Réunion du Comité d’Orientation Politique d’IPEMED

Mercredi 01 Janvier 2014
Le Comité d’Orientation Politique d’IPEMED (COP) s’est réuni, comme chaque année, en conclave, les 9 et 10 avril 2014, pour discuter de la situation dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée trois ans après le déclenchement des mouvements de contestation et réfléchir à un nouveau type de partenariat respectueux des évolutions et des processus de transition en cours.
Ont participé à cette réunion : André Azoulay, Aïcha Belarbi, Emma Bonino, Joachim Bitterlich, Georges Corm, Amr El Shobaki, Iqbal Gharbi, Elisabeth Guigou, Eneko Landaburu, Miguel-Angel Moratinos, Fathallah Oualalou, Carmen Romero, ainsi que Eric Diamantis, Jean-Louis Guigou, et Radhi Meddeb et Agnès Levallois, en qualité de Secrétaire de séance.
Aïcha Belarbi a été proposée au poste de co-présidente du Comité, aux côtés de Miguel Angel Moratinos. Sa nomination sera soumise à la validation du prochain Conseil d’administration d’IPEMED, en juin prochain.

Nouvelle présidence
Le nouveau président du Comité d’Orientation Politique, Miguel Ángel Moratinos a souhaité la bienvenue à tous les membres et remercié en premier lieu la confiance qui lui a été offerte pour exercer la présidence et en particulier Jean Louis Guigou qui lui en a fait l’offre.
M. Moratinos a exprimé sa reconnaissance envers l’équipe précédente et a signalé qu’il venait juste de rencontrer M. Abderrahmane Hadj Nacer en Algérie et que ce dernier lui avait demandé de saluer de sa part les membres du COP.
M. Moratinos a exprimé sa volonté de donner une impulsion nouvelle au COP avec comme objectif prioritaire de le rendre plus fonctionnel. Il a considéré qu’actuellement nous vivons un moment confus, une sorte d’impasse en ce qui concerne la relation de coopération et de dialogue euro-méditerranéen. Ni les dirigeants du Nord ni ceux du Sud n’ont une vision claire pour relancer la coopération euro-méditerranéenne et, dans ce sens, il considère que l’IPEMED, en général, et le COP, en particulier, peuvent jouer un rôle fondamental pour relancer ce dialogue euro-méditerranéen si important.
Ainsi, M. Moratinos a proposé que le COP se réunisse au moins deux fois par an et que ses membres mènent une campagne de sensibilisation et de mobilisation aussi bien dans leurs pays respectifs que dans des pays tiers.
M. Moratinos en tant que président du COP souhaite diriger un Comité d’Orientation Politique qui soit plus participatif et qu’à la fin de cette année il puisse offrir des résultats plus concrets.
Ensuite, la discussion s’est engagée à partir de la note rédigée par le président du COP, Miguel Moratinos et Agnès Levallois et qui avait été adressée aux membres du COP avant la réunion.
A partir de l’analyse de la situation qui prévaut sur les rives nord et sud de la Méditerranée, Miguel Moratinos a rappelé que l’objectif de cette réunion était de réfléchir aux actions possibles pour mobiliser les politiques.  En effet, si les changements dans la région ont été importants il y a un « trou noir » de l’action politique.

 Le temps long des mouvements de contestation
Les changements que connaissent les pays de la rive sud de la Méditerranée s’inscrivent dans le temps long et les situations sont différentes selon les pays. Elles se caractérisent par des ruptures en Tunisie, Egypte et Syrie ; par la réforme au Maroc et l’inertie en Algérie. Il s’agit de processus qui évoluent lentement engendrant des frustrations et avec un risque d’effondrement des États. Il convient donc, face à cette situation, d’aider les sociétés civiles plus et mieux.

Un contexte contrasté
- L’actualité ; le présent et le court terme sont très pesants à vivre. Les révoltes arabes n’en finissent pas d’obscurcir l’horizon : la Syrie, la Libye.
- A cela s’ajoute le défaitisme européen, la peur du déclin,  les endettements.
- Par voie de conséquence, l’opinion publique française est las, sceptique. Cette opinion publique est fortement influencée par le populisme et les sentiments anti-arabes de Marine le Pen.

Il y a un momentum : un moment privilégié pour renouveler et enrichir le dialogue euro-méditerranéen :
-          La sortie de la crise européenne et la recherche de relais de croissance.
-          La crise en Ukraine qui, paradoxalement, redonne de l’intérêt au Sud.
-          La sortie de la crise énergétique en Europe.
-          La convergence des valeurs (sondages d’Annah Lindt).
-          La régionalisation Europe - Méditerranée - Afrique (Fondation « la Verticale »).
-          La réindustrialisation possible en Europe et en Afrique du Nord.

Situation en Egypte
Une majorité écrasante d’Egyptiens soutient le processus actuel car ils ne veulent pas de chaos et Amr El Shobaki récuse l’idée du « chaos constructif ». Il est possible, selon lui, d’intégrer une tendance des Frères musulmans dans le jeu politique mais à la condition qu’ils acceptent de se constituer en parti politique – ce qu’ils ont refusé jusqu’à maintenant - et non de rester dans une logique d’organisation secrète.
Il convient de maintenir un processus démocratique, des élections libres et la réconciliation est possible mais seulement avec ceux qui respectent l’État nation.

Situation en Tunisie
Les femmes ont joué un rôle déterminant contre l’extrême droite religieuse, pour reprendre l’expression d’Iqbal Gharbi, elles ont même été un rempart contre cette force. Les slogans qui ont été brandis étaient universels et n’étaient en rien dirigés contre l’Europe. Celle-ci est présente culturellement dans le mouvement de contestation et cela s’est reflété dans la Constitution et d’ailleurs l’ancrage méditerranéen de la Tunisie est acté dans le texte. Le nombre impressionnant d’ONG majoritairement liées à l’Union européenne et à l’ONU ont joué un rôle fondamental pour faire face aux tentatives de destruction de l’État.

Où en sont les trois exigences des révolutions ?
Au delà de l’analyse de ces deux pays, les membres du COP ont estimé, suivant en cela Radhi Meddeb, que parmi les trois exigences fondamentales exprimées lors des soulèvements, liberté d’expression, meilleures conditions sociales et amélioration de la situation économique, les deux dernières sont encore largement insatisfaites. La croissance ne fait pas le développement et l’inclusion n’a pas touché toute la population. La croissance n’ayant pas été inclusive, elle a laissé de côté des pans entiers de la société et elle a manqué de gouvernance. La question de l’emploi est primordiale sans que des mesures adaptées soient prises pour la régler.

Il faut réfléchir à un nouveau modèle de développement en tirant les leçons des défaillances passées dans un cadre Sud/Sud et Nord/Sud.
Rapidement une première remarque s’impose : l’Europe a manqué le rendez vous des révolutions en n’exerçant pas de suivi des situations et, aujourd’hui, elle doit partager la gestion de l’Ukraine avec la Russie et revenir en Méditerranée. Quant aux forces internes, elles ont elles aussi manquées un rendez vous, celui de rassembler les forces laïques et religieuses pour parvenir à un compromis historique.

Manque d’ambition de l’Europe
L’Europe est absente, elle ne cherche pas à avoir de politique résolument méditerranéenne et elle agit dans un cadre atlantique plus que méditerranéen. Lors du sommet de Deauville, c’est le FMI qui a défini les règles à ses conditions à savoir encore plus de libéralisme. Certains pays européens sont intervenus mais sur le plan militaire (cas de la Libye) aux côtés de l’OTAN et, dans une moindre mesure, des États-Unis. Mais que viennent-ils faire dans cette zone pour reprendre l’interrogation de Georges Corm ? Il est un fait que la capacité d’intervention et d’influence de l’Europe sont faibles dans les conflits et la tendance lourde de l’Europe est d’être dans le sillage de Washington quelles que soient les administrations américaines.

L’Europe a manqué et manque d’ambition dans son soutien aux révolutions car il existe un clivage en son sein : interventionnisme français et non interventionnisme de l’Allemagne (même si la position de ce pays bouge) selon les propos d’Eneko Landaburu. Les deux outils à disposition étaient inadaptés : l’UpM est une chimère et la politique de voisinage une conception euro centrée ne correspondant pas aux besoins des pays du Sud, l’Europe parlant de sécurité ce qui est un problème avant tout pour le Nord. Il y a une incapacité des hommes politiques à vendre un narratif sur le pourquoi de la relation avec les pays du Sud. Il faut dans ce cadre aborder la question des mobilités, des échanges commerciaux et donc de l’ouverture des frontières.

L’Europe n’est pas la seule responsable de cette situation
La responsabilité n’est pas du fait de la seule Europe, tout le malheur de la Méditerranée ne vient pas de l’Europe pour reprendre les propos d’Emma Bonino. Il est un fait que la réalité maghrébine n’existe pas, les pays du Sud ne se parlent pas. Le Sud est un espace géographique et non politique. Il en résulte qu’il faut d’établir une relation pays par pays en l’absence d’intégration Sud/Sud car il n’existe pas d’espace partagé. Et Aïcha Belarbi d’interroger : que peut faire l’Europe pour aider à cette intégration Sud/Sud et l’Europe veut-elle vraiment un Sud libre et démocratique ?

Stratégie globale pour la région tout en travaillant sur le bilatéral
L’Europe ne peut pas se passer du Sud et le statu quo n’est plus tenable. Mais face à l’absence d’espace intégré au Sud il faut envisager la différenciation qui peut provoquer une dynamique et l’équité. Cette différenciation permettrait de vrais accords selon les propos tenus par André Azoulay et Joachim Bitterlich. Ce dernier prenant soin d’ajouter qu’il faut que les Européens cessent de vouloir exporter leur modèle.

L’Europe se doit d’avoir une stratégie globale pour la région tout en travaillant sur le bilatéral mais en faisant attention à ne pas se limiter aux pays du Maghreb : c’est l’espace méditerranéen dans son ensemble qu’il faut appréhender.

Fathallah Oualalou d’indiquer que, par exemple, la nouvelle politique industrielle au Maroc est financée par les pays du Golfe donc en dehors d’une logique maghrébine et européenne. Cela veut dire que l’Europe n’est plus le seul joueur. Mais avec la puissance déployée par les pétromonarchies les sociétés peuvent en être changées.

Comment faire de la crise ukrainienne une opportunité pour la Méditerranée ?
Le risque est grand aujourd’hui, avec la crise ukrainienne, que l’Europe ne regarde que vers l’Est aussi bien sur le plan politique qu’économique. S’ajoute à cela la nouvelle donne énergétique mondiale à laquelle l’Europe doit repenser. En conséquence de quoi, elle pourrait s’intéresser à l’énergie et au climat ce qui serait de nature à lui redonner de l’élan selon le vœu exprimé par Elisabeth Guigou.  L’importance de la question énergétique a également été soulignée par Carmen Romero qui pense elle aussi que cela peut donner un rôle  important à l’Europe.

La centralité de la question palestinienne
Plusieurs participants ont rappelé que la question palestinienne reste centrale même si on en parle pratiquement plus. L’Europe a démissionné, seuls les États-Unis continuent à s’y intéresser car ils sont partie prenante aux côtés d’Israël ce qui du coup les empêchent d’être un vrai médiateur.
Enfin, la Méditerranée des projets est insuffisante il faut un projet méditerranéen.
Pour cela, les membres du COP veulent profiter du renouvellement des instances européennes pour appeler à la création d’un Commissaire à la Méditerranée.
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