Efficacité énergétique, énergies renouvelables : passer de projets isolés à un développement durable en Méditerranée

Dans l’ensemble de la Méditerranée, le potentiel est considérable pour l’efficacité énergétique comme pour les ER mais il n’est pas exploité. En particulier, l’efficacité énergétique peine à trouver sa place dans la région, tel est le message alarmant de la communication d’Houda Allal. En matière de transition énergétique et d’énergies renouvelables, il faut reconnaître que les recommandations d’il y a vingt ans sont toujours valables. Et l’enjeu porte particulièrement sur les Psem, où la demande a explosé. Pour autant, les écarts persistent entre Nord et Sud en termes de consommation par habitant – un écart de 60 ans pour l’électricité !

Il y a urgence à changer d’échelle dans la production d’ER. Plusieurs initiatives existent dans la région, mais la coordination n’est pas toujours claire. Le PSM est un excellent catalyseur, il a créé une vraie dynamique positive ; Medgrid se situe dans la lignée de cette dynamique ; la Commission européenne soutient cette dynamique via son projet « paving the way for the Mediterranean Solar Plan ». Mais tout cela laisse trop peu de place à l’efficacité énergétique. Les nouvelles générations sont bien plus sensibles à la question ; un gros travail de sensibilisation et de pédagogie a commencé, mais surtout dans le Nord.

L’action de l’OME a une dimension pratique notamment dans les ER : le premier projet éolien en Afrique du Nord, celui de la StEG, a été en partie insufflé par l’OME. ; l’OME travaille en étroite collaboration avec le PSM et des pilotes CSP-dessalement voient le jour. Par ailleurs l’OME favorise les échanges de bonnes pratiques, et constitue des bases de données sur les technologies, les prospectives et les coûts.

Enfin, et comme le disait Tawfik Mouline, le couple eau-énergie constitue un couple explosif pour les Psem. L’OME a travaillé sur la question dans le cadre d’un projet européen. La pauvreté en eau dans la région est d’ores et déjà dramatique. En 2050, selon un travail fait par l’OME et des partenaires notamment des pays de la région, nous serons en déficit d’« un Nil et demi ». En plus de la maîtrise de la demande, le dessalement est une solution pour accroître l’offre, mais celle-ci est énergétivore, et pose un problème à la fois en terme de concurrence pour l’usage de l’énergie et d’environnement. L’énergie solaire pourrait contribuer à desserrer ces contraintes et tensions. Pour conclure, Houda Allal insiste sur la nécessité d’une vision régionale déclinée en stratégies nationales adaptées et solides.

Jérôme Gosset rappelle qu’Areva est connu pour le nucléaire mais a beaucoup investi depuis quelques années dans les ER : bioénergie, solaire à concentration, hydrogène, pile à combustible (R&D) pour le stockage de l’énergie, ce qui n’est pas sans lien avec les questions d’efficacité énergétique. L’ensemble, présent en Allemagne, au Royaume-Uni, au Brésil et aux Etats-Unis pour les technologies solaires, compte 1 200 personnes. Quatre raisons expliquent ces activités : (i) l’importance des enjeux du changement climatique ; Areva se positionne comme fournisseur de solutions électriques sans CO2 ; (ii) les grands clients du nucléaire sont soumis à des régulations qui les poussent vers les ER ; (iii) les marchés sont particulièrement attractifs ; (iv) le groupe valorise une compétence technologique car les synergies sont nombreuses avec le nucléaire, notamment dans le solaire à concentration.

L’arbitrage délicat est celui qui assure à la fois la protection du climat et l’accès le moins cher possible à l’énergie. Mais le temps de monter en puissance sur les cinq principales technologies disponibles pour décarboner est trop long par rapport aux enjeux climatiques : la capture du CO2 n’est pas encore prête, la production nucléaire a des contraintes connues de temps et d’argent, la biomasse pose la question de la compétition alimentaire, le solaire à concentration reste cher – d’où le besoin de l’éolien et du photovoltaïque, qui peuvent être mis en œuvre rapidement.

On peut imaginer deux scénarios : 

(i) : un scénario de transition rapide vers les ER – mais très cher (technologies coûteuses, risques industriels…) ; 

(ii) un scénario tout aussi ambitieux sur le plan CO2 mais plus raisonnable sur le plan industriel, utilisant le nucléaire pour garder un prix de l’énergie raisonnable et laisser le temps aux nouvelles technologies de montrer leur pertinence. D’où l’association d’Areva à l’initiative Medgrid. La Méditerranée est en effet typiquement le genre de région ou ce type de vision peut se construire.

Pour Saïd Mouline, le problème de l’efficacité énergétique c’est qu’elle est moins visible qu’un gros projet solaire. Toutefois le Maroc s’y lance de manière importante, alors que des centrales à charbon auraient été moins chères. Mais le Maroc s’inscrit dans la dynamique générale et régionale de la transition énergétique. Et les financements arrivent, ce qui rend ce développement envisageable. Le pays a mis en place un fonds d’investissement dans l’énergie pour accompagner ces grands projets. Pays à 97% dépendant, le Maroc doit trouver une solution.

Les plus hautes autorités de l’Etat ont fait une priorité des ER mais aussi de l’efficacité énergétique, pour laquelle l’objectif national est de 12% dans l’énergie d’ici 2020. En changeant la méthode de transport des phosphates, par exemple, on fait des économies gigantesques (sur le séchage, plus particulièrement, grâce au transport par pipe des phosphates mouillés). Le volet réglementaire s’est adapté à cette option stratégique : c’est la loi sur les ER, et bientôt une loi sur l’efficacité. Mais il faut encore un gros effort de sensibilisation pour convaincre les ménages et les distributeurs d’électricité (pour les convaincre d’acheter de l’éolien). L’action est particulièrement menée en direction du transport et de l’habitat dont il faut convaincre les acteurs, par exemple les constructeurs de logements sociaux. Dans cette vaste mobilisation, l’action régionale est indispensable, le rôle de Medener, de l’OME et d’IPEMED est fondamental.

Antoine-Tristan Mocilnikar l’affirme : une communauté euromed est en train de se créer, sur l’énergie. Le volet politique de l’UpM est compliqué, mais les projets avancent notamment dans l’énergie et notamment dans les ER ; on peut parler d’une « nouvelle CECA ». En particulier, le PSM est devenu le cadre politico-administratif des projets pour les ER euroméditerranéennes. Son approche n’est ni libérale ni béatement optimiste, ni limitée aux aspects financiers ni limitée aux aspects environnementaux. Et les industriels répondent (Medgrid et Dii on l’a vu, mais aussi le Fonds carbone Méditerranée, Inframed pour les fonds propres, etc.). D’une manière générale, les entreprises se renforcent dans les ER. Dans le cas français, il est clair qu’EDF, GDF SUEZ, Areva, Alstom se dotent de composantes ER importantes, et c’est vrai des autres pays.

Les outils de la coopération régionale sont là. L’OME est l’outil de concertation et du dialogue énergétique méditerranéen, il assure l’interface entre les ER et les autres énergies – ce qui lui permet de bien aborder la question du mix énergétique. Medelec et Medener complètent le paysage institutionnel. Les bailleurs se mobilisent (AFD, BEI, KfW…) ; un fonds généré par la Banque mondiale (Clean tech fund) met 750 M $ sur la table. La Commission intervient sur le capacity building via son « paving the way ». Antoine-Tristan Mocilnikar profite du séminaire pour faire l’annonce du lancement prochain à Barcelone d’un partenariat nouveau : « Les amis du PSM », afin d’assurer la continuité de cette concertation avec le Secrétariat UpM de Barcelone.

Quant à l’efficacité énergétique, elle constitue une question critique en effet. Il faut créer une dynamique nouvelle. L’UpM va créer une nouvelle institution, l’« Agence urbaine pour la Méditerranée », qui accordera une place importante à l’efficacité.

Philippe Lorec rappelle les grands enjeux du PSM. Il porte sur le solaire mais aussi sur les autres ER ; il accorde une grande importance à l’efficacité énergétique ce qui impose de changer de modèle économique pour montrer que les ER sont rentables. Les investisseurs privés ne le voient pas toujours, il faut donc démontrer comment gagner de l’argent. Le PSM comporte un volet important sur les infrastructures de transport. Enfin les transferts de technologie sont inévitables car on sera « obligé » de développer des capacités locales, d’où un besoin de techniciens et d’ingénieurs formés pour construire les centrales et les équipements, puis assurer la maintenance sur vingt ans. 20 GW (à l’horizon 2020) c’est beaucoup, cela veut dire environ 200 projets, et il faut beaucoup de main d’œuvre et de compétences locales pour cela.

Concernant la partie financière, nous sommes dans une phase transitoire. Tels qu’ils sont, les projets ne sont pas encore rentables ; la puissance publique doit combler le gap. Il faudra, d’emblée, faire venir les financeurs privés. Les montages sont compliqués, la structuration financière délicate ; il faut monter tout cela et le rendre accessible – car ce n’est pas l’argent qui manque mais sa mobilisation. Par exemple, le premier projet d’exportation d’électrons verts du Maroc à la France, a été monté avec l’ONE et GDF SUEZ comme partenaires opérateurs. L’article 9 du paquet climat-énergie de l’UE permet de faire ce genre de choses, mais cela demande beaucoup d’ingénierie administrative ; et il faut clarifier qui va payer la différence financière entre le coût du marché en Europe et le coût de ces ER. Le Fonds Français pour l’Environnement va contribuer à financer des études de pré-faisabilité du PSM, et aider les pays à élaborer des plans solaires nationaux, à la suite de ceux du Maroc et de la Tunisie.

Une analyse économique des ER est donnée par le cas d’une centrale CSP au Sud (cf. présentation) : comment passer de son coût, 20 centimes € le KWh, à 6 qui est le prix du marché ? Il faut compter sur plusieurs sources complémentaires :

- la BEI, la BM et autres fonds des bailleurs internationaux : 3,2 c. Par ailleurs, le PSM réfléchit à ce que la Banque mondiale met en place dans le domaine de l’eau, et qui revient à ce que la Banque assume le risque pays (risque d’expropriation etc.) ; 
- la Facilité européenne du Voisinage (un des instruments financiers de l’IEVP) ; 
- l’exportation via l’article 9 (exemple de 30% de la production : 3,7 c) ; 
- l’intégration de l’économie d’énergie carbonée : 2,6 c ; 
- au total, on arrive à un coût de 9 centimes, soit 3 centimes au-dessus du marché.

Le débat

Quelle connexion entre PSM et plans solaires nationaux ?

Le « chapeau politique » du PSM et de l’UpM créé une dynamique, et pousse les bonnes pratiques – notamment l’élaboration de Plans solaires nationaux par émulation. Mais quid des aspects institutionnels et financiers de la coopération entre PSM et plans nationaux ? (Benabdallah)

Lorec : le succès du PSM, ce serait de se réincarner dans les plans nationaux ! Une équipe de dix ou vingt personnes ne peut pas gérer ce projet énorme. La meilleure façon de faire, c’est de passer par le national. La gouvernance en sera d’autant simplifiée. L’outil régional fera de l’intermédiation et de la facilitation, mais l’essentiel de l’opérationnel sera fait par le national.

Quelle place pour l’efficacité énergétique ?

En Tunisie, à l’horizon 2030, les gains potentiels se situent beaucoup plus (dans un rapport de 80/20) du côté de l’efficacité énergétique que du côté des ER (Khalfallah).

Lorec : il faut reconnaître qu’au début l’investissement en ER va être coûteux – peu rentable pour des investisseurs mais rentable pour le pays à plus long terme. Il reste à trouver le modèle économique pour le dire, pour attirer l’investisseur. A cet égard, mettre l’accent sur l’efficacité énergétique est sans doute une des pistes sur lesquelles travailler. L’autre problème pour l’efficacité énergétique, c’est qu’elle relève d’une multitude de micro projets (changer les fenêtres…) ; et là, la taille adéquate c’est la ville nouvelle ou le nouveau quartier.

Mocilnikar : l’Agence urbaine pour la Méditerranée fait, avec l’agriculture et la banque méditerranéenne, partie des projets prioritaires. Elle est en train d’être définie au plus haut niveau. Ses pays promoteurs : France, Italie, Espagne, Maroc, Algérie, Tunisie, Turquie, Egypte. La gouvernance sera moderne, avec un siège dans un des pays mais un pôle par pays membre, situé dans un quartier exemplaire ; elle s’appuiera sur plusieurs collèges : « pays », « collectivités », « industriels », « ONG », « bailleurs » ; un schéma un peu nouveau, de type privé, permettra de répondre à des nouvelles villes ou quartiers, participer à des appels d’offres, être un opérateur dans ce domaine. Un autre aspect en sera le volet social, voué à faciliter l’accès des plus pauvres à l’énergie.

Samir Allal : la sensibilisation à l’efficacité énergétique suppose une culture de l’anticipation ; au Nord, c’est plutôt une problématique de la réhabilitation car les objets existent déjà. Mais l’enjeu économique est énorme : les économies d’énergies estimées à l’échelle régionale sont supérieures à 100 milliards de dollars.

Au-delà du PSM, quel cadre institutionnel pour une politique euroméditerranéenne de l’énergie ?

Quelle est la réalité du marché euromed de l’électricité ? Créer une marché intégré de l’électricité ne saurait se limiter ni à un plan de production d’électricité solaire ni aux interconnexions techniques. Il faut en amont une vision commune – alors que le Nord et le Sud n’ont pas les mêmes priorités ; et il faut des règles commerciales et de sécurisation partagées (Gallepe).

La Charte de l’énergie est un outil utile pour réduire les conflits énergétiques entre Europe, Russie et Etats-Unis (Chello). Mocilnikar : la Déclaration de Limasol de 2007 reste valide, mais c’est une simple déclaration d’intentions. Le marché euromed de l’énergie se met en place ; mais l’UpM valorise d’abord le PSM, et ensuite les aspects politico-institutionnels pour l’intégration du marché.

L’urbanisation est un des grands défis des Psem, donc l’Agence est une bonne initiative (Tawfik Mouline). Mais le terme « agence » peut choquer car c’est un terme d’opérateur, alors que ce qui est urgent c’est de développer une vision commune. Il faut partager la vision globale, mais laisser les pays agir, selon les spécificités nationales. Par ailleurs, comment faire face au couple eau-énergie ?

Mocilnikar  : la Stratégie méditerranéenne de l’Eau avance ; c’est là que l’UpM dépense le plus d’argent (4 milliards d’euros). Un outil de modélisation a été mis sur pied : le logiciel de simulation « Strateau », qui permet de simuler l’usage de l’eau par bassin ; il est mis en œuvre sur trois bassins (Rhône, Kalb au Liban, et au Maroc). Avec bien moins de données au Maroc que dans le Rhône, on voit tout même beaucoup de choses (aspects agricoles, consommation des industriels, des centrales électriques, précipitations...). Les acteurs, y compris les énergéticiens, peuvent intégrer cet outil pour leur propre simulation. C’est une institution de l’UpM qui en est propriétaire.

Question : quid des collaborations entre R&D universitaire et développement des ER ?

Mocilnikar : En matière de R&D on peut évoquer les énergies marines, qui font partie du PSM ; il y a peu de courants en Méditerranée naturellement, mais des technologies nouvelles se développent comme l’idée de centrales d’éoliennes flottantes.

La question du tarif de rachat et de la rentabilité des projets

Au Maroc, il n’y a pas de tarif garanti annoncé (Saïd Mouline). Le tarif sera adapté en fonction des différentes offres (émulation par la compétition), et cela évoluera en fonction de l’évolution des technologies, et en fonction du coût des autres énergies.

Lorec : dans le photovoltaïque il y aura une réelle compétition ; il y en aura aussi dans le CSP mais la compétition restera moins forte car il y a moins d’acteurs et les quatre ou cinq grands du CSP ont déjà un plan de charge considérable.

Question : les financements publics internationaux seront-ils conditionnés à l’existence d’un plan solaire national ?

Lorec : il s’agit de coopération, rien n’est imposé. Cela dit dans les faits, quand il existe un plan solaire national, une stratégie s’affiche et est lisible ; une loi et des décrets l’encadrent, une agence est créée qui sert de guichet unique ; tout cela joue positivement en direction des investisseurs publics ou privés.

Les subventions à l’énergie carbonée, ça existe ! Leur réduction peut contribuer à réduire encore le différentiel entre le prix du solaire et celui du marché (Chehab). Mohend Mahouche confirme : la politique de subvention favorable aux hydrocarbures complique la montée en puissance des ER dans les Psem.

Tous les pays de la région n’ont pas le même intérêt à faire intervenir des financements privés à un même niveau. Le Maroc étant énergétiquement très dépendant, la grande majorité est faite par le privé, mais ce n’est pas le cas partout dans la région (Saïd Mouline).

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