypte, Tunisie) ; l’idée de départ était de tester le postulat qui faisait des colocalisations une « révolution productive », une option pour la relation franco-marocaine. Invité par IPEMED et le CDS à partager avec l’assemblée les conclusions de son étude, Dominique Bocquet a présenté sa définition des colocalisations, et les principes opérationnels qui en découlent. S’il a parlé volontiers d’une révolution productive, c’est parce les colocalisations introduisent, selon lui, le partage des tâches au cœur de l’acte de produire et une nouvelle étape qualitative, la segmentation internationale des processus productifs ayant trouvé dans certains secteurs comme l’aéronautique et l’automobile son expression la plus complète. Mais, si toute alliance n’est pas forcément une colocalisation, tout IDE non plus, a rappelé Dominique Bocquet, puisque la colocalisation suppose plusieurs sites dans différents pays avec une réelle valeur ajoutée. Dans sa définition, les colocalisations concernent l’industrie manufacturière (matières premières et pétrole exclus, secteurs du textile, agroalimentaire, des médicaments, et une partie des services à forte teneur en savoir-faire inclus).  Pourquoi les colocalisations sont-elles une chance pour le Maroc ? Pour Dominique Bocquet, elles permettent « au Maroc d’être partie prenante de la fabrication de produits dont il n’a pas encore la technologie ». 

Mais une coordination des politiques industrielles est-elle possible ?, s’est demandé Larabi Jaidi, Economiste. Pour lui, les actions prioritaires à mettre en œuvre sont : l’amélioration de l’environnement institutionnel des entreprises, une « stratégie offensive entrepreneuriale », et une meilleure connexion entre industries, services et innovation. C’est à partir de ces pré-requis qu’il faut selon lui, réfléchir aux problématiques suivantes : comment organiser des filières communes ? Comment « mobiliser des économies en réseau selon des pôles de compétitivité » ? Comment inscrire cette stratégie dans les territoires ? Comment parvenir à une forme d’harmonisation (normes, brevets, technologies) des politiques industrielles et améliorer l’employabilité de la main d’œuvre ? Pour Joël Sibrac, le trait commun à toutes ces questions tient à la difficulté de mettre en place une politique publique sans être « dirigiste », c’est-à-dire sans exclure les PME. Enfin, « comment associer la mobilité des hommes  à la mobilité du capital ? », ont ajouté Abdellatif Bel Madani, Président de l’ASMEX et Jean-Louis Guigou. 

La colocalisation : quelques success stories

Dans son introduction, Mohamed Benamour a cité le succès de Maroc Télécom, qui a reçu le prix de l’entreprise la plus performante du continent africain, et qui « prévoit 4 milliards de dirhams d’investissements entre 2013 et 2015 pour poursuivre son extension en Afrique ». Autre exemple de l’orientation africaine de grands groupes marocains : l’OCP, qui a développé une ligne d’engrais spécifique pour les sols africains.

Le secteur aéronautique, success story totale ou simple délocalisation ? Ayoub Daoudi, Directeur général de Souriau, a dressé le constat de quatre piliers de croissance importants : le potentiel de croissance de la population active et de sa productivité, le potentiel en innovation et R&D et enfin, le potentiel en termes de capital.  Pour lui, il y a complémentarité entre le Maroc et l’Europe. Dans le secteur de l’aéronautique, il y a plus de 35 000 avions à construire sur les 20 prochaines années, d’où la nécessité de maintenir un positionnement stratégique avec un réseau de fournisseurs. La complémentarité des « supply chains » implique une stratégie industrielle capable de créer des industries au Maroc qui s’intègrent dans ces supply chains. Ce positionnement bénéfique est bénéfique aux entreprises tout en créant des emplois au Maroc (trentaine de salariés en 2002, un peu moins de 500 aujourd’hui) et en France (200 emplois), même si ces derniers sont de nature différente.  

Eric Buchot, Directeur des achats Renault Maroc, a rappelé lui-aussi quelques chiffres clés : en 2012, ce sont 50 000 véhicules qui ont été produits, un chiffre qui devrait doubler en 2013, avec la nouvelle ligne de production, et qui devrait atteindre à terme 340 000 véhicules produits par an. Le projet de Renault au Maroc s’est accompagné de contrats avec des équipementiers, et force est de constater le succès en termes notamment de créations d’emplois : 4 200 employés pour le site Renault à Tanger, cinq fois plus d’emplois indirects.  Les activités de Renault au Maroc ont boosté à la fois les PME/PMI en France mais aussi les PME du Maroc. Pour Eric Buchot, la colocalisation est « une réussite quand on arrive à croiser des entreprises de même taille ». Il a également rappelé l’importance du soutien politique au projet de Renault au Maroc, qui en assure la stabilité dans la durée, avant de conclure sur la création d’un institut de formation qui devrait assurer la formation des opérateurs de l’usine de Renault à Melloussa ainsi que ceux des fournisseurs du constructeur. Interrogé sur la possibilité de transférer une partie de la chaîne de production de la Roumanie vers le Maroc, Eric Buchot a réfuté cette option, rappelant que non seulement l’industrie automobile est une industrie capitalistique qui ne rapporte qu’à moyen-terme, mais que l’implantation de Renault dans un pays implique la constitution d’un socle d’industries connexes, ce qui dans le long terme, permet d’ancrer dans un territoire donné une chaîne de valeur ajoutée difficilement délocalisable.  De plus, l’handicap du Maroc tient à ses coûts logistiques trop élevés (freins à l’export et à la localisation) et à l’étroitesse de son marché

Youssef Rouissi, Directeur d’Attijariwafabank, avait déjà eu l’opportunité de s’exprimer sur le modèle d’Attijariwafabank lors du débat du 6 décembre dernier organisé par IPEMED. Pour lui, la démarche de colocalisation telle que l’a appliquée la banque a engendré une implication très forte dans la création de valeur et de richesse locale. Son accompagnement des opérateurs marocains et européens a participé non seulement à la dynamique d’intégration Nord-Sud, Sud-Sud, mais aussi Sud-Nord. Sur ce dernier point, Youssef Rouissi a mentionné le repli des banques européennes sur la région, ce qui a amené Attijariwafabank à lancer aussi, en Europe, une banque destinée aux migrants pour favoriser ce mouvement de colocalisation

Youssef Chraïbi, Président du groupe Outsourcia, a souhaité revenir en guise d’introduction sur les propos d’Arnaud Montebourg sur le secteur de l’offshoring, considéré comme destructeur d’emplois en France. Or Youssef Chraïbi a mis en lumière quelques chiffres clés : si 70 000 emplois ont été créés hors France dans l’offshoring, en 10 ans, ce sont 80 000 emplois supplémentaires qui ont été créés en France dans le même secteur. Au Maroc, ce sont environ 40 000 emplois qui ont été créés dans les centres d’appel. Contrairement au secteur industriel,  le positionnement du Maroc dans l’offshoring ne s’explique pas seulement en fonction de son attractivité en termes de coûts, mais aussi par la proximité culturelle, linguistique, et par le savoir-faire qu’il a développé dans le domaine. Si au départ, les prestations étaient à moindre valeur ajoutée, aujourd’hui, tous les types de métiers existent, a rappelé Youssef Chraïbi, corroborant ainsi le constat dressé par IPEMED dans sa note sur la colocalisation : En effet, le PDG du groupe Outsourcia a rappelé qu’à terme, un positionnement en offshore à 100% n’était pas viable, d’où son implantation en France, laquelle a été favorisée par le département de l’Eure qui a accompagné son installation sur l’ancien site de GlaxoSmithKline. Ce phénomène nouveau - une PME marocaine créé des emplois en France, environ une centaine ici – témoigne d’une « logique d’intérêts des deux côtés ». Pourtant pour Kamil Benjelloun, il existe toujours une « certaine résistance culturelle » lorsqu’une entreprise marocaine s’implante en France. 

Invité à s’exprimer sur les perspectives « pour des secteurs stratégiques »,  Saïd Mouline, Directeur général de l’Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, a fait remarquer le secteur de l’énergie inclut tous les ingrédients nécessaires à une colocalisation au Maroc (une stratégie nationale portant sur les énergies renouvelables, des institutions et zones industrielles dédiées, une approche PPP etc) tandis que Hamid Souri, Président de Tubes et Profils a souligné l’intégration très forte du secteur de la métallurgie dans l’aéronautique et l’automobile, et les possibilités qui s’en dégagent. 

Ces témoignages ont amené Larabi Jaidi, Economiste, à conclure qu’avec la colocalisation, « il s’agit de réfléchir ensemble pas seulement sur un concept, mais sur un projet », d’autant plus pertinent qu’il va dans le sens de la construction d’un « espace organisé de réseaux articulés de coopération sectorielle ». Pour lui, l’Union européenne a ainsi les moyens de reconquérir sa « puissance industrielle » tout en accompagnant, au Sud, la création d’un tissu industriel. La colocalisation peut être une « prospective commune » aux Marocains, Français et à d’autres, selon Dominique Bocquet. Ahmed Reda Chami va plus loin en affirmant qu’ « il ne peut y avoir de prospérité qu’en avançant ensemble ». Dans sa conclusion, l’ancien ministre marocain du Commerce, de l’Industrie, et des Nouvelles technologies a ainsi condamné la « frilosité » de la France - qui a perdu sa place de premier partenaire commercial du Maroc - et  appelé de part et d’autre de la Méditerranée, à un « volontarisme politique ».

Kelly Robin
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