Sécurité alimentaire en Méditerranée: La souveraineté alimentaire méditerranéenne, une utopie ?

Samedi 27 Octobre 2012
Omar Bessaoud
L’Europe et l’Amérique sont devenues le nouveau grenier à blé de la Méditerranée. Quelles sont, dans ces conditions, les mesures à adopter pour gérer la vulnérabilité alimentaire de cette région ?

L’Ifrikya, grenier à blé de Rome, et les pays du croissant fertile ont été à l’origine de la domestication des plantes cultivées, de la diffusion de techniques pour cultiver céréales et  légumineuses et de l’installation de systèmes ingénieux d’irrigation. Or ces régions sont devenues  fortement dépendantes de l’Europe et de l’Amérique pour approvisionner leurs populations. À l’exception de la Turquie et dans une moindre mesure de la Syrie, les pays du Sud et de l’Est de la  Méditerranée (Psem) importent massivement les produits alimentaires de base qui forment l’essentiel de la ration alimentaire quotidienne de leurs citoyens. Plusieurs raisons conduisent à  penser que les Psem, indépendamment des bouleversements politiques qui les secouent, ne  disposent pas de ressources les autorisant à mettre en oeuvre des politiques de souveraineté  alimentaire.

DESEQUILIBRES. Les frontières agricoles sont aujourd’hui atteintes et des infrastructures emblématiques, telles que le barrage d’Assouan en Égypte, celui de Tabqa en Syrie ou ceux du Maroc, ne sont plus  envisageables. Outre les changements climatiques en cours dans la région, les déséquilibres emploi/ressources dans les Psem sont accentués par les risques d’une pression croissante provenant des populations agricoles et rurales. Même si, ces dernières années, l’agriculture est à nouveau au centre des politiques publiques, ce sont toujours les pluies et leur bonne répartition qui font les bonnes ou les mauvaises récoltes de céréales. Des révolutions techniques et scientifiques inachevées constituent aujourd’hui encore des freins objectifs à l’amélioration des performances agricoles, notamment pour les productions vivrières. Des transformations démographiques et sociales majeures sont intervenues dans les Psem au cours de la deuxième moitié du xxe siècle, provoquant des ruptures radicales entre les équilibres ressources naturelles/population et offre de  produits agricoles/besoin des populations. La population d’Afrique du Nord comptait 50 millions d’habitants en 1913, 145 millions en 1950 et 162 millions d’habitants en 2010. La révolution démographique a été également à l’origine d’une explosion de la demande alimentaire, inédite  dans l’histoire des Psem. La quasi-totalité d’entre eux sont devenus, dès les années 1970, tributaires des importations de produits de base. La consommation de farine de blé tendre, inconnue avant la colonisation, a stimulé ces importations.
Constat ultime : les modèles de croissance agricole, qui se sont fondés sur une mobilisation croissante de l’eau agricole, la mise en valeur et l’équipement de terres dans les zones difficiles ou  le développement de filières intensives (fruits, légumes, huile d’olive ou datte) dédiées à l’exportation, ont atteint leurs limites objectives.

PRÉVENIR LES CHOCS. Si la couverture des besoins intérieurs en produits de base par une offre  agricole locale reste une utopie, les Psem sont tenus de prévenir les chocs liés à l’instabilité des marchés extérieurs et à la volatilité des prix mondiaux. D’où l’exigence, sur le court terme, de  consolider les systèmes d’information sur les marchés afin d’assurer une gestion rationnelle des  stocks stratégiques. Le développement des infrastructures pour accroître les capacités de stockage  constitue dès lors un axe prioritaire. Les Psem sont sommés également de poursuivre les objectifs d’augmentation de la productivité du secteur céréalier où des marges de progrès sont possibles  (irrigation d’appoint, itinéraires techniques, usage de semences à potentiel génétique amélioré, collecte). À moyen et long terme, face à une demande alimentaire incompressible, les Psem doivent réviser leur modèle de croissance. Celui-ci, fondé sur une exploitation des ressources en eau et en sol au profit d’un pôle capitalistique – alors que des millions de paysans sontassignés à survivre dans de petites exploitations –, ne pourra faire face ni aux défis des changements climatiques, ni à celui de la protection des ressources naturelles largement dégradées, ni in fine à celui de la sécurité alimentaire. Avec l’impératif de nourrir un nombre croissant d’individus, les Psem sont confrontés à un autre défi : l’accessibilité des populations paupérisées aux biens alimentaires.

Omar Bessaoud
Ciheam-IAM, Montpellier
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