Pour une politique agricole et alimentaire euro-méditerranéenne fondée sur la proximité et le partenariat

Dimanche 23 Septembre 2012
Amal Chevreau et Jean-Louis Rastoin

 Les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM) vont être confrontés, dans les décennies à venir, aux redoutables défis de la sécurité alimentaire et du développement durable.

La facture alimentaire des PSEM (coût des importations) s’est élevée à 56 milliards USD en 2010, et dépassera 70 milliards en 2030 du seul fait de l’augmentation de la population, hors nouvelle flambée – hautement probable – des prix sur les marchés internationaux de produits de base.

La hausse des températures et l’aggravation des sécheresses pourraient faire diminuer les rendements de 30% dans la zone méditerranéenne, ce qui alourdirait encore le déficit alimentaire.

Par ailleurs, la montée rapide des maladies d’origine alimentaire (obésité, pathologies cardiovasculaires et diabète), liée à l’abandon de la diète méditerranéenne et à l’évolution des modes de vie compromet la santé publique.

On peut donc parler, pour les PSEM, d’une situation potentielle d’insécurité alimentaire critique et donc de non-droit à l’alimentation au sens des Nations Unies.

Dans les PSEM, l’agriculture et les activités liées font vivre au moins 72 millions de personnes (25% de la population totale). Du fait de la démographie, il faudra créer autour de 2 millions d’emplois par an entre 2010 et 2030, en plus de la résorption indispensable d’un chômage structurel élevé.

Le contexte politique a profondément changé depuis les révolutions arabes du début 2011 et a conduit à remettre l’accent sur les zones rurales marginalisées par la priorité donnée par les anciens dirigeants à l’industrie urbaine, au tourisme côtier bétonneur et aux mégalopoles.

Pour l’UE, l’objectif est de contribuer à la paix et à la prospérité dans une région avec laquelle il existe de nombreux liens historiques, culturels, humains et économiques et donc d’exprimer une solidarité dans une conception géopolitique fondée sur la proximité.

On va observer, dans les 20 prochaines années, une forte augmentation de la population active dans les PSEM (+ 55 millions) et une diminution quasi symétrique au Nord (- 44 millions). Parallèlement, on s’attend à un différentiel de croissance économique entre les PSEM (trend de +4/5% par an) et l’UE (trend de +0/2%).

Au plan commercial agricole et agroalimentaire, l’UE absorbe 36% des exportations des PSEM et fournit à ces pays 32% de leurs besoins.

De leur côté, les PSEM représentent 10% des  exportations et 7% des importations extra-communautaires en produits agricoles et alimentaires. Les complémentarités sont nettes : besoins en céréales et produits animaux dans les PSEM et capacité productive dans l’UE, besoins en fruits et légumes dans l’UE et potentiel productif dans les PSEM.

La réponse proposée à ces multiples enjeux est la création d’une politique alimentaire et agricole commune pour les PSEM (PAAC-PSEM), construite dans le cadre d’un partenariat euro-méditerranéen refondé et renforcé, en vue de relancer une coopération qui a beaucoup déçu les PSEM et risque de conduire à une balkanisation

de la zone, chacun des pays recherchant alors, dans des accords bilatéraux tous azimuts, des espaces de développement.

La PAAC-PSEM a pour objectif d’améliorer la sécurité alimentaire quantitative et qualitative des populations ; de fonder cette sécurité sur une augmentation de la production agricole et alimentaire dans chaque pays méditerranéen et sur un partenariat économique euro-méditerranéen ; de contribuer, par l’organisation de filières agroalimentaires territorialisées, au développement des zones rurales.

Toutes ces actions s’inscriront dans le cadre d’un modèle alternatif de consommation et de production alimentaire fondé sur les terroirs, l’innovation technologique et organisationnelle (réseaux de gestion des ressources et de partage des valeurs et des connaissances), c’est-à-dire cohérent avec un développement durable.

Les outils de la PAAC-PSEM sont mis en œuvre dans chaque PSEM, au sein d’un espace commun régional.

Le volet alimentaire comporte : une incitation à la qualité organoleptique et nutritionnelle des produits alimentaires s’inspirant de la diète méditerranéenne ; une information et  une éducation des consommateurs ; la création d’une agence de sécurité alimentaire ; la mise en place d’un dispositif spécifique permettant aux populations les plus pauvres d’accéder à une alimentation saine ; l’institution d’un partenariat euro-méditerranéen d’approvisionnement en produits alimentaires porté par des contrats pluriannuels et la création de stocks stratégiques.

Le volet agricole inclut : un statut de la terre sécurisant pour les petits et moyens agriculteurs ; un statut professionnel pour les chefs d’exploitation, les salariés et la main-d’œuvre familiale agricole, avec une parité homme femme ; un soutien au revenu des agriculteurs par des prix agricoles stables et rémunérateurs (notamment par la régulation aux frontières), et par des aides aux intrants et à l’investissement (crédit et assurances) ; un effort de R&D en vue de concevoir de nouveaux systèmes de production agricoles durables et de formation initiale et continue des agriculteurs ; un dispositif de contrôle de la qualité des produits agricoles et de traçabilité et une promotion par les labels ; un appui à l’organisation des filières et des marchés.

Les révolutions des pays arabes méditerranéens sont en partie dues à la trop grande dépendance de ces pays par rapport à leur approvisionnement alimentaire. Or cette dépendance ne fera que croître et dès que les prix augmentent sur le marché mondial, cela se traduit par une très forte augmentation de la facture en devise, mais aussi par la nécessité d'augmenter les subventions à la consommation pour garantir la cohésion sociale.

Les PSEM doivent inscrire dans l’agenda des réformes à mettre en œuvre la substitution de la politique dite de compensation par une politique volontaire de mise à niveau agricole basée sur la réallocation des fonds de la compensation au profit de la PAAC-PSEM. Par ailleurs, il est urgent de changer de logiciel en matière de coopération euro-méditerranéenne et passer d’une approche purement marchande, corporatiste et protectionniste, à une approche fondée sur le développement durable au sud comme au nord en privilégiant les besoins réels des populations du Nord et du Sud et une bonne gestion des ressources écologiques*.

 

Amal Chevreau et Jean-Louis Rastoin




Article paru dans La Lettre  des Entretiens Européens, N° 11 , 2eme Semestre 2012.
 

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