Réunion du Comité d’orientation politique d’Ipemed : Les défis de la transition et le rôle de l’Europe

Jeudi 28 Février 2013
Comme chaque année, le Comité d'orientation politique d'IPEMED s'est réuni à Paris les 22 et 23 février 2013, afin de réfléchir à la refonte des relations euro-méditerranéennes.
Empreint d’une certaine gravité en raison des défis à relever pour les pays, aussi bien de la rive Nord que de la rive Sud de la Méditerranée, la réunion du Comité d'orientation politique (COP) d’Ipemed avait cette année pour thème l’avenir des relations entre ces pays à la lumière des dernières évolutions, notamment en Tunisie et en Égypte, et des défis de la transition démocratique. La mission confiée à ses membres par le président du parlement européen, Martin Schulz, de rédiger une note prospective sur les relations Europe-Méditerranée-Afrique du Nord a renforcé l’intérêt de cette réflexion.

Avant de travailler à la refonte de ces relations, un état des lieux s’imposait. Il a été rappelé que la région connaissait un «réveil volcanique», moment où les peuples se réapproprient leur histoire. Il s’agit d’un processus long, imprévisible et différencié où même les acteurs n’ont pas forcément prise sur les événements. La mainmise sur le pouvoir des partis de l’islam politique, qui font le contraire de ce qu’ils avaient annoncé, a été qualifiée de préoccupante.

D’autant plus que les gouvernements tunisien ou égyptien ne tiennent pas compte de la situation économique et sociale de leur pays et ne semblent pas prendre les mesures indispensables attendues par la population.

L’Égypte n’est pas un bon exemple de transition démocratique car la situation est bloquée et il convient de s’interroger sur les raisons du blocage. L’opposition menace de boycotter le prochain scrutin, qui doit se tenir en avril, craignant que le climat ne soit pas apaisé. Le cop ne remet pas en cause la légitimité des Frères musulmans, mais s’interroge sur leurs capacités à intégrer le jeu démocratique afin qu’ils n’accaparent pas tous les pouvoirs, comme le fait actuellement le président Mohamed Morsi.

Les expériences diffèrent selon les pays. On distingue trois cas de figure: les révolutions qui ont fait tomber les régimes et l’État (Libye et ce sera le cas de la Syrie); celles qui ont vu la chute du régime mais pas celle de l’État (Tunisie, Égypte); enfin, les régimes qui se sont lancés dans la voie de la réforme de l’intérieur (Maroc, Jordanie, Algérie, Turquie). Y a-t-il risque de chaos ? Certains membres du cop ne l’excluent pas en raison notamment de notre incapacité à comprendre la nouvelle réalité. Un point important a été évoqué: la menace islamiste dans la région avec la montée du wahhabisme. C’est un défi à relever pour les jeunes générations.

L’exercice du pouvoir amenera-t-il les gouvernements islamistes à composer avec leur société civile et à être pragmatiques? Les avis divergent. En effet, ce serait supposer qu’ils fonctionnent avec le même logiciel politique, ce qui n’est pas le cas. Ils ont un projet idéologique de déconstruction de l’État moderne, sans projet économique. Les responsables actuels ne prennent pas en compte les revendications des Tunisiens et des Égyptiens descendus dans la rue il y a deux ans.

Ce point de vue n’était pas partagé par tous les participants en raison de l’expérience turque où un grand parti islamiste est arrivé au pouvoir de façon démocratique. L’islam politique n’est pas monolithique. Les partis ont des tendances très différentes, et l’une d’entre elles est compatible avec une démocratie à l’européenne. L’erreur stratégique de l’Europe a été de ne pas l’avoir encouragée. En refusant l’intégration d’Ankara à l’UE elle l’a affaiblie. Actuellement, la tendance conservatrice se renforce et tente de démonter l’État républicain. Une autre interrogation a porté sur la capacité des forces islamistes au pouvoir à rester homogènes ou à se fractionner entre traditionnalistes et modernistes.

Pour neutraliser les tendances radicales, un dialogue doit s’instaurer entre démocrates et islamistes en Tunisie et en Égypte.

Pour certains membres du COP, l’Europe manque de vision et ne s’engage pas suffisamment. Elle se doit d’être davantage à l’écoute, mais de qui? Des nouveaux gouvernements? Des sociétés civiles? Des oppositions? La réponse est délicate car on ne s’ingère pas dans les affaires intérieures des pays. L’Europe doit se donner les moyens d’aller vers les nouveaux acteurs afin de les connaître. Une action plus cohérente de sa part est souhaitée et attendue.

La situation économique catastrophique de l’Égypte ou de la Tunisie oblige l’Europe à répondre aux demandes qui lui sont faites dans ce domaine. Doit-on soutenir une tendance au détriment d’une autre ou plutôt soutenir le processus de la transition? L’absence de mobilisation de l’Europe donne une marge de manœuvre aux pays du Golfe, particulièrement à l’Arabie saoudite et au Qatar. Ce qui est inquiétant en raison de la nature des systèmes politiques de ces pétromonarchies et de leur possible volonté d’imposer un modèle de société. Une fois cette réflexion menée, il y a trois façons de travailler: la voie institutionnelle, celle de l’Union pour la Méditerranée, mais elle a échoué ; celle des projets concernant des domaines majeurs comme l’énergie ou la sécurité alimentaire, mais une somme de projets ne constitue pas une vision. Enfin, une méthode, une procédure à imaginer qui pourrait s’inspirer de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe. Pendant quatre ans, des débats ont eu lieu permettant la signature du Traité d’Helsinki. Pourquoi ne pas imaginer un processus de dialogue, lieu de débat permanent permettant aux pays du Nord et du Sud de la Méditerranée d’aborder l’ensemble des sujets. C’est le plus sûr moyen pour parvenir à une convergence.

A l'issue des travaux du Comité, un dîner/débat, organisé à l'hôtel de Pomereu, mis à disposition par la Caisse des Dépôts, membre fondateur d'IPEMED, a réuni, autour de Kemal Dervis, ancien ministre turc des Finances, grand témoin de la soirée, une soixantaine de personnalités du monde politique, académique et économique de toute la région.



 Compte rendu par Agnès Levallois




Le Comité d’orientation politique d’Ipemed est coprésidé par Carmen Romero, députée européenne et Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale d’Algérie. Composé d’une quinzaine de membres, de sensibilité et de provenance géographique diverses, il contribue à la réflexion et au rayonnement d’Ipemed auprès des décideurs. Ce comité se réunit une fois par an. L’occasion pour ses membres de débattre d’un sujet d’actualité en lien avec les préoccupations d’Ipemed.
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