Sécurité alimentaire et stratégies d’entreprise en Méditerranée

Le deuxième dîner-débat du Séminaire a été animé par deux représentants du monde industriel. Ahmed Tibaoui est le Vice président du Forum des Entrepreneurs du World Trade Center d’Algérie ; Xavier Beulin est le PDG de Sofiproteol. Leur message est convergent : la nécessité d’une stratégie euroméditerranéenne en matière agroalimentaire.

Exposé de Si Ahmed Tibaoui

Après avoir dressé le paysage de l’agriculture et de l’agroalimentaire dans le monde, A.T. précise le cas de l’Algérie.
Avec des importations de 1,7 milliards de dollars en 2008, sa dépendance agroalimentaire est énorme. Pourtant de vraies marges de manœuvre existent. Cela suppose de bien connecter l’amont agricole aux industries alimentaires.Le pays n’a pas toujours su privatiser des entreprises publiques qui auraient dû devenir privées plus tôt. Mais tout de même, aujourd’hui les deux tiers de la valeur ajoutée agricole d’Algérie proviennent du privé. Les exportations se développent – même s’il est vrai que c’est souvent à partir d’intrants importés.La poursuite de la modernisation ne pourra pas se faire sans coopérations euroméditerranéennes. Si l’on veut que l’Algérie accueille davantage d’entreprises étrangères, il faut que le climat des affaires s’améliore. Or d’une manière générale, à peine 5% des firmes multinationales sont présentes dans les PSEM, c’est trop peu. L’arrivée de la grande distribution peut jouer un rôle d’accélérateur de la modernisation (en termes de délais, de qualité etc.). Au total, il faut que nous conduisions un partenariat euroméditerranéen dans l’agriculture et l’industrie agroalimentaire, filière par filière.

Exposé de Xavier Beulin

Chaque jour la terre compte 250.000 habitants supplémentaires. Le triptyque climat, énergie, alimentation est fondamental. Dans les céréales, depuis vingt ans, on a gagné une production supplémentaire de 500 millions de tonnes, mais d’ici trente ans il faudra gagner 1, 2 milliards de tonnes en plus !Des facteurs négatifs pèsent sur cette prospective : l’incertitude sur l’ampleur du changement climatique ; la question énergétique (même si on peut faire des progrès dans la consommation énergétique de la production agricole) ; le foncier, car il y a un vrai problème de disponibilité durable de terres agricoles ; l’arbitrage dans l’usage des sols, entre alimentation et énergie (à cet égard je vous signale qu’une directive européenne se prépare pour imposer une étude préalable sur le bilan carbone avant toute mise en culture de biocarburants) ; les réformes agraires, auxquelles ne sont pas prêts bien des pays d’Afrique et sud méditerranéens.

Mais il y aussi des facteurs positifs : les avancées de la R&D ; l’investissement dans l’agriculture, et la disponibilité de financements internationaux (même si les programmes BM ne sont pas tous très bons et s’il faut encore faire un gros travail pour faire entrer l’agriculture dans le champ de l’UpM) ; l’existence de méthodes qui marchent, et en particulier la structuration par filières, de l’amont à l’aval.

La modernisation des filières au Sud doit être fondée sur les interprofessions. Ce sont elles qui doivent organiser l’activité, de la collecte à la distribution – non pas pour gérer le marché mais pour le faciliter. Elles doivent pouvoir réguler les filières, promouvoir leurs produits, et orienter la recherche. L’expérience prouve que face à un contexte de concurrence redoutable, l’organisation par filières est une réponse adaptée. C’est après la décision de supprimer les droits de douanes sur les oléoprotéagineux – qui promettait l’écrasement du marché par les produits américains – que la filière française s’est montée. Elle a créé ses outils, sa banque, ses équipements industriels et de conditionnement, a assuré la coordination et a facilité les mises en marché ; et elle a acquis des positions mondiales (alimentation du bétail, biodiesel…). Les pouvoirs publics ont joué le jeu, en acceptant qu’une cotisation soit prélevée sur les producteurs (elle a cessé en 2003). Le gros avantage, c’est que la valeur ajoutée peut effectivement être payée au producteur.Pour moderniser les filières au Sud, la coopération transméditerranéenne est indispensable. Cela suppose l’investissement – donc l’apport de méthodes – des entreprises européennes au Sud, mais aussi des financements publics pour contribuer à la modernisation, qui prendra au moins dix ans. Il faut également pouvoir organiser la coordination entre filières, notamment entre le végétal et l’animal (nourriture animale, fumiers et lisiers…).

Sur le plan politique, nous devons promouvoir une approche régionale associant l’Europe et les PSEM. Cela suppose

(i) de faire passer un cap aux échanges Sud-Sud,

(ii) de dire clairement à l’OMC que le démantèlement tarifaire généralisé n’est pas la bonne approche (Doha sera sans doute mort durant l’année 2010),

(iii) de moderniser les filières au Sud afin d’envisager des échanges Nord-Sud fondés sur la réciprocité (il faut mener un débat en Europe pour faire comprendre que l’exportation pure et simple des produits du Nord vers le Sud n’est pas une option jouable).

Le monde demain prend la forme de grandes régions. L’Europe aurait intérêt à développer un volet Méditerranée dans sa future PAC – et ne pas se satisfaire des perspectives d’exportations alimentaires vers une rive sud de plus en plus importatrice. Un accord de libre-échange préférentiel euromed doit commencer par des échanges Sud-Sud, qui progressent peu. Et il faut agir ensemble pour convaincre l’OMC qu’il ne faut pas commencer par abaisser toutes les barrières douanières, mais qu’il faut le faire d’abord à l’échelle régionale. De toute façon, Doha sera sans doute mort en 2010] 

Débat

Les participants insistent sur l’importance des échanges Sud-Sud, notamment au sien du Maghreb (Karim Daoud, Hassan Benabderrazik).

Réaction à l’exposé de Xavier Beulin : importance clé des filières, en effet.
Réaction à l’exposé d’Ahmed Tibaoui : l’Algérie va devoir s’ouvrir à l’international, elle a plusieurs options : le grand large, la préférence Euromed, le Sud-Sud ; H.B. plaide pour un partenariat inter Maghrébin, comme étape de transition verts une ouverture plus large.
le Sud-Sud est à construire, notamment dans un cadre inter Maghrébin.Ils évoquent aussi la difficulté des PSEM à faire face au défi de la durabilité, et à inscrire une stratégie dans la durée.

L’exemple de ce qu’ont réussi les Espagnols, dans le domaine des organisations professionnelles, devrait faire des émules. Les débatteurs conviennent de l’apport indispensable des méthodes de l’Europe, et du rôle clé que pourrait jouer l’UpM dans ce domaine.
On ne peut pas laisser le continent américain, Nord et Sud (voir les transformations actuelles du Brésil !), approvisionner le monde en produits agroalimentaire. La matière première agricole
– et pas seulement les biens alimentaires
– va devenir de plus en plus stratégique.
Xavier Beulin revient sur la coopération agricole entre Nord et Sud. Agroalimentaire, mais aussi agricole, car l’enjeu se déplacera demain sur la production de la matière première agricole.
 

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