Coopération euroméditerranéenne et financement

Introduisant les débats, Moncef Benabdallah insiste sur l’importance des bons choix dans les trois domaines de la formation (mise à niveau de compétences), des transferts de technologies et de l’innovation, et des financements. Il n’y a pas vraiment de problème de disponibilité de l’argent, mais un problème de mobilisation et de savoir faire dans ce domaine. D’où le besoin de poursuivre ce dialogue pour trouver le consensus ou une large adhésion à une vision commune et à des outils partagés.

Said Chehab défend l’idée que les Mécanismes de développement propre (MDP) peuvent être une source non négligeable de financement. Sur les 37 options technologiques retenues pour les MDP, une dizaine ciblent la production d’électricité et une autre dizaine l’efficacité énergétique. Il existe beaucoup de projets MDP (3 milliards d’euros investis jusqu’en 2012) mais très peu de la région MENA, et lorsqu’il y en a ils viennent surtout d’Israël. Ce sont certes 12 000 Kt évités mais si les pays de la région faisaient le même effort que la Chine, il y aurait un millier d’autres projets. Or il faut insister sur les enjeux : d’après les scénarios du Plan Bleu, le scénario « décarboné » réduirait l’énergie primaire de 20% entre 2007 et 2025 par rapport au scénario tendanciel, soit 25% de réduction d’émissions de CO2.

Mustapha Haddad rappelle les obstacles à une véritable intégration des marchés énergétiques : financiers bien sûr, mais aussi techniques (il faudra augmenter les capacités des liaisons électriques Maghreb-Europe), réglementaires (la directive européenne dit qu’un pays membre peut importer de l’électricité verte jusqu’en 2020 mais ne dit rien pour après, or une politique énergétique a besoin du long terme), et politique. Pour le moment, on ne peut pas dire qu’il y ait une vision partagée entre l’Europe et les Psem en matière de stratégie d’énergie décarbonée. Un seul pays européen a annoncé ses prévisions d’importation d’énergie verte – et très peu depuis les Psem, l’essentiel viendrait de l’hydraulique de l’Est européen. Les échanges transméditerranéens Sud-Nord restent ridicules même si les interconnexions existent. Idem en Sud-Sud. On ne voit pas de volonté politique pour aller de l’avant dans ce domaine, alors que les études ont montré la rentabilité économique d’un tel partenariat.

Concernant le financement de l’énergie dans les Psem, il y a dix fois plus de besoins que de financements régionaux véritablement disponibles. A cet égard, il faut lire le Rapport Resources & Logistics de la Commission européenne (2010) : il propose neuf mesures (partage du savoir-faire, programmes appropriés à chaque pays, financement des interconnexions, etc.). Lire aussi le rapport de la commission Milhaud qui évoque l’absence de coordination entre bailleurs, le besoin d’un plus grand soutien au privé, et propose une banque méditerranéenne de développement avec des instruments financiers spécifiques pour financer le PSM et l’énergie. Ce genre de proposition permettrait de trouver des financements pour des projets qui existent mais ne sont pas financés, comme le chauffe-eau solaire – une innovation facile à développer et pourtant très peu développée au Maghreb.

Agnès Biscaglia et Etienne Viard le rappellent : le rapport de la commission Milhaud a confirmé qu’avec de 20 milliards d’euros apportés au codéveloppement en Méditerranée chaque année, il y avait de l’argent dans la région – mais sans doute cet argent est-il encore insuffisamment orienté vers l’énergie . Les engagements de l’AFD dans l’énergie-climat connaissent un essor considérable depuis quelques années (plus d’1,5 milliard d’euros engagés en 2009 dans les ER). En Méditerranée notamment, les objectifs de l’Agence sont de contribuer à la réalisation d’une continuité électrique autour de la Méditerranée, à augmenter la capacité d’échange Nord-Sud et Sud-Sud, et à renforcer les réseaux nationaux de transport.

Le projet phare, c’est le PSM. Les bailleurs se coordonnent autour de ce projet : AFD, BAfD, BEI, KFW, BM (Clean Technology Fund : une dizaine de centrales CSP) etc. Par ailleurs la coordination se fait avec la Facilité d’Investissement de voisinage de la Commission européenne (CSP, PV, éolien : de nombreux projets dans les Psem), ainsi qu’avec les plans solaires marocain et tunisien ; enfin plusieurs initiatives en PPP sont envisagées. L’AFD dispose d’une combinaison d’outils pour appuyer financièrement le PSM. 

Hervé Allègre présente les activités de la filiale de la CDC dédiée à l’économie du changement climatique et plus particulièrement au lancement des mécanismes de projets carbone. Elle a déjà lancé des actions en Méditerranée, comme le Fonds Capital Carbone Maroc (CDG marocaine), ou la capacité d’investissement pour la région qu’elle développe avec Proparco (AFD). Dans ce domaine, le grand projet est le Fonds carbone Méditerranée qui se monte avec d’autres investisseurs de long terme (KFW, BEI, Proparco, Cassa Depositi e Prestiti notamment, conformément au souci des bailleurs de mieux se coordonner), qui s’ouvrira aux investisseurs du Sud.

Ces MDP peuvent apporter un financement complémentaire de 5 à 20% du coût total des projets dans les ER ou l’efficacité énergétique. Il est vrai que les projets règlementés « MDP » sont souvent assez lourds, prennent du temps et coûtent assez cher à monter. Ils sont donc difficilement applicables aux petits projets dès lors qu’ils sont peu reproductibles.

Le débat

Questions sur les fonds Carbone

Question de Saïd Mouline : il serait intéressant que le transport soit pris en compte dans le Fonds carbone Méditerranée, et il faudrait proposer des choses innovantes mais il demeure un vrai problème de méthode. Dans ce Fonds carbone, y aura-t-il le même conservatisme pour le financement des projets, ou davantage de flexibilité ? Allègre : il est difficile pour les investisseurs de créer un mécanisme. On ne peut pas créer le fonds sans tenir compte du fonctionnement des mécanismes de marché existants. Il y a toujours évidemment une sélection qui est dans la nature des projets (selon coût de l’investissement, sa rentabilité, la viabilité du projet à long terme, le montant estimé des crédits carbone etc.) mais rassurez vous, il y a de la place pour financer les projets d’énergies renouvelables !

Autre question de Said Mouline : le volet de l’additionnalité pose problème. Espérons que le fonds carbone méditerranéen pourra changer ce volet, car nous avons plusieurs projets MDP mais ce critère d’additionnalité nous empêche de lancer ces projets. Biscaglia : pour déterminer le caractère additionnel du projet, il faut évaluer effectivement l’apport des revenus carbone, mais pour calculer cela on dispose de plusieurs méthodologies possibles ; il faut donc se mettre d’accord sur la méthodologie choisie.

Question de Djémila Boulasha : la finance carbone suffira-t-elle pour financer des projets ER ? Biscaglia : la finance carbone, c’est limité. Il y a eu beaucoup de déception au début car les promoteurs pensaient retirer rapidement des financements de ces projets. Le risque sur les prix des certificats sur le marché secondaire pèse sur les acquéreurs, mais sur le marché primaire il y a un partage du risque entre le promoteur et l’investisseur. Pour rappel, les crédits volontaires sur le gold standard sont à un prix inférieur à ceux du MDP et sont achetés au porteur de projet à 5€ l’unité. Allègre : le MDP est un mécanisme de marché qui s’est développé essentiellement sur le marché de carbone européen. Jusqu’en 2020, en raison des engagements de l’UE, on a une bonne perspective de développement de ces projets MDP. Au-delà de 2020, on ne sait pas. Pour les projets REDD (« Reducing emissions from deforestation and forest degradation »), on en reste encore à des mécanismes expérimentaux.

Des instruments financiers pour quelle politique ?

Question d’Ezzedine Khalfallah : quid des Nationally appropriate mitigation actions (« NAMA ») dans les pays méditerranéens ? Cette approche insiste à la fois sur un cadre multilatéral coopératif pour réduire les émissions de GES, tout en reconnaissant la pertinence de mises en œuvre adaptées à chaque pays. Biscaglia : l’AFD travaille à une définition des NAMAs avec les pays du Sud.

Question de Benjamin Gallèpe : on parle de marché mais y a-t-il vraiment un marché ? Parle-t-on d’un marché financier ou d’un marché régional de l’énergie qui permettrait d’effectuer des projets communs ? Allègre : il y a deux sujets. Pour financer les réseaux électriques, il y a Inframed par exemple. Pour financer les projets d’ER, on peut avoir recours à nos fonds carbone ; mais les crédits carbones ne sont qu’un supplément de financement.

Benabdallah  : chaque pays à son plan national alors que les études du Comelec à horizon 2020 montrent les économies qu’on pourrait réaliser grâce à une approche régionale. Allègre : oui mais il y a toujours un risque, celui que des pays souverains décident de se retirer de ce marché régional de l’électricité.

La clôture des travaux est faite par Jean-Louis Guigou et Pedro Moraleda. Le premier résume les discussions des deux journées en insistant sur la nécessité d’une « Communauté euroméditerranéenne de l’énergie ». Le second se félicite de ce partenariat entre l’OME et IPEMED, qu’il faudra poursuivre notamment pour proposer une initiative régionale sur l’efficacité énergétique, compte tenu des nombreuses remarques qui ont porté sur cette question.Si l’on veut assurer cette adéquation entre vision régionale et actions nationales, pourquoi ne pas faire un plan régional des NAMAs ? (Darras).

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