Le rôle clé de la gouvernance

Houria Tazi Sadeq fixe le cadre en rappelant comment le PNUD définit la gouvernance : Exercice des pouvoirs politiques, économiques et administratifs pour gérer les problèmes du pays a tous les niveaux, et mobilisant tous les groupes sociaux. La bonne gouvernance est transparente, participative, responsable, efficace, équitable ; elle s’appuie sur, et promeut, le cadre de la loi ; elle conduit à fonder les priorités politiques, sociales et économiques sur un large consensus dans le pays, au profit des populations les plus en difficulté.

Le rôle des collectivités locales et des ONG

Pierre-Marie Grondin observe qu’il y a beaucoup de discours sur la gestion de la demande, mais peu d’actes. La sensibilisation est encore lacunaire ; la prise en compte de la nécessité de l’assainissement reste largement en retard, et n’apparaît souvent qu’une fois que les dégâts sont faits." De nombreux points sont communs dans le Bassin méditerranéen : le souci de distribuer l’eau à tous, la responsabilité publique du service, le rôle de l’Etat, la montée en puissance des organismes de bassin, le souci de partager mais aussi de protéger une ressource qu’on sait rare, le développement d’outils de suivi et d’analyse de cette ressource. Des problèmes, également : l’importance des pertes dans la plupart des réseaux, et la persistance de l’approche par l’offre beaucoup plus que par la demande".A l’échelle de la région euromed, l’action concertée est rendue difficile par la grande variété des situations : les différences restent grandes d’un pays à l’autre, d’une rive à l’autre (directive cadre européenne, diversité des cadres réglementaires côté sud). L’intégration du coût de l’assainissement dans le prix de l’eau, désormais admise en Europe, n’est pas toujours appliquée et souvent même non encore admise au Sud. L’exposition au stress hydrique et aux aléas climatiques est très différente d’un pays à l’autre aussi, de même la part de la population rurale. L’histoire locale de l’eau est fortement spécifique à chaque pays, les capacités des collectivités locales varient fortement d’un pays à l’autre et d’une rive à l’autre.Concernant les collectivités locales, il n’y a pas d’homogénéité dans la région et même parfois au sein d’un même pays. Toutes les collectivités souhaitent s’impliquer, tant sur le volet de la demande que sur le volet de l’offre, mais n’en ont pas toujours les moyens. Au Sud, leurs fonctions se limitent souvent à un rôle consultatif, sans réel pouvoir de décision. Elles souhaiteraient pouvoir adapter les lois nationales aux réalités locales, et donc avoir une compétence adaptative voire législative, mais ce n’est presque jamais le cas.On en tire trois enjeux : la nécessité de mieux faire intégrer dans les politiques de l’eau le nécessaire changement des comportements ; le développement de la concertation locale, afin de faire participer les usagers et les autorités locales aux approches intégrées à long terme ; enfin l’amélioration des connaissances et des capacités locales de gestion.La coopération décentralisée est une bonne voie. La loi Oudin permet des dons, jusqu’à 50 millions d’euros, qui peuvent aller à la formation, au renforcement de capacités etc. La liberté d’action des ONG en est une autre, mais leur inconvénient est d’être dispersées et de ne pas toujours travailler de manière concertée. Il faudrait à la région un fond financier commun, pour contribuer au financement de cette coopération décentralisée ; les acteurs locaux et nationaux devraient poussent leurs gouvernements en ce sens.

L’évolution de la gouvernance de l’eau au Maroc

Houria Tazi Sadeq insiste sur l’importance de la mise en cohérence de l’action publique. Au Maroc, cette cohérence a progressé au niveau central, mais moins au niveau local ; cela passe par une institutionnalisation du rôle des collectivités locales.Les premières lois écrites, dans les PSEM, datent des colons ; elles sont le plus souvent inspirées du système juridique français. Sur le plan légal, nous partons donc, au moins au Maghreb, de concepts communs au monde francophone : l’eau n’est pas privée, l’Etat joue un rôle important, des normes et concepts sont communs avec la rive nord (France notamment), et cela constitue un point de départ – qui a le mérite d’exister – possible sur un partenariat régional. Depuis l’indépendance, ces textes ont évolué, certes, mais toujours en s’inspirant du modèle français.Y a-t-il une gouvernance de l’eau au Maroc, ou bien sommes-nous encore dans un système de simple gestion de l’eau ? La réponse conduit à distinguer trois éléments : (i) avant le Protectorat, la gestion de l’eau était traditionnelle. Et cette phase n’est pas oubliée : les lois du protectorat et même a dernière loi (1995) reconnaissent les droits d’eau traditionnels ; (ii) certains principes sont issus de l’Islam, et ne sont pas dépassable car l’Islam est religion d’Etat dit la Constitution, même si cette inspiration peut être très indirecte ; (iii) la loi de 1995 (« loi 10-95 sur l’eau ») traite, pour la première fois, la question de la qualité de l’eau. Sur le plan institutionnel la gestion par bassin a été introduite et des agences de bassins hydrauliques mises en place ; dans chaque Bassin, des PDER mettent en cohérence tous les plans et programmes touchant à la ressource en eau, le programme national devant être une synthèse de ces plans régionaux, mais le Conseil National de l’Eau ne s’est malheureusement pas réuni depuis… 2001. Il y a eu un changement de paradigme : les approches sectorielles passent au second plan ; une commission interministérielle s’est mise en place, puis pour la première fois un Ministère de l’Eau a été créé. C’est la première fois que le terme « Eau » est utilisé au niveau ministériel, cela signale que l’eau est devenue une priorité nationale.Cela dit, ce texte de 1995 n’est pas le seul à s’occuper de l’eau ; la commune a ses compétences propres. Autre élément important : la progression de la gestion déléguée, qui fait l’objet d’un texte spécifique. De même la participation : la loi marocaine reconnaît les ONG, les associations des usagers de l’eau, actives notamment en milieu rural. Bref, le processus législatif et réglementaire marocain sur l’eau est positif et avance.Sur le terrain, qui sont les acteurs clés ? D’abord les Ministères, y compris celui de l’Intérieur – le plus important dans l’affaire, car s’y trouvent la Direction des collectivités locales, et la Direction des régies et services concédés. Le Ministère de l’eau joue un rôle d’orientation, mais le Ministère de l’Intérieur est le ministère de tutelle des acteurs principaux. Et son rôle va croissant car la gestion déléguée progresse au Maroc. Ensuite l’ONEP, qui joue un rôle clé dans l’accès à l’eau potable (le PAGER, Programme d’Approvisionnement Groupé en Eau Potable des Populations Rurales, en est à 88% d’accès à l’eau) ; mais aussi dans l’assainissement (avec des taux d’accès nettement plus faibles mais qui progressent).Aux yeux de H. Tazi Sadeq, tous les Ministères devraient être partie prenante : Tourisme, Education, Affaires étrangères, Commerce, Industrie, car la question de l’eau est aussi une question économique et technologique, potentiellement source d’emploi et de développement productif. Bref une question transversale, que ce soit au niveau national ou au niveau local. Ses suggestions : (i) pourquoi les Régions ne seraient-elles pas mises en adéquation avec les bassins hydrographiques ; (ii) il n’y a pas de loi littorale : pourquoi ne pas intégrer le littoral dans la loi de l’eau (même si la pêche est certes une question spécifique) ; (iii) au niveau euroméditerranéen, un projet d’ensemble serait utile ; mais il devrait être mis sur pied « entre adultes », nous devrions parler non pas de transfert d’information mais de circulation de l’information."Les acteurs du Maghreb ne sont plus dans la situation des années 1970 ou 1980 : leurs ONG ont gagné en maturité ; ils savent reconnaître que des erreurs, technologiques notamment, ont été faites ; et surtout ces acteurs sont prêts à parler avec leurs homologues de la rive nord « comme deux adultes ".

L’articulation entre le central et le local au Maroc : des marges de progrès

Ermenault est très favorablement impressionné par l’avancement du Maroc sur le plan de la gouvernance. La gestion déléguée, telle que la permet la loi cadre de 2005, est plus simple que la loi française. Ill est vrai qu’elle n’est pas traduite dans les faits, mais au moins les orientations sont-elles données. Les services de l’Etat ont la volonté de faire, malgré des effectifs réduits, même si cela a un effet rebours vis-à-vis la décentralisation. Et d’ailleurs cela pourrait nuire à la décentralisation que de vouloir la faire trop vite, en court-circuitant l’étape de la déconcentration. Reste un vrai problème spécifique à la gestion déléguée : les contrats peuvent être touchés par des décisions nationales. En France par exemple, il y a un contrat, avec un arbitrage bien clair le cas échéant ; tandis qu’au Maroc on fait un mariage non à deux mais à trois, avec l’Etat, qui peut toujours intervenir. Là se trouve une marge de progrès.La loi 10-95 a mis de l’ordre dans la gouvernance ; elle a toutefois besoin d’ajustements. Des améliorations sont en cours, notamment à travers des « conventions thématiques », province par province, qui parviennent à mettre autour d’une même table tous les acteurs (El Yalaoui). Les autorités locales sont-elles vraiment demandeuses d’agir et décider, et en ont-elles les moyens ? Il faudrait une étude comparée des systèmes de gouvernance locale, dans la région, en posant la question de savoir comment ils répondent aux préoccupations des citoyens, et si on a suffisamment décentralisé les pouvoirs de décision (Kherraz). Par ailleurs, ce souhait des collectivités locales de mettre en place une gestion intégrée : est-ce une intuition, ou bien est-ce le résultat d’une enquête et si oui laquelle ?Au Forum Mondial de l’Eau à Istanbul, les collectivités locales se sont exprimées sur ce point, y compris celles des PSEM ; et lors du Forum des Autorités Locales de Marseille en 2008, ces autorités locales méditerranéennes (collectivités élues ou nommées mais en tout cas expression des habitants du territoire) l’ont exprimée clairement, et pas uniquement sur l’eau. Pour autant, il ne s’agit pas d’imposer la décentralisation à tout prix. Les autorités locales sont toujours mobilisées pour ces questions (sinon la ville se sent dépossédée), mais on leur donne rarement une partie de la décision, dans la phase de négociation des contrats par exemple (Grondin). Au Maroc, les situations de bonne gouvernance existent ; mais les élus locaux n’ont pas les compétences techniques réelles, le savoir faire étant surtout au niveau central (Ermenault). Attention à ce genre d’observation fait observer Kherraz, car cela sert souvent à ne pas doter les collectivités locales des moyens dont elles ont besoin.“Au lieu de former les techniciens locaux pour, ensuite, leur confier les responsabilités qui devraient être les leurs, on continue à ne pas donner de moyens ni de compétences aux collectivités locales. Et donc on justifie que les décisions soient prises en dehors d’elles”.Il faut certes reconnaître que les élus sont mobilisés par leurs tâches diverses et sont là pour un temps court. Mais les autorités locales pourraient avoir le temps de cette acculturation et de cette formation. Elles devraient jeter davantage de passerelles avec les universités. Rien n’est impossible – même si tout est difficile (Tazi Sadeq).La question de la gouvernance est parmi les plus délicates en Méditerranée. Même au Nord, qui bénéficie de la Directive cadre sur l’eau, la mise en oeuvre est loin du compte. De fait, les acteurs ne participent que peu : pas le temps, pas forcément les outils, ou l’envie… Seuls les plus âgés ont le temps (et parfois la compétence) de le faire. Les Etats ont longtemps fermé la porte ; maintenant la porte est ouverte, mais il faut le reconnaître, personne ne s’y précipite vraiment (Scoullos). Et quand le gouvernement décentralise les compétences, les ressources financières correspondantes ne suivent pas toujours. Dans un certain nombre de pays de la région, l’argent manque pour recruter les compétences, et la corruption progresse. La gouvernance moderne a donc beaucoup de mal à se mettre en place dans les faits. Pourtant il faut éviter de répéter les mêmes arguments qu’il y a vingt ans, ce qui suppose de développer les outils et moyens de la formation, et du capacité building : l’ère du volontarisme est terminée, il faut de vraies compétences, de vrais experts.

Quel est le degré exact de la participation dans la gestion de l’eau en Europe ?

J-F. Donzier fait le point. La Directive cadre sur l’eau fait obligation légale de consulter le grand public dans la mécanique des plans de gestion de l’eau. Sur le papier tout le monde est d’accord ; mais en pratique, on ne sait pas faire. Aucune administration de l’eau dans l’UE n’a l’expérience de cela. Dans les pays qui avaient des Comités de bassin ou de rivières, on savait un peu, mais le grand public n’y était pas. Comment sortir du petit cercle de spécialistes ? Parfois mobiliser le public fait peur, car la critique peut vite venir.La solution tient parfois à des registres de doléances ou suggestion, mais personne ne les utilise vraiment, notamment à l’échelle d’une ville ou d’un bassin. La forme moderne de cette hypocrisie, c’est le site Internet. Mais en réalité seuls les cadres s’y intéressent et y participent. Les Agences de l’Eau, dans le cas français, ont essayé de mobiliser de nouveaux spécialistes : communicants, sociologues…, pour toucher les populations ; ils ont mobilisé des outils de médiatisation spécifiques (y compris les chaînes de télévision nationales via des spots publicitaires) et un langage compréhensible à la population. Mais évidemment, cela coût très cher et n’est pas forcément utile. Plus récemment, on a constaté une mobilisation accrue des municipalités et des ONG de terrain, afin d’organiser une communication très locale, passant par le journal de la commune, par la création d’« ambassadeurs de l’eau » – jeunes étudiants faisant remplir des questionnaires par la population, ce qui s’est révélé plutôt efficace. Puis les questionnaires se sont généralisés, au moins dans les petits bassins, car les 30 millions d’habitants du bassin Seine Normandie empêchent ce genre de méthode. Au total en France, 700 000 questionnaires ont été rentrés ; ce fut une première de voir tant de monde s’exprimer sur l’eau. Certains pays européens ont, dans le cadre de la Directive cadre sur l’eau, fait jusqu’à trois consultations.En Italie, c’est la région, plus proche des populations que l’Etat, qui mène de fait les programmes liés à la Directive cadre sur l’eau (Bortone. Mais la connexion avec les populations reste difficile. Elle est plus efficace quand les choses sont focalisées sur un sujet précis, par exemple la question de savoir où localiser un équipement, une station… Mais sur des projets larges (scénarios, prospective…), il est effectivement difficile de mobiliser.

L’importance d’une gouvernance à l’échelle des bassins

Guy Fradin rappelle le cadre réglementaire de l’action de l’Agence Seine Normandie. La politique de l’eau en France est placée dans un corpus de lois communautaires. Depuis 2000, c’est la Directive cadre sur l’eau qui en fournit la cadre général, dont sont issues les autres directives sur la question. Ce n’est donc pas une politique commune comme la PAC, mais tout de même un cadre législatif communautaire fort, qui oblige les lois nationales à s’y conformer.Au niveau national, le Bassin est un cadre géographique et institutionnel fort. Il faut insister sur l’originalité de cette institution locale particulière, dans un pays administrativement très orthodoxe ; depuis 1964 la France a choisi de gérer l’eau au niveau des six bassins hydrographiques principaux. Ils ont été dotés d’un Comité de bassin puis d’une Agence de l’eau. Depuis 1992, le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) est le plan stratégique de chaque Bassin. Au niveau plus local, des Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) peuvent être mise en oeuvre. La Directive cadre sur l’eau impose des Plans de gestion, pour chaque bassin ; la France a décidé que ces Plans seraient les SDAGE plus un document complémentaire de programmation des actions. C’est le Comité de bassin qui est chargé d’élaborer le compromis et l’articulation entre le SDAGE et le Plan de gestion.Le financement montre une autre originalité surprenante : on déroge au principe constitutionnel de non affectation des recettes de l’impôt à des recettes spécifiques – seul le Parlement pouvant affecter les recettes. Or les Agences de l’eau peuvent prélever l’impôt (redevances) et les redistribuer. Cela leur permet une politique locale de l’eau autonome, et bien dotée financièrement.L’impôt est naturellement fixé par la loi et plafonné par elle ; mais il appartient aux Comités de bassin de préciser les modalités et le niveau des taux. Plus de 90% des recettes proviennent des usagers domestiques ; la facture d’eau reflète le coût de l’assainissement et de l’accès à l’eau potable, à quoi s’ajoutent les redevances pour le Bassin notamment pour la préservation des ressources biologiques, environnementales etc. Globalement, dans le Bassin de la Seine, le prix est de 3 euros/m3, dont 16% sont des redevances pour Seine-Normandie (NB : le budget « eau » des collectivités locales est spécifique, il n’y a aucune porosité avec le budget général donc aucun risque de réduction budgétaire). Cette redevance pèse peu sur les industriels, et ne pèse presque pas sur les agriculteurs. Au total, on aboutit à un autofinancement : l’eau paie l’eau. Le budget annuel de Seine Normandie est d’un milliard d’euros (redevances + emprunts). Au total, les six Agences financement 2 milliards d’euros d’investissements. L’Etat central n’intervient plus dans la politique de l’eau, sauf dans la prévention des inondations.La composition des Comités de Bassin reflète la réalité des acteurs de l’eau, même si évidemment la répartition des représentants est toujours questionnable : 40% d’élus (Régions, Départements, communes), 40% d’usagers (de tous les types : ménages, industriels, agriculteurs, associations environnementalistes etc.), 20% de représentants de l’Etat (central et local). Le Comité Seine Normandie compte 185 personnes, beaucoup plus nommées qu’élues ; le Directeur est nommé par le Ministre.Enfin concernant l’évaluation de l’action des Comités de bassin, les Agences s’y lancent peu à peu (il n’y a pas de tradition de l’évaluation en France). Les Comités de Bassin ont mis sur pied des Comités Scientifiques, extérieurs au monde local. Un travail important se développe d’échange d’expériences entre Agences, pour mieux anticiper les problèmes à venir et mesurer l’efficacité des solutions mises en oeuvre."En France, la culture de l’évaluation des politiques publiques n’existe pas depuis très longtemps, nous en sommes aux balbutiements. Les Agences de l’eau s’y sont lancées".

Débat

La proportion des gens qui savent le prix de l’eau est minoritaire, 40%, et progresse peu (Guerber). En matière de gestion par bassins, l’exemple français est précurseur (Lainé) ; d’autres pays ont-ils des outils voisins, avec les mêmes moyens financiers notamment ?C’est un peu le même système pour le Bassin constantinois, les moyens financiers en moins (Kherraz). Des Agences de bassin ont été créées en 1996, après un grand débat sur la « nouvelle politique de l’eau » en Algérie ; on mène désormais les réflexions sur la gestion par bassin, on y pose bien la question de l’eau comme bien économique, ainsi que les objectifs d’aménagement. Cinq Agences de bassin ont ainsi été créées, dont une pour le Sahara (qui gère la nappe souterraine). Elles ont une mission de connaissance du milieu, de sensibilisation à l’économie de l’eau, de lutte contre la pollution, d’élaboration de Schémas Directeurs d’Aménagement de l’Eau, en interaction avec le Plan National de l’Eau. Ce sont des établissements publics à caractère industriel et commercial, ce qui leur interdit de prélever des redevances. Les Comités de bassin regroupent des représentants de l’Administration, des usagers, des élus (un tiers, un tiers, un tiers). Mais leur rôle est seulement consultatif et informatif. Un texte se prépare, qui pourrait leur donner plus de pouvoir dans l’élaboration du Schéma Directeur. Les choses avancent lentement, la concertation progresse doucement, la sensibilisation du public s’élargit.La Jordanie a mis récemment en place une autonomisation des sociétés publiques de l’eau, par exemple celle d’Aqaba Water Company. Une autre expérience sur ce modèle vient d’être lancée (Bany-Mustapha).En Tunisie, il n’y a pas d’organisation par bassin, on en reste à une organisation d’échelle nationale (Khouaja).

Quelle gouvernance transnationale de l’eau ?

Georges Kamar rappelle que le droit international de l’eau évolue, mais lentement. Votée en 1997 par 100 pays, la convention de New York est la principale convention sur le sujet. Mais elle a besoin de 35 ratifications qu’elle n’a pas encore. De toute façon, en Méditerranée les situations concrètes restent essentiellement liées aux positions amont-aval des pays, beaucoup plus qu’aux dispositions juridiques internationales.Les enjeux de la gestion transnationale de l’eau sont d’assurer une alimentation raisonnable, la lutte contre la sécheresse, la limitation des gaspillages, la préservation des écosystèmes, l’accès à l’assainissement. La convention de New York donne le cadre nécessaire : des Commissions régionales ou sous régionales peuvent être créées, par exemple à l’incitation de bailleurs de fonds. Elles pourraient être constituées à l’image des Agences de bassin, avec présidence tournante, un Comité incluant tous les pays et tous les types d’usagers, des observateurs internationaux, un dispositif de résolution des différends, une recherche coordonnée de fonds auprès des bailleurs. Leur objectif serait de donner à l’eau une ambition écologique et économique, et non plus d’abord politique.

La situation frontalière en Méditerranée

L’initiative des neuf pays se partageant le Nil les a réunis en 1999. Principal résultat : un « programme de visions partagées », chaque programme étant hébergé par un pays hôte plus un autre – pour avoir une pratique croisée. Le « renforcement de la confiance » en est un des principaux. Mais visiblement, il faut plus que dix ans… L’accord a eu lieu dans un climat de confiance… sauf sur un alinéa concernant les parts à répartir entre les pays (problème pour les pays d’aval, Soudan et Egypte). Adly était un des participants à ces discussions, qui ont mobilisé la société civile, rassemblée dans une institution commune transfrontalière. Sur le fond, le volume total de l’eau du bassin du Nil au sens large serait suffisant pour tous les pays. Les négociations ont pourtant des hauts et des bas, et deviennent parfois très aiguës. Le point très positif est la multiplication des séminaires et rencontres.Les discussions commencent tout juste entre la Syrie et la Turquie sur le Tigre (Shalak). Il y a une longue histoire de relations entre Turquie et le Moyen Orient (Baykal). La question frontalière est complexe car elle comporte de nombreux aspects, de l’eau au contrôle des migrations, et à la lutte contre le terrorisme.Il existe treize services de l’eau en Palestine. Leur première conférence s’est tenue l’an dernier, elle a lancé trois groupes de travail pour faire avancer la GIRE. La Jerusalem Water Undertaking (JWU) est considérée comme une ONG, autofinancée, publique, dépendant des redevances de l’eau. Elle assure 50 000 branchements et fournit de l’eau à 300 000 personnes. Cela représente 50 millions de m3/an, dont 11 sont achetés au côté israélien ; mais tout cela ne suffit pas à l’accès de la population à l’eau potable, les pénuries sont régulières. Un important projet est en cours avec KfW. Les difficultés sont évidemment nombreuses pour travailler à Gaza, compte tenu de la politique israélienne – or les accords d’Oslo nous obligeraient à avoir un Comité mixte (Zaid).Un projet de centre de recherche commun en matière de coopération dans le domaine de l’eau se développe entre Jordanie, Israël et Palestine. Un accord a été signé, avec pour témoin une ONG norvégienne, cheville ouvrière, et le gouvernement des Etats-Unis. Le Roi Abdallah a même émis un décret pour sauvegarder ces accords. Mais les Norvégiens se sont retirés du projet, alors que les financements sont indispensables. Depuis 2003, cet outil ne fonctionne plus. Résultat : les accords sont signés mais ne sont pas appliqués (Bany Mustapha).L’Unesco recense 276 fleuves transfrontaliers. Douze ans après New York, on attend encore les ratifications, donc les obstacles restent grands. Mais il y a au moins deux grands systèmes régionaux qui fonctionnent : (i) la zone Europe de l’ONU (UNECE - UN Economic Commission for Europe) où s’applique « convention d’Helsinki » ; (ii) la Directive cadre européenne sur l’eau, qui fonctionne (et bien) sur cette question des fleuves et nappes transfrontaliers : la Directive impose aux Etats membres de l’Union européenne de créer une Autorité de district international, avec Plan de gestion transfrontalier, dans un objectif de performance aussi élevé que s’il s’agissait d’un fleuve national. Le Danube compte ainsi neuf Etats membres de l’UE et neuf membre hors UE, qui ont réussi à bâtir un dispositif commun. En Europe, ce sont de petites Commissions internationales qui fonctionnent, se rencontrent régulièrement, échangent des informations, agissent de concert (répartition de la ressource, lutte contre la pollution etc.). Mais ces succès s’expliquent parce qu’il y a une volonté politique d’avancer positivement (Donzier).Les nappes sont des ressources non renouvelables, mal connues, difficilement mesurables. Or elles sont déterminantes pendant la sécheresse. Le Maroc débute, en matière de « contrats de nappes ». Et puis il y a la question des nappes transfrontalières : quel est l’état des lieux, quelles sont les solutions (Oualkacha) ? Les aquifères souterrains transfrontaliers constituent une préoccupation nouvelle. Un inventaire a commencé sous l’égide de l’ONU, et commence à produire ses atlas. Il n’y en a pas moins de 275 dans le monde. La dernière Assemblée générale de l’ONU a adopté des dispositions un peu moins contraignantes mais voisines de celles de la convention de New York. L’Afrique du Nord est très concernée par cette question. Des accords politiques entre les pays concernés sont indispensables. Il existe un accord Libye-Algérie-Tunisie ; la Commission se réunit périodiquement. Ce n’est pas un traité, mais une entente, qui avance (Khouaja).

S’appuyer sur les conventions existantes

Pourquoi ne pas demander aux Etats de la région de faire signer et appliquer ensemble la convention de New York (Tazi Sadeq) ?La convention n’est pas ratifiée mais elle est quand même utilisée, elle sert de référence de fait (Kamar). C’est le cas entre Syrie et Liban, et même entre Liban et Israël malgré l’absence de relations diplomatiques, et bien qu’Israël n’ait pas ratifié la convention.En plus de la convention de New York et en adéquation avec ses principes, il existe depuis sept ans et dans le cadre dans Nations Unies une convention ratifiée par les pays européens, les Etats-Unis, le Canada… Au total 56 pays, y compris d’Asie centrale etc. ; plus de la moitié des pays méditerranéens l’ont ratifiée – surtout les pays européens et les pays des Balkans, Turquie, et Israël ; manquent l’Afrique du Nord et le Moyen Orient (Scoullos). La RFA a engagé le « processus de Petersberg », une action de capacity building dans le domaine des eaux transfrontalières. Il y a eu une rencontre ministérielle à Athènes, qui a donné lieu à la Déclaration d’Athènes, rassemblant beaucoup de représentants méditerranéens. Il s’agit de mesures « soft ». Mais les choses peuvent avancer, le processus est très positif ; notamment, depuis 2003, les progrès dans les Balkans sont réels, entre des pays qui furent en guerre il y a peu de temps. Ne réinventons donc pas la roue, utilisons ces mécanismes existants pour la Méditerranée.

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