Jean-Louis Guigou : « L’Europe amorce un changement de paradigme dans sa relation avec l’Afrique »

Jeudi 27 Février 2020

Vendredi 14 février 2020, le Palais du Luxembourg, siège du Sénat à Paris, a accueilli, sous le patronage de Jean-Yves Leconte, sénateur représentant les Français établis hors de France, un forum organisé par le cercle de réflexion EuropaNova*, sur le thème « Afrique-Europe : une relation innovante à construire ». Ce compte- rendu vise à synthétiser le discours d’introduction de Denis Simmoneau, président de l’association, ainsi que les échanges du panel « Pour un renouveau de la politique africaine et l’Union européenne », auquel participait Jean-Louis Guigou, et ceux du panel « La santé comme priorité des politiques ».

 

Hervé Ferrando, Stagiaire à l’IPEMED

 

Dans son discours d’introduction, Denis Simonneau, Président d'EuropaNova a insisté sur l’histoire particulière des relations entre l’Europe et l’Afrique depuis 60 ans :

  • En 1957, le Traité de Rome permet l’adhésion des territoires coloniaux et une relation particulière entre la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) et les nouveaux Etats indépendants en Afrique. 
  • Dans le contexte de la décolonisation, les États européens et africains renouvellent leur partenariat lors la Conférence de Yaoundé en 1963 : elle prévoit l’aménagement de rapports commerciaux, l’établissement d’un Fond Européen de Développement (FED) et des institutions communes (par exemple, une Cour arbitrale). 
  • En 1975, l’Accord de Lomé, rénové à trois reprises, dont la dernière date de 1990, approfondit les implications économiques et financières, encadre les règles d’accès au marché communautaire et envisage un élargissement au-delà de l’Afrique.
  • En 2000, l’Accord de Cotonou inclut la société civile et les Droits de l’Homme. En 2007, lors du 2° sommet UE-Afrique, la déclaration de Stratégie conjointe entérine l’importance de la société civile dans le partenariat entre l’Afrique et l’Europe et élargit la coopération institutionnelle, la gouvernance et le développement durable.

Par ailleurs, Denis Simmoneau a rappelé les profondes mutations économiques et démographiques de l’Afrique, qui devrait atteindre 2,5 milliards d’habitants en 2050, selon les prévisions statistiques. Ainsi, ce continent est confronté à de nombreux défis qui touchent au développement durable, à la santé, au numérique et à l’éducation.

 

La Verticale comme alternative 

aux Nouvelles Routes de la Soie

Intervenant aussitôt après, Jean-Louis Guigou a prôné une évolution de l’UE dans sa politique africaine. Avec la colonisation, les Européens ont été longtemps dans un comportement de prédation des matières premières, a rappelé le président de l’Ipemed. À partir des indépendances des états africains, les anciennes puissances coloniales ont continué à entretenir des relations ambigües avec les nouveaux régimes et ont eu une démarche d’aides, peu propice à l’émancipation économique des sociétés locales. 

Aujourd'hui, estime Jean-Louis Guigou, « l’Europe amorce un changement du paradigme dans sa relation avec l’Afrique ». Il en veut pour preuve les déplacements en Afrique des Commissaires européens et de la présidente Ursula Van Der Leyen, ainsi que le Document stratégique en cours de finalisation qui témoignent d’un intérêt renouvelé pour l’Afrique. Enfin, il a présenté la Fondation la Verticale comme une alternative aux Nouvelles Routes de la Soie qui font partie de la stratégie du gouvernement chinois pour asseoir son influence en Afrique.

En réponse, Olivier Vallée, analyste géopolitique, soutient une réflexion plus pessimiste. Cet intervenant a insisté sur la dispersion des questions et des représentations en citant l’Accord des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) qui englobe les Etats africains dans un cadre de partenariat plus large. Les pays d’Afrique du Nord sont plus considérés comme faisant partie de la région MENA que de l’Afrique dans son entièreté. Après avoir évoqué le statut de l’Union africaine, Olivier Vallée pense qu’« il n’y a pas de relation privilégiée entre l’Union européenne et l’Union africaine. » Pour lui, il n’y a pas de véritable levier pour financer le développement des industries en Afrique qui restent limitées excepté dans le domaine de la téléphonie mobile. Le détail de ses idées est accessible ici : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/02/13/10-points-sur-lespace-geopolitique-afrique-europe/

Denis Simmoneau a mis en exergue les dures réalités quotidiennes de l’Afrique, pourtant dotée d’un fort potentiel énergétique. La moitié de la population africaine, soit quelque 600 millions de personnes, n’a pas accès à l’électricité, et la consommation moyenne en électricité d’un Africain est de 180 kWh (contre 6500 kWh pour un Européen). L’Afrique est dotée d’importantes ressources puisqu’entre 2010 et 2018, 40 % des découvertes de gaz ont été trouvées en Afrique. 

Certains pays ont commencé à valoriser leur potentiel naturel. Par exemple l’Afrique du Sud, le Sénégal et le Maroc, avec des projets de centrales solaires. Il propose une levée de l’impôt plus efficace dans les pays africains qui manquent de ressources fiscales, une amélioration des instruments de coopération notamment une intégration du FED dans le budget européen et une approche harmonisée de la réglementation.

 

« La santé comme priorité des politiques »

 

Robert Hue, Président de Drep.Afrique, s’est montré préoccupé par le manque d’intérêt pour la drépanocytose, première maladie génétique au monde, touchANY en particulier les États africains et l’Inde ; chaque année, sur 300 000 enfants atteints par la maladie, la moitié en meurent. 

Les disparités dans la diffusion de la maladie témoignent de rapports de domination car, selon lui, les plus grands laboratoires pharmaceutiques du Nord ne souhaitent pas engager d’importants moyens financiers pour un médicament qui ne serait pas rentable mais bon marché et accessible aux populations les plus démunies. Le déficit d’informations et le faible pouvoir d’achat compliquent leur accès au remède. Son association Drep.Afrique favorise la recherche d’un médicament qui pourrait être diffusé auprès des populations locales.

Philippe Walfard, responsable adjoint de la division Santé et protection sociale de l’AFD, a expliqué le fonctionnement du réseau de l’AFD mis en place, principalement dans l’océan Indien, selon une approche globale et inclusive. Il est difficile de mesurer l’impact d’initiatives qui ont pour but de limiter la propagation de maladies. À la suite de l’application de leurs dispositifs, il a fait remarquer que plusieurs maladies étaient circonscrites sur des espaces restreints, comme la peste des petits ruminants aux Comores.

Enfin, Élisabeth Ilboudo, chargée de mission auprès de la CFO Banque de détail France (Groupe BNP Paribas), a souligné l’engagement du secteur privé auprès des laboratoires et plus généralement pour l’amélioration de la santé. Toutefois, elle souligne que le seul secteur privé n’est pas omnipotent et doit être soutenu par des politiques publiques.

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 *Le cercle de réflexion EuropaNova a le double objectif de mobiliser les citoyens sur les défis européens et de renforcer les liens entre les institutions et la société civile.

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