COP21 - Les mécanismes de financement innovants plébiscités pour assurer l’accès à l’eau et à l’assainissement en Méditerranée

Vendredi 11 Décembre 2015
Kelly ROBIN

La gestion des ressources en eau est stratégique pour l’avenir des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée compte-tenu de leur situation de stress hydrique structurelle, des pressions anthropiques croissantes et des impacts ressentis et anticipés du changement climatique. Face aux nombreux défis à relever pour assurer l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement dans la région méditerranéenne, IPEMED a souhaité présenter, le 4 décembre 2015, en marge des négociations climatiques, ses propositions innovantes, axées autour du principe de solidarité.

Modérée par Frédéric Dubessy, d’Econostrum, cette conférence a réuni Jean-Louis Guigou, Président d’IPEMED, Philippe Douste-Blazy, Secrétaire général adjoint des Nations Unies en charge des financements innovants pour le développement et Président d’UNITAID, Fadi Comair, Président d’honneur du REMOB et Directeur Général des Ressources Hydrauliques et Electriques au Ministère de l’Energie et de l’Eau libanais et Samira El Houat, Directrice de l’Agence du Bassin hydraulique du Sebou (Fès).

Sur la base des travaux d’IPEMED déjà publiés sur la question, les débats se sont d’abord articulés autour des impacts du changement climatique sur l’accès à l’eau et à l’assainissement en Méditerranée.  En effet, avec une population globale de 280 millions d’habitants, soit environ 4% de la population mondiale, les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) totalisent à peine 1%, en moyenne, des ressources mondiales d’eau naturelle renouvelable. Malgré cette situation défavorable, les PSEM ont atteint en 2015 de bons résultats en ce qui concerne les Objectifs Millénaires pour le Développement (OMD), même si ces performances cachent de grandes disparités[1] et risquent d’être partiellement altérées par le changement  climatique. Jean-Louis Guigou a rappelé que les experts du GIEC considèrent, en effet, que la région méditerranéenne sera la zone la plus vulnérable avec des hausses de température de 2 à 4°C, une baisse de la pluviométrie qui pourrait atteindre 30% et une diminution de plus de la moitié des ressources en eau pour les bassins du Maroc, de l’Algérie, du Proche-Orient et du Sud de l’Espagne. La Méditerranée, « bassin des bassins », est donc l’espace qui cristallise le plus de défis face au changement climatique alors même que la proximité et la complémentarité entre les deux rives peuvent constituer des atouts.

Dès lors, quelles solutions innovantes à mettre en place pour relever ces défis ?

Fadi Comair, en sa qualité de Directeur Général des Ressources Hydrauliques et Electriques au Ministère de l’Energie et de l’Eau libanais, a insisté sur la nécessaire gestion de l’eau par la demande, et sur les opportunités liées à mobilisation de ressources non conventionnelles : réutilisation des eaux usées traitées, dessalement, résurgence d’eau douce en mer. Confronté à une hausse des besoins en eau potable consécutive à l’afflux de réfugiés syriens, le Liban est cependant restreint dans sa capacité à mettre en œuvre de telles politiques étant donné la hausse de la dette publique libanaise, qui s’élève à près de 80 milliards de dollars. L’intervention de Madame El Houat, Directrice de l’Agence du Bassin hydraulique du Sebou (Fès), est allée dans le même sens, rappelant les efforts entrepris par le Maroc pour accroître la disponibilité et la gestion intégrée des ressources en eau, notamment dans le cadre de la loi n°10-95 sur l’eau, et les enjeux à venir, dans un pays qui dispose aujourd’hui de moins de 700 m3 d’eau/hab/an. Pour Samira El Houat, les obstacles à la mise en œuvre d’une gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) ne sont donc pas d’ordre technique, mais financier (la contribution de l’usager et les subventions de l’Etat ne parvenant pas à couvrir l’ensemble des dépenses d’investissement) et intrinsèquement liés à la gouvernance.

Mis en perspective à l’échelle méditerranéenne, ces deux témoignages  attestent des besoins des PSEM en matière d’investissement, de renforcement des capacités et de transfert de savoir-faire et/ou de technologies. Ces besoins transparaissent dans les contributions de ces pays pour la COP21, puisque la mise en œuvre des mesures d’adaptation touchant au secteur de l’eau est clairement conditionnée à l’appui international. A titre d’exemple, les actions prévues par la Jordanie nécessiteraient 4 milliards de dollars sur les dix prochaines années.

Jean-Louis Guigou, Président d’IPEMED, a également rappelé les besoins financiers préexistants, estimés dans une étude de l’OMS (Guy Hutton, Jamie Bartram, 2008) : 7 milliards de dollars, par an, auraient été nécessaires, entre 2005 et 2015, pour la construction d’infrastructures nouvelles, les dépenses de maintenance et d’extension des réseaux existants pour atteindre le précédent OMD (hors coûts de programmation) pour la Méditerranée orientale[2]. Une actualisation de ces données est essentiel, mais permet d’ores-et-déjà de donner un ordre de grandeur des montants à mobiliser.

Comment mobiliser des ressources considérables pour relever ces défis dans un contexte de contraintes budgétaires ?

Pour Samira El Houat, ces défis sont autant de « niches pour innover ». Les partenariats public-privé peuvent constituer un outil pour assurer les services essentiels, mais leur mise en œuvre nécessite, d’après Fadi Comair, un engagement politique et une nécessaire régulation.

Fort de son expérience à la tête du Conseil d’Administration d’UNITAID, Philippe Douste-Blazy a rappelé à la fois les échecs et les succès de la Taxe de solidarité sur les billets d'avion, dispositif innovant mis en œuvre par une dizaine de pays pour financer l’accès aux médicaments, tests de diagnostic et produits de prévention d’importance vitale pour les personnes vivant avec le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme dans les pays à faible revenu.

Or l’eau, au même titre que la santé, constitue un bien collectif mondial qu’il s’agit de protéger, comme en témoigne l’Objectif du Développement Durable n°6 : « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ». Pour combler une partie du déficit de financement existant et permettre une meilleure allocation des ressources financières, la définition de mécanismes de financement innovant « pérennes, prévisibles et additionnels » (P. Douste-Blazy) pour sécuriser l’accès à l’eau et à l’assainissement de tous en Méditerranée peut et doit constituer une solution. Pour Jean-Louis Guigou, s’il est vrai que ces micro-taxes doivent porter sur les activités qui ont le plus profité de la mondialisation, l’absence de connexion évidente entre la taxe de solidarité sur les billets d’avion et les projets financés par UNITAID peut freiner la visibilité  du dispositif.

Les mécanismes de financement innovants (MFI) pour l’accès à l’eau et à l’assainissement : une solution pour la Méditerranée 

Le Président d’IPEMED a ainsi présenté les propositions portées par l’Institut, issues d’un rapport publié en 2014 qui avait bénéficié de l’appui de Monsieur Douste-Blazy. L’accent a été mis sur le potentiel lié à la mise en place de micro-taxes de solidarité portant sur la navigation maritime en Méditerranée.

D’une part, une micro-taxe portant sur le secteur des croisières pourrait, au regard des caractéristiques du marché, permettre de prélever auprès des passagers européens des montants pouvant aller jusqu’à plus de 2 milliards par an, sur la base d’une taxe de 10€ par nuit et au regard de la capacité de transport maximale des navires de croisières opérant en Méditerranée (28,71 millions de passagers-nuits)[3].  

D’autre part, compte-tenu du principe « pollueur-payeur » et des flux de transport de marchandises par voie maritime en Méditerranée[4], un mécanisme similaire pourrait être appliqué sur la navigation marchande, et s’inspirer pour cela des travaux menés par l’Ocean Policy Research Foundation concernant les Détroits de Malacca et de Singapour. Si une réinterprétation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) semble nécessaire pour les détroits de Gibraltar et du Bosphore, le régime juridique du Canal de Suez est, d’après Jean-Louis Guigou, propice à l’établissement d’une micro-taxe de solidarité à court terme ; des taxes étant déjà prélevées par la Canal Suez Authority et l’Egypte étant désireuse de « retrouver son leadership régional »[5]. A titre indicatif et dans une première approximation, une micro-taxe de 100€ / navire permettrait de récolter 17 milliards d’euros par an !

Dans tous les cas, la définition, le prélèvement, la gestion et la destination de ces MFI impliquent un schéma de gouvernance régionale renouvelé : Monsieur Guigou a insisté sur la nécessité de mettre en œuvre une instance de concertation et de décision transversale, intégrée, rassemblant tous les acteurs et s’appuyant sur le savoir-faire des agences de bassin. La mise en place d’une Agence Méditerranéenne de l’Eau pourrait constituer la pierre angulaire de ce nouveau modèle de coopération en Méditerranée, même si Fadi Comair a lui plaidé pour la création d’une Banque méditerranéenne, capable de sécuriser puis de gérer les fonds issus de sources de financement innovantes. Analysée sous le prisme de l’hydro-diplomatie, concept mis en avant par le Président d’honneur du REMOB dans son intervention[6], la définition et la gestion de ces MFI pourraient constituer un enjeu stratégique pour les PSEM.

Ainsi, pour Philippe Douste-Blazy, le portage politique de ces propositions innovantes par « deux ou trois chefs d’Etat » constituera une étape importante. La COP22 pourrait jouer le rôle de d’élément déclencheur. En tant que représentante du ministère marocain délégué à l’eau, Samira El Houat a encouragé ces initiatives et positionné le Maroc comme partenaire d’IPEMED pour la poursuite de ses travaux en 2016. Rendez-vous donc à Marrakech !

 


[1] D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la diarrhée tue encore, en 2012, plus de 81 000 personnes dans les pays à bas ou moyen revenu de la région de la Méditerranée orientale en raison du manque d’eau, d’assainissement et d’hygiène.

[2] Comprenant d’après l’OMS, le Bahreïn, Chypre, l’Iran, la Jordanie, le Koweit, le Liban, la Libye, Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Tunisie, les Emirats-Arabes-Unis, ainsi que l’Afghanistan, Djibouti, l’Egypte, l’Irak, le Maroc, le Pakistan, la Somalie, le Soudan et le Yémen.

[3] D’après le dernier rapport publié par CLIA (Cruise Lines International Association) Europe sur l’industrie des croisières en 2015: “in 2014, a total of 152 cruise ships were active in Mediterranean waters with a capacity of 205,656 lower berths with an average of 1,353 berths per ships. […] In 2014, North American operators deployed 49 ships with 74,321 lower berths in the Mediterranean, including some ships targeted at European markets. In comparison, European domiciled lines operated 103 vessels, which offered 131,335 lower berths [...] collectively these ships carried a potential 3.60 million passengers on 2,478 cruises, offering a total capacity of 28.71 million passengers-nights, giving an average cruise length of 7.98 nights. A further 421,000 potential passengers cruised the Atlantic Isles”.

[4] Environ 100 000 navires par an traversent le Détroit de Gibraltar, 50 000 le Détroit du Bosphore et environ 20 000 le Canal de Suez.

[5] On peut en effet lire dans la CPDN de l’Egypte : “In  light  of  the  current  global  trend  towards  the  adoption  of  post-2015  sustainable  development  goals,  Egypt  has  developed  the  "Sustainable  Development  Strategy ; Egypt's  Vision  2030" which  serves  as  a  roadmap for the  country to achieve  its  desired sustainable  development  goals during the  next  15  years.  This  strategy  promotes  the optimum  use  of  available  resources,  enhancement  of  Egypt's competitiveness and revival of its historic leading role in the region”.

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