Une tribune de Jean-Louis GUIGOU sur LesEchos.fr : Le traité asiatique de libre-échange, un exemple pour « l'Eurafrique »

Lundi 07 Décembre 2020
 
TRIBUNE

Opinion | Le traité asiatique
de libre-échange, un exemple pour « l'Eurafrique »

L'accord signé par les pays asiatiques va renfoncer l'intégration cette région économique. Dans une tribune aux « Echos », Jean-Louis Guigou, fondateur de l'Ipemed, espère qu'Européens et Africains sauront s'en inspirer.

 

Par Jean-Louis GUIGOU
Président de l’IPEMED

Publié PAR LESECHOS.FR
le 27 novembre 2020 à 12:15
 
 

En marge du 37e congrès de l'Asean, la Chine a entraîné les pays du Sud-Est asiatique, mais aussi le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande et l'Australie, à signer un accord de Partenariat économique régional global (RCEP). Cet accord régional du 15 novembre rassemble des Etats qui représentent 30 % du PIB mondial et 30 % de la population mondiale.

Cet accord dépasse le cadre du strict libre-échange. Il comprend vingt chapitres traitant du commerce physique et digital, mais aussi de la formation, de l'investissement, des normes, de la propriété intellectuelle. C'est un accord global qui va considérablement renforcer l'intégration régionale - qui atteignait déjà, en 2011, 53 % dans la destination des exportations, 45 % dans la destination des investissements directs à l'étranger - mais aussi la redistribution régionale de l'appareil de production et l'attractivité régionale.

Régionalisation de l'économie

Ce que font les Chinois prépare le monde post-Covid en valorisant la proximité, la recherche de la souveraineté, la complémentarité, et la solidarité entre pays voisins ayant des niveaux de développement différents.

De plus en plus, les inconvénients de l'éloignement de la production dépassent les avantages des bas coûts salariaux. Les atouts de la proximité apparaissent : adaptation fine et rapide de la production à la demande, réduction des coûts écologiques, densité des relations interhumaines dans l'économie de la connaissance, réduction des risques monétaires. Les atouts de la complémentarité également : des pays, suffisamment proches, de niveau de développement différents peuvent définir ensemble des stratégies gagnantes. C'est pourquoi le dogme des chaînes de valeur globales est ébranlé par des logiques plus locales ou régionales, mieux à même de développer les biens communs (innovation, sécurité, biens environnementaux…), de créer de la valeur d'une manière plus inclusive et plus durable.

La régionalisation de l'économie a le vent en poupe. Telle est l'opinion de Kevin Sneader, « general managing partner » chez McKinsey exprimée au forum de Paris pour la paix. Parlant de relocalisation, il dit « plutôt qu'une logique de rapatriement [au niveau national], on devrait voir s'amplifier une tendance à la régionalisation, déjà à l'oeuvre en Asie, en Europe et qui s'accentuera aussi en Amérique ».

Les études du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) montrent, à l'évidence, la construction progressive - avec le compactage des chaînes de valeur - de trois grands « quartiers d'orange » : des régions hémisphériques associant, des pays du nord, (Chine, Amérique, Europe) matures et vieillissantes, à des pays du Sud (Sud asiatique, Amérique du Sud, Afrique) jeunes et en croissance.

Nouveau narratif

Dans ce contexte, la méga-région Afrique-Méditerranée-Europe a pris du retard. La confiance n'est pas encore là, tant que le passé colonial ne sera pas neutralisé dans les consciences. Ce moment de l'inventaire colonial va bientôt arriver, il faut l'espérer. Mais, il faudra aussi accélérer la régionalisation des économies des pays européens, des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée, et de l'Afrique. Il faut s'y préparer au plus vite. Comme le disent les jeunes algériens du mouvement Hirak : « On ne rattrape pas le temps perdu, mais il faut arrêter de perdre du temps ».

Le passage à l'acte exige que les Européens proposent et élaborent avec les Africains un nouveau narratif, une histoire crédible. Ce nouveau narratif devrait se construire ensemble autour de la volonté de reconquête de la souveraineté économique et politique de l'Europe et de l'Afrique et le refus de la colonisation par des puissances étatiques ou économiques extérieures.

Cela passe par la création de quatre outils que les pays asiatiques et les deux Amériques ont mis en place, avec succès pour encore davantage se rapprocher et régionaliser leurs intérêts : un instrument intellectuel, sous forme d'une fondation, pour recréer de la confiance, des consensus et objectiver les débats en mobilisant les milieux scientifiques ; un outil financier pour assurer la mobilité des capitaux et la sécurité des investissements ; un traité économique de coproduction avec redéploiement de l'appareil de production ; un outil léger de concertation politique.

Le moment est venu de penser autrement, d'échanger autrement et d'agir autrement avec les pays africains. La Chine nous donne l'exemple d'une régionalisation réussie au sein de son « quartier d'orange ». À nous de l'imiter et faire mieux au sein de notre grande Région Afrique-Méditerranée-Europe.

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