L’innovation au service d’un développement rural durable et d’un équilibre des territoires : clusters de bioéconomie circulaire et microalgues

Mercredi 01 Mars 2017
Jean-Louis Rastoin, Professeur émérite à Montpellier SupAgro, expert associé de l’Ipemed

Cette analyse de Jean-Louis Rastoin, Professeur émérite à Montpellier SupAgro, expert associé de l’Ipemed, a fait l’objet d’une publication dans CDurable.info le 10 février 2017.

Pour plus d’informations sur le sujet des mico-algues, nous vous invitons à consulter le rapport publié par l’Ipemed en juillet 2016 : « Le secteur des micro-algues en Méditerranée ».

 

En France, en Europe, et dans une majorité de pays du monde, on observe depuis des décennies une croissance urbaine soutenue qui s’accompagne d’un exode rural et d’une baisse sévère de la population active agricole. Ainsi 5 millions de personnes ont quitté un habitat rural pour rejoindre les villes en France entre 1950 et 2015 (-29 %) et les projections donnent une baisse de 25 % d’ici à 2050 (- 3,3 millions). Dans l’UE, ce sont 41 millions de ruraux en moins qui sont prévus dans les 35 prochaines années (— 32 %). En Afrique, la population rurale devrait continuer à augmenter (+ 360 millions à l’horizon 2050), mais le problème lancinant de la pauvreté des ménages agricoles va continuer de se poser. 

La question des inégalités territoriales est donc posée, avec une ampleur qui accompagne la croissance démographique mondiale. Le scénario tendanciel, qui est aussi celui de la routine, de la pensée unique et des intérêts du modèle économique dominant, se caractérise par des villes de plus en plus peuplées, denses et étendues qui concentrent les activités économiques, la richesse et les services, mais dans le même temps amplifient ou génèrent des externalités négatives sociales et environnementales. L’espace rural constitue ainsi un enjeu majeur, dont trois des potentialités importantes sont l’emploi et le bien-être social, la lutte contre le changement climatique et la production de ressources renouvelables. Pour ces trois critères, les territoires ruraux disposent d’importants atouts. 

Il y a urgence à repenser notre modèle de développement en le rendant plus durable et donc plus équitable, notamment en restaurant un équilibre entre espaces urbains et espaces ruraux. Dans ce changement de paradigme, l’innovation de progrès va jouer un rôle considérable. La recherche propose aujourd’hui un nouveau concept pouvant servir de socle à un développement rural durable tout en générant des aménités positives pour les zones urbaines : les clusters de « bioéconomie circulaire territorialisée », c’est-à-dire les grappes d’activité fondées sur la valorisation en boucle de la biomasse.

 

Microalgues : un potentiel diversifié pour la bioéconomie

Les algues, et en particulier le plancton microalgal représentent la moitié du gisement mondial en biomasse, avec un effet « puits de carbone » correspondant. Or les ressources renouvelables et leur valorisation à travers des processus de bioraffinerie envisagés dans un contexte de durabilité (externalités positives environnementales et sociales) sont appelées à un grand avenir, d’autant plus qu’elles peuvent contribuer à la résilience au changement climatique. Les co-produits des microalgues sont nombreux et viennent se substituer aux molécules chimiques de synthèse : en l’agriculture (fertilisants et produits de traitement phyto et zoo-sanitaires ; dans l’industrie molécules à haute valeur ajoutée [santé, cosmétique, alimentation humaine, protéines pour l’alimentation animale] ; dans la production énergétique (méthane, carburants).

Compte tenu de la rareté des ressources en biomasse, d’un ensoleillement exceptionnel dans les pays du sud de l’Europe et de la Méditerranée et de l’importance des surfaces maritimes et lagunaires, les microalgues pourraient constituer une opportunité dans cette région[1].

 

Opportunité stratégique pour la région méditerranéenne

Il importe d’imaginer un modèle économique adapté aux contraintes géographiques méditerranéennes qui présentent une configuration dichotomique en fonction du milieu : d’un côté des mégalopoles côtières insérées dans un espace industriel et des infrastructures denses, de l’autre un espace rural souvent enclavé et sous-équipé.

Dans le premier cas, les technologies occidentales, japonaises ou chinoises ou celles qui émergent localement devraient convenir et seront mobilisées par les grandes firmes des énergies conventionnelles par autofinancement et recours au marché financier. Un marché prometteur de dépollution et de co-produits sera stimulé par les accords de la Cop 21.

Dans le second cas, il s’agit de promouvoir un développement rural durable intégré. Un nouveau modèle économique est à inventer. Il sera fondé sur le concept de « bioéconomie circulaire territorialisée » et son socle sera l’agriculture familiale mise en réseau avec son amont et son aval en s’appuyant sur des capteurs et des plateformes de mutualisation de connaissances, d’intrants et de canaux logistiques. Les microalgues élevées sur des bases de procédés robustes pourront jouer un rôle important de gestion de déchets et de source de co-produits énergétiques et alimentaires à haute valeur ajoutée. Par exemple, des fermes microalgales — souvent dans une forme coopérative — trouveront leurs intrants dans la méthanisation et le compostage de lisiers animaux ou de végétaux non comestibles en s’approvisionnant auprès des exploitations agricoles du territoire et susciteront en tant que fournisseurs de biomasse des activités nouvelles ou complémentaires dans les PME agroalimentaires, cosmétiques et chimiques de leur proximité.

Le développement rural durable intégré sera structuré et stimulé par des entreprises agricoles, artisanales, industrielles et commerciales tirant leurs ressources de la bioéconomie et leur efficacité d’un réseau d’échange facilité par des capteurs d’informations [agriculture de précision, traçabilité et logistique], les connexions Internet et une plateforme commune de stockage et partage des données produites par les acteurs du réseau. La synergie entre les biotechnologies — au sein desquelles les microalgues devraient occuper une place de premier plan — et les technologies de la communication seront les outils de ces entreprises rurales post-modernes. Un tel scénario est cohérent avec la vision du prospectiviste de l’université Wharton aux États-Unis, Jeremy Rifkin, qui imagine une 3e révolution industrielle s’appuyant sur les énergies renouvelables [dont la biomasse], Internet et une large décentralisation des activités productives.

La création de filières microalgales dans les pays méditerranéens suppose la définition de stratégies nationales coordonnées au-delà des frontières au niveau régional euro-méditerranéen et des dispositifs adaptés aux besoins locaux dans la chaine des savoirs [R&D, formation], les entreprises et le secteur public. Une grande attention doit être accordée à la structure de la chaine de valeur en termes de dimension des acteurs et de répartition des coûts et des marges [recherche d’un équilibre dans les pouvoirs de marché]. Les applications des microalgues doivent être considérées comme des outils au service d’un développement rural durable et en conséquence être intégrées dans des programmes territoriaux.

 

 

[1] Cf. Rapport microalgues, Ipemed, 2016 : http://www.ipemed.coop/fr/publications-r17/etudes-analyses-c108/le-secteur-des-micro-algues-en-mediterranee-a2835.html

 

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