IPEMED partenaire du SIA 2014 - L’agriculture familiale : un atout pour la Méditerranée

Vendredi 06 Novembre 2015
Le secteur agricole des pays méditerranéens articule des agricultures familiales en mutation avec un modèle agro-industriel, sans oublier une part non négligeable d’agricultures de subsistance. La réhabilitation de l’agriculture familiale représente donc un enjeu majeur pour la région et les politiques publiques gagneraient à mettre l’agriculture familiale au centre de leur modèle de développement agricole. Compte tenu de l’importance de son rôle, elle doit être protégée et soutenue : des signaux forts doivent être donnés pour améliorer sa compétitivité et sa production. Une meilleure coopération régionale euro-méditerranéenne en faveur de l’agriculture familiale pourrait avoir comme axe prioritaire un échange des savoir-faire et des bonnes pratiques entre le Nord et le Sud ; et ce d’autant plus en cette année 2014, proclamée « Année internationale de l'agriculture familiale» par l’Organisation des Nations Unies.

Pour répondre au double défi de sécurité alimentaire et de développement rural durable, les exploitations agricoles familiales disposent d’un potentiel de transformation en entreprises économiquement viables, socialement et écologiquement responsables. Comment libérer ce potentiel ? Quels enjeux pour les exploitants agricoles, du Nord et du Sud de la région ?

Tel est l’objet de l’atelier sur l’agriculture familiale en Méditerranée animé par Lucien Bourgeois, Economiste et membre de l’Académie d’agriculture de France.

L’agriculture familiale domine le secteur agricole dans les PSEM

L’agriculture familiale repose principalement sur une main d’œuvre familiale qui articule fortement l’unité de production (l’exploitation agricole) et l’unité domestique. Marginalisée depuis de nombreuses années, y compris dans la recherche et la production, délaissée par les gouvernements au profit d’une approche plus libérale, l’agriculture familiale domine pourtant le secteur agricole dans les PSEM. Ses apports sont nombreux et reconnus, précise Mohamed Elloumi : contribution à la sécurité alimentaire, réservoir d’emplois (près de 50 % de la population des PSEM vit encore du monde rural) et de biodiversité et amortisseur des crises que connaît le monde rural. Fortement ancrée dans les territoires, elle n’est pas délocalisable, contrairement à l’agriculture de firmes.

Pour la conforter, plusieurs défis doivent être relevés : favoriser la stabilité du monde rural, car d’elle dépend aussi la stabilité politique des PSEM ; réduire les fractures entre les zones du littoral et celles de l’intérieur et entre les mondes rural et urbain ; créer des emplois et réduire le chômage ; adapter le secteur au changement climatique; enfin, améliorer la sécurité alimentaire dans ses multiples dimensions.

Les travaux de la FAO, qui a initié récemment cinq dialogues régionaux, notamment en Tunisie, révèlent des difficultés structurelles qui ont un impact direct sur l’agriculture familiale : le morcellement des terres et la forte diminution de la taille des exploitations, entraînant un problème de rentabilité ; la féminisation de l’agriculture familiale (et les difficultés en matière d’héritage et d’accès aux crédits que cela induit) et le vieillissement des exploitants (en Tunisie, 50% de la population a plus de 60 ans).  

En l’absence de données précises au Sud de la Méditerranée, les gouvernements ont du mal à définir des politiques publiques adaptées concernant les populations vivant en milieu rural. Un agenda pour la recherche pourrait utilement être développé et les filières (et pas seulement la production) devraient également faire l’objet d’analyses précises.

Dès lors, les autorités politiques doivent opter pour des politiques agricoles en faveur d’un meilleur ancrage territorial de ce type d’agriculture, renforcer la différenciation des produits et des filières courtes ; augmenter les opportunités d’emploi en milieu rural ; reconnaître les multiples fonctions de l’agriculture familiale et mettre en place un cadre juridique qui sécurise le statut des exploitations familiales.

Un potentiel à libérer

Plusieurs préalables doivent être mis en place pour permettre à l’agriculture familiale d’exprimer son potentiel : sécuriser l’accès aux ressources naturelles ; améliorer l’infrastructure et l’accès au marché ; diversifier l’économie rurale locale ; améliorer l’accès au financement sans pour autant aggraver l’endettement des agriculteurs ; améliorer le cadre institutionnel et renforcer les organisations professionnelles ; faciliter l’accès à l’innovation et mettre l’agriculture familiale au centre du modèle de développement agricole.

Autant de pistes qui pourraient être utiles  à la définition de politiques ambitieuses à mettre en œuvre dans la région, auxquelles Pascal Bergeret, Directeur du CIHEAM-IAM Montpellier, ajoute trois points prioritaires :
- mettre en place une planification inclusive, pour entendre davantage la voix des exploitants ;
- renforcer la protection sociale des agricultrices et des agriculteurs ;
- identifier des axes de complémentarité et des partenariats « gagnant-gagnant » entre l’agriculture familiale et l’agro-industrie.

Le Plan Maroc Vert : une expérience utile pour la région

En matière de politiques agricoles dans la région, la stratégie marocaine du Plan Maroc Vert lancée en 2008 mise sur les exploitations familiales pour accroître la productivité agricole et l’emploi en milieu rural. Toutefois, à ce stade d’avancement, il est encore prématuré de s’avancer à produire un bilan et d’affirmer que le dualisme agraire entre une industrie agro-alimentaire et des petites et moyennes exploitations s’est réduit.

Selon Hassan Benabderrazik une analyse critique de ce plan permet à l’heure d’aujourd’hui de dégager plusieurs pistes qui pourraient être utiles aux autres pays de la région : une action sur le foncier à renforcer, notamment dans la reconnaissance des droits de propriété et l’utilisation de ces droits comme des actifs mobilisables ; une gestion de l’accès aux ressources ; un accès aux crédits ; la mise en œuvre de mécanismes formels de nantissement et la mise en place de politiques de regroupement des agriculteurs. Enfin, une bonne gestion de la transition démographique des exploitations est également fondamentale.

La PAC et PSEM : des bonnes pratiques à partager

En matière agricole, les incompréhensions entre le Nord et le Sud de la Méditerranée persistent. L’Europe, en adoptant une nouvelle politique agricole commune (PAC) en 2013 a-t-elle tourné le dos au Sud ? C’est en tout cas la perception de nombreux producteurs agricoles dans les PSEM. Pour Pierre Bascou, chef d’unité à la Direction générale de l’agriculture et du développement rural à la Commission européenne, la nouvelle PAC est essentiellement influencée par des considérations internes à l’Europe et a pour objectif de contribuer à la sécurité alimentaire des pays voisins, non membres. Des bonnes pratiques de la PAC reprises par les PSEM dans le cadre de leurs programmes de développement agricole et rural pourraient être à même de moderniser les petites et moyennes exploitations agricoles de type familial.

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