La « transition démocratique » au sud est-elle soluble dans la non-ingérence des démocraties du nord ?

Mercredi 16 Novembre 2011
Alfred Mignot – pour IPEMED
Les récentes élections en Tunisie semblent le démontrer : les postures de non-ingérence affichées par les démocraties occidentales dans l’évolution politique des pays sud-méditerranéens en « transition démocratique » favorisent, de fait, la montée en puissance des islamistes. Le Partenariat de Deauville peut-il donc se construire durablement sur cette nouvelle forme de retenue – ou cécité – volontaire ?


Christian Masset, Directeur général de la Mondialisation au Ministère des Affaires étrangères et européennes, et Radhi Meddeb, Président d’IPEMED et de l'association tunisienne Action et Développement Solidaire (ADS), étaient les deux orateurs invités à s’exprimer sur le thème « Les printemps arabes et la Communauté Internationale - Le partenariat de Deauville », mercredi 16 novembre 2011, à L'Académie Diplomatique Internationale (ADI, Paris).

Christian Masset s’est attaché à dresser un tableau positif de la genèse et du cheminement du partenariat de Deauville, dont il rappela notamment l’absence de conditionnalité – « nous travaillons sur des plans d’action présentés par les pays partenaires » du sud » – et le caractère non prescriptif, côté nord : « l’affirmation des valeurs [État de droit, statut des femmes, accès à l’éducation…] apparaît en creux ». « Les plans d’action progressent » affirme encore Christian Masset, avant de conclure qu’il attendait une autre avancée significative lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du Partenariat de Deauville, qui doit se tenir à Koweït le 21 novembre prochain – dernière réunion sous présidence française du G8, avant le passage du relais aux États-Unis, en 2012. Des États-Unis « qui se disent très intéressés, c’est une priorité pour eux ! » relève Christian Masset.

Scepticisme et inquiétude de Radhi Meddeb

L’intervention qui suivit de Radhi Meddeb, s’exprimant ici à titre personnel, s’est déversée comme une douche froide sur le discours du diplomate Christian Masset : « Au sud, déclare Radhi Meddeb, il y a un grand scepticisme quant au Partenariat de Deauville… En Tunisie, nous n’avons pas oublié qu’à Deauville, notre Premier ministre fut reçu à 9 h du matin, une heure avant la Déclaration finale. Comme l’on dit familièrement, “les carottes étaient déjà cuites” !…

Nous avons eu aussi le sentiment que le G20 ne faisait que confirmer les engagements déjà annoncés par les uns et les autres, notamment Européens et Américains ».

Ces dernières semaines, en Tunisie, l’inquiétude des progressistes a augmenté de plusieurs crans : après les déclarations, fin octobre, de Rached Ghannouchi, chef de file d’Ennahda, sur le français perçu par lui comme langue polluante de l’arabité, puis celles de la députée Souad Abderrahim, la colombe dévoilée-alibi d’Ennahda (la colombe étant l’emblème du parti islamiste), traitant les mères célibataires « d’infamie pour la société » tunisienne, et affirmant que « éthiquement, elles n’ont pas le droit d’exister ! », voici qu’au cours d’un meeting qui se déroulait à Sousse le 13 novembre, Hamadi Jebali, futur Premier ministre islamiste, a déclaré lors d’un discours prononcé sur le mode incantatoire : « Mes frères, vous vivez un moment historique, un moment divin, une nouvelle étape civilisationnelle dans un nouvel État si Dieu le veut, dans un sixième califat [1] Inch Allah… ».

Rappelant ces faits, et « sans vouloir dénigrer le Partenariat de Deauville », Radhi Meddeb déplora que la communauté internationale, l’Europe en particulier, « ne fait que trop peu, trop tard (…) alors que ce qui se passe au Sud, c’est aussi le problème de l’Union européenne ».

Après avoir évoqué le contexte économique international « adverse » – le Partenariat de Deauville peut-il survivre à la crise de la dette ? – Radhi Meddeb a très explicitement regretté l’insignifiance (sinon l’absence totale) du soutien politique des démocraties occidentales au processus de transition en Tunisie : « Les résultats des élections en Tunisie [avec la victoire du parti islamiste Ennahda] n’étaient pas inéluctables. Les islamistes ont bénéficié de l’argent politique des pays du Golfe, les démocrates ont dû se débrouiller avec de bonnes paroles et peu de moyens… ».

De fait, alors que le Partenariat de Deauville se contente d’affirmer les valeurs « en creux », la question qui est posée, est celle de la voie étroite entre la non-ingérence et la non-indifférence. Que feront demain les pays nordistes du Partenariat de Deauville si ces valeurs venaient à être remises en cause dans les pays du sud ?

Sur cette question, la retenue volontaire des diplomaties occidentales pourrait conduire demain à des erreurs irréversibles, tout comme l’excès de complaisance les conduisit, hier, à soutenir les dictatures.

 

 

1 – Par référence au cinquième califat de Omar Ibn Abdelaziz (680-720), dont le règne, à Damas, se distingua par sa volonté de faire appliquer la charia dans toute sa rigueur.
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