Coproduction en Tunisie: contexte, réalisations et perspectives

Mercredi 23 Mars 2016

Avant la sortie de l’étude de l’Observatoire de la coproduction en Méditerranée dédiée au potentiel de la Tunisie pour le développement de la coproduction prévue pour le 23 mars 2016, IPEMED vous présente le résumé analytique de ce rapport.

Situés sur une verticale reliant l'Afrique subsaharienne et l’Europe, les Pays du Sud et de l'Est méditerranéen (PSEM) ont un fort potentiel de développement. Disposant de ressources naturelles et humaines importantes, ils présentent l'avantage d'un accès aux côtes de l'Atlantique et de la Méditerranée et possèdent des liens culturels et linguistiques avec les populations des deux continents.

Dans cette région, la Tunisie cristallise de longue date l’attention des observateurs de part le caractère de « laboratoire » qu’elle a connu dans de nombreux domaines, et notamment celui de l’attraction des investissements. Pour autant, sous l’influence cumulée de la récession mondiale puis des Printemps arabes et avec la crise sécuritaire qui perdure, la Tunisie peine à attirer de nouveaux investisseurs étrangers. Les flux d’IDE entrants stagnent autour de 1,1 milliard de dollars par an après avoir connu un pic à 3,3 milliards de dollars en 2006. Si ce phénomène a touché tous les PSEM, qui ont de façon plus ou moins égale subi ces crises, la tendance tunisienne reste préoccupante notamment par rapport au Maroc qui bénéficie d’une reprise stable depuis 2010.

 

Une économie très dépendante de la conjoncture économique mondiale, en particulier européenne

Les pays européens comme principaux partenaires

La Tunisie accueille aujourd'hui près de 3 220 entreprises à participation étrangère qui représentent plus de 330 000 emplois (soit 8,25% de la population active), dont la moitié dans le secteur industriel.

Les pays de l’UE4 (Allemagne, Espagne, France, Italie) restaient en 2014 parmi les premiers investisseurs étrangers en Tunisie avec 24% des flux recensés, dont 15% pour la France.

Les investissements français et italiens s’avèrent très diversifiés et évoluent d’année en année (secteur financier, énergétique et électrique/électronique pour la France, industrie pharmaceutique, énergie, cuir/chaussures, caoutchouc et textile pour l’Italie). Au contraire, l’Allemagne et l’Espagne affichent des tendances stables et des secteurs très ciblés : les appareils électriques et électroniques pour les entreprises allemandes, et l’agriculture et l’agro-alimentaire pour celles d’origine espagnole.

 

Des IDE principalement orientés vers les activités offshore

Près de 77% des entreprises de l’UE4 (hors Espagne) présentes en Tunisie sont totalement exportatrices. En termes d’emplois, l’écart est encore plus marqué : les activités offshore allemandes représentent 95% des emplois, pour 81% chez les Français et 85% chez les Italiens. L’Espagne fait figure d’exception, ses activités offshore représentant 56% des entreprises et des emplois. Cela s’explique par la présence de l’Espagne presque exclusivement dans les secteurs encore peu libéralisés, i.e. pour lesquels un partenaire tunisien est souvent imposé pour tout investissement.

De manière générale, les IDE non offshore se concentrent sur des secteurs intensifs en capital et non libéralisés ; comme c’est le cas pour la production de matériaux de construction et, en particulier pour la France, les télécommunications.

 

Les investisseurs toujours dans l’attente

Il ressort assez nettement que les investisseurs déjà présents en Tunisie sont depuis 2011 dans l’attente d’une concrétisation de l’ensemble des projets de réformes en cours. Ainsi, (i) les investissements d’extension existent mais restent timides étant donné le potentiel du pays, et (ii) les investissements de création peinent à redémarrer.

 

Un réel potentiel pour une montée en gamme

Grâce à son passé d’ouverture et de promotion des exportations par la sous-traitance et la cotraitance, la Tunisie jouit encore d’une forte base industrielle propice au développement d’une coproduction de qualité. Cette montée en gamme est également rendue possible par l’existence d’entreprises de pointe dans chaque secteur clé. Une analyse des forces et opportunités sectorielles de la Tunisie en matière de coproduction, révèle des secteurs porteurs historiques (TIC, Industrie mécanique et Textile) et ceux d’avenir (Energies renouvelables, Santé et Pharmaceutique et Agro-industrie).

Pour la Tunisie, l’enjeu est désormais de dépasser le modèle classique d’entreprises exportatrices en adoptant une plus forte intégration des chaînes de valeur (en localisant plus de stades de production en Tunisie et en intégrant de nouveaux marchés par la diversification des exportations). Cela passera tant par la consolidation et une meilleure coordination des investissements des partenaires historiques de la Tunisie que sont la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne que par une plus grande ouverture de l’économie tunisienne vers l’Afrique. En s’imposant comme l’une des portes d’entrée de ce continent en plein essor économique, notamment pour ses partenaires européens, la Tunisie pourrait ainsi pallier l’étroitesse de son marché intérieur.

 

Des réformes indispensables pour favoriser le développement d’une économie inclusive et durable

Afin de rendre la Tunisie de nouveau attractive pour les investisseurs et de permettre cette « montée en gamme » de l’économie tunisienne, des réformes administratives, financières et structurelles apparaissent comme nécessaires.

 

Réformer le Code de l’investissement pour rendre la Tunisie plus attractive pour les investisseurs étrangers

La Tunisie dispose historiquement d’une législation relativement souple concernant les investissements étrangers dont le cadre actuel est fixé par le Code d’Incitation aux Investissements adopté en 1993. Pour répondre aux défis que rencontre le pays, le Ministre du Développement, de l'investissement et de la Coopération internationale, Yassine BRAHIM, a engagé un processus de réforme du Code de l'investissement qui sera l’une des bases de la nouvelle Vision stratégique 2016-2020 pour la Tunisie.

Un des principaux aspects du futur Code consistera à élargir la liberté d’investissement à une majorité de secteurs en éliminant l’autorisation du Conseil Supérieur de l’Investissement (ainsi que les autres autorisations du code pour les intégrer dans des lois sectorielles et cahiers des charges).

En outre, le nouveau Code prévoit l’adoption d’un taux unique d’impôt sur les sociétés à 15%, se traduisant par une augmentation du taux d’imposition des entreprises offshore et une diminution du taux d’imposition des entreprises onshore.

Cette réforme permettrait à la Tunisie de jouir d’une position compétitive dans la sous-région avec un taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés parmi les plus bas.

 

Faciliter la convertibilité et le transfert de devises pour favoriser les investissements croisés

Concernant le transfert de devises à l’international, le nouveau code prévoit un délai de réponse de 15 jours maximum de la Banque Centrale. Au-delà de ce délai, la décision pourra être considérée comme favorable. Cette clause a pour objectif de soulever une des barrières les plus citées par les investisseurs : aujourd’hui, seuls les transferts au titre des opérations courantes, de la plus-value de cession ou de la liquidité des capitaux sont libres. Les autres opérations de transfert sont soumises à autorisation de la Banque Centrale.

 

Réformer le Code des douanes pour fluidifier les échanges commerciaux

Le projet de nouveau Code des Douanes pose deux objectifs majeurs : (i) l’accélération et la simplification des formalités, et (ii) la réduction des délais de chargement et d’enlèvement des marchandises.

 

Finaliser la loi sur les Partenariats Publics-Privés (PPP) afin de développer les infrastructures nécessaires au décollage économique

Le Ministre Brahim envisage aussi le développement des PPP, une mesure phare du gouvernement dans la mesure où au moins 4 des 22 projets prioritaires identifiés sont des projets en PPP. La réforme permettrait d’introduire toute forme de PPP (marché public, délégation de service public, contrat de partenariat) mais reste l’objet de débats importants justifiés par la crainte d’une perte de souveraineté de l’Etat dans l’exercice des services publics. Aujourd’hui les PPP sont autorisés dans le secteur du numérique uniquement (législation de 2008).

 

Accélérer la décentralisation et la déconcentration pour favoriser la cohésion territoriale

L’objectif recherché est en effet la création de territoires plus homogènes et s’appuyant sur de véritables bassins économiques et d’emplois. Les nouvelles régions devraient ainsi être en phase avec les réalités du terrain, tant dans l’analyse des besoins, notamment d’infrastructures économiques et sociales, que dans la capacité à fédérer les investisseurs publics et privés (tunisiens et internationaux), par l’intermédiaire de PPP par exemple.

A terme, ces changements permettront aussi bien d’améliorer la qualité des services publics régionaux que de renforcer leur présence dans les provinces les plus enclavées. C’est ainsi l’efficacité économique de tous les territoires qui s’en trouvera améliorée, de même que les facteurs de croissance à long terme par la réduction des écarts de développement.

 

Restructurer le secteur bancaire pour rendre plus efficace le financement de l’économie locale

Le secteur bancaire, marqué par la présence de nombreuses banques publiques, devrait se restructurer afin de mieux servir les besoins en financement des acteurs économiques locaux. Notons dans l’intervalle l’opportunité pour la Caisse des Dépôts et Consignation d’investir de manière complémentaire sur des projets productifs et porteurs d’emplois.

 

Favoriser les investissements productifs de la diaspora tunisienne

Plus de deux fois supérieurs aux IDE enregistrés, les transferts de fonds des émigrés tunisiens, très souvent contra-cycliques, sont trop peu souvent orientés vers des investissements productifs en Tunisie. A l’instar du Maroc, il convient de mettre en place des mécanismes pour développer et orienter ces investissements, représentant tant un facteur de stabilisation en période de crise par des investissements directs qu’un formidable outil de financement indirect de l’économie.

 

Réformer la formation professionnelle pour mieux répondre aux besoins du marché du travail

Le niveau élevé de chômage est en grande partie dû à l’inadéquation des formations avec les besoins du marché du travail : un grand nombre de jeunes diplômés sont surqualifiés alors que la Tunisie n’a pas encore réalisé la montée en gamme espérée.

Ainsi, dans un objectif de rééquilibre de la pyramide des qualifications, le gouvernement a lancé un plan de réforme du dispositif national de la formation professionnelle qui doit être accéléré.

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