Résumé des débats et principales conclusions

Venus de tous les parties de la région euroméditerranéenne, une quarantaine d’experts du monde associatif, académique, de l’administration publique et des entreprises spécialistes de l’eau se sont réunis en novembre 2009 à Paris (Maffliers). Ce groupe informel a échangé de manière très ouverte, abordant sans tabous les questions les plus sensibles.Les idées à retenir

L’eau n’est pas encore parvenue au sommet de l’agenda politique en Méditerranée

Même sans tenir compte du réchauffement climatique, l’eau est une priorité absolue pour la région. Les choses vont s’aggraver avec la baisse annoncée des précipitations dans la région – une de celles qui, dans le monde, seront les plus impactées par le changement climatique. Or malgré l’ampleur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux liés à l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’eau n’est toujours pas au sommet de l’agenda politique de la Méditerranée. Elle reste une question technique, et non politique (même si les bailleurs internationaux accordent un milliard d’euros pour l’eau dans les PSEM chaque année, fonds Arabes non compris). Il faut dire que l’eau est un domaine difficile à appréhender. Il est possible de répondre à la question « que coûte et que rapporte l’énergie » ; il est beaucoup plus délicat de le faire pour l’eau, dont les acteurs sont très nombreux et les réalités locales extrêmement variées. Un domaine difficile à mobiliser également : la coordination entre le central et le local est complexe ; au niveau central l’eau ne relève pas du seul ministère de l’environnement, ou de l’agriculture, ou de l’industrie, ou de l’équipement et du développement urbain, ou du tourisme, ou de l’intérieur, mais de tous à la fois – ce qui complique son portage politique.

Gestion de la demande, GIRE, impact environnemental : des philosophies d’action

Les nouveaux concepts permettant de mesurer l’impact écologique de l’eau (eau virtuelle, empreinte de l’eau…) ne sont pas encore au niveau d’indicateurs stratégiques d’aide à la décision. La nécessité de donner la priorité à la gestion de la demande s’est généralisée, mais la mise en oeuvre est très progressive. De même la « Gestion Intégrée de la Ressource en Eau » en reste dans les PSEM à l’état de prise de conscience (intégration du coût de l’assainissement dans le prix de l’eau, …).

Le rôle clé et les progrès de la gouvernance

La prise de conscience est également faite qu’une grande partie des problèmes et des solutions relèvent d’une meilleure gouvernance. Plusieurs pays ont pris de bonnes mesures législatives et réglementaires, notamment pour favoriser l’action interministérielle, pour permettre des PPP, pour mettre en oeuvre ou développer la tarification (condition de la pérennité financière du service et condition de la péréquation sociale). Mais la mise en oeuvre prendra du temps, surtout localement du fait de l’insuffisance des compétences (« l’ère du volontarisme est terminée, il faut de vraies compétences ») et des moyens des acteurs locaux. Pourtant, les collectivités locales des PSEM s’expriment sur leur volonté de devenir des acteurs complets dans l’eau et l’assainissement, et pas de simples organes consultatifs. Il reste dans les PSEM beaucoup de progrès à faire – même au Maroc, pourtant particulièrement avancé dans ce domaine – dans l’articulation entre le central et le local. Sur la rive Nord, les choses sont beaucoup plus avancées, notamment sous l’impulsion de la Directive cadre sur l’eau ; mais la participation des usagers reste rare en dépit des progrès récents.

Information, formation, échanges d’expériences, labellisation et financement des projets : faut-il une Agence Méditerranéenne de l’Eau ?

L’information sur l’eau en Méditerranée est à la fois pléthorique et lacunaire. En dépit des multiples institutions existantes (Semide, Plan Bleu, GWP-Med etc.) il n’existe pas encore de vision claire de ce qui se passe dans chaque pays : données de base, enjeux, ressources (surtout lorsqu’elles sont transnationales), besoins, projets, réalisations. Les pays de la région ont, à des degrés différents, mis sur pied des stratégies de l’eau, mais elles sont insuffisamment connues. L’accès à l’information reste épars et inégal, il y a beaucoup d’informations mais difficilement accessibles et rarement mutualisées. En outre tous les pays ne sont pas également prêts à mettre leur information stratégique à la disposition de l’intérêt régional commun.Quant à eux, les échanges d’expériences sont indispensables, et insuffisamment mis en oeuvre. Ils permettraient notamment de mieux sensibiliser au coût de l’eau, de discuter et faire circuler les chiffres de manière informative et critique, de susciter l’autoévaluation et de diffuser les bonnes pratiques. Ils pourraient avantageusement se faire à l’échelle des bassins hydrographiques. La production et la diffusion de la formation sont stratégiques pour tous les niveaux professionnels. Il existe une multitude de formations mais elles sont éclatées ; un « knowledge hub » serait déterminant pour favoriser des politiques pluri-nationales d’échelle euro-méditerranéenne. Resterait à trouver des financements pour développer la formation dans les PSME (faire venir les stagiaires au nord coûte cher), or s’il existe des lignes de financement spécifique de la formation professionnelle dans les pays de la rive nord, il n’y a souvent rien d’équivalent au Sud. Sur le plan des financements, un consensus se dégage sur la nécessité de financer le service de l’eau et de l’assainissement par les « trois T » : taxes, tarifs, transfert. A l’échelle de la région, le financement soulève quatre problèmes : (i) il faut que les bailleurs internationaux identifient les projets présentant une dimension ou un intérêt régional et mettant en oeuvre une bonne gouvernance ; (ii) les bailleurs internationaux et l’UpM doivent se coordonner avec les stratégies nationales – cette coordination n’existe pas vraiment aujourd’hui alors qu’elle est primordiale ; (iii) il faut poursuivre la modernisation législative pour permettre les PPP ; (iv) il faut sécuriser les investissements.Sur tous ces aspects, une meilleure coordination et impulsion paraît nécessaire. Un « hub » voire une Agence Méditerranéenne de l’Eau pourrait assurer cette fonction et devenir l’outil de référence d’une politique euroméditerranéenne commune de l’eau. Cette politique devrait conjuguer l’échelle locale (jumelages, coopération décentralisée…, pour le financement desquels la région devrait pouvoir disposer d’un fond commun), et l’échelle régionale (grands projets structurants, notamment transnationaux ; coordination des fonctions d’information, formation, échange d’expériences, labellisation et études de financement des projets). Elle devrait associer tous les acteurs, car la gouvernance moderne les associe tous ; et elle devrait susciter la création du seul réseau qui n’existe pas en Méditerranée, celui des opérateurs – privés ou publics – de l’eau.

Le rôle des Comités de bassin

Concernant l’échelle locale, l’échelle des bassins hydrographiques ressort plébiscitée du Séminaire. Les Comités de bassins se développent dans plusieurs PSEM (Maroc, Algérie, Jordanie….), avec des plans de développement intégrés. Le Comité de bassin présente trois avantages particuliers : l’autonomie financière, grâce à des redevances sur les usagers (l’eau paie l’eau) ; le recours à des redevances affectées, une façon de limiter les risques de corruption et les risques de transferts budgétaires à d’autres usages ; la présence de représentants locaux de l’Etat, qui en fait un instrument à mi-chemin entre décentralisation et déconcentration. Enfin il peut être une façon de faire avancer de manière concrète la coopération transfrontalière, en parallèle avec la référence (croissante) à la Convention de New York.Le rôle des Bassins doit pouvoir progresser à la fois à l’échelle internationale (mettre en oeuvre une « hydrodiplomatie »), à l’échelle nationale (passer d’une instance consultative à une instance décisionnaire), et à l’échelle régionale (faire des Comités de bassin les acteurs centraux de la coopération euro-méditerranéenne).

Les limites de la « stratégie méditerranéenne de l’eau »

Une ministérielle « Eau » est prévue en Espagne en avril 2010. Mais les avancées de la « stratégie méditerranéenne de l’eau », lancée en Jordanie en décembre 2008, sont limitées par la désignation des Experts qui sont les Directeurs de l’Eau la plupart du temps. On manque ainsi la dimension intersectorielle de l’eau.Les suites à donnerQuatre groupes de travail pourraient être lancés : (i) autoévaluation et indicateurs du service local de l’eau ; (ii) eau agricole, très peu abordée lors du séminaire ; (iii) participation, démocratisation, information ; (iv) Agence de l’eau et régulation régionale commune dans l’eau.

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