Contrainte Carbone et opportunités économiques dans la région méditerranéenne

Jeudi 29 Septembre 2011
Morgan MOZAS
Plusieurs experts spécialisés dans l’économie du carbone et la finance carbone, ainsi que plusieurs représentants méditerranéens de secteurs économiques intensifs en énergie (sidérurgie, transport, cimenterie, énergie) ont été réunis par IPEMED le 25 juin à Paris pour évoquer les enjeux de la contrainte carbone dans la région.

Cet atelier avait pour objectif d’identifier les effets que pourraient avoir à terme l’évolution du marché de carbone européen (European Union Emissions Trading Scheme – EU ETS) sur le développement des activités économiques et industrielles de la région et sur le recours à de nouvelles pratiques et technologies sobres en carbone par les acteurs industriels.

Cette contrainte carbone se manifeste aujourd’hui seulement dans les pays de la rive nord de la région méditerranéenne où 12.000 installations industrielles européennes fortement émettrices en CO2 sont obligées de disposer de permis d’émissions depuis la mise en vigueur du système communautaire d’échange de quotas d’émissions (EU ETS). Anaïs Delbosc de la direction Recherche de la CDC Climat a pu rappeler que chaque installation doit restituer chaque année autant de quotas carbone autorisés que les émissions de l’année précédente. Si ces quotas européens ont été alloués gratuitement sur les deux premières périodes du marché EU ETS (2005-2007 et 2008-2012), ils seront mis aux enchères en totalité pour le secteur électrique dès 2013 (début de la 3ème période), et de manière progressive pour les autres secteurs jusqu’à hauteur de 70% d’ici 2020. Les représentants de GDF-Suez et Lafarge ont fait remarquer que le coût à supporter pour leur industrie pourrait s’élever à plusieurs dizaine de milliards.

La représentante de la CDC Climat a souligné que sur la 2ème période du système communautaire d’échanges de quotas (2008-2012), il a été rendu possible pour les installations industrielles européennes d’utiliser les crédits Kyoto pour se conformer à l’EU ETS. Cette disposition a permis d’établir un lien entre le système européen de quotas et le marché carbone international qui a largement contribué à l’essor des projets de Mécanismes de Développement Propre (MDP) du Protocole de Kyoto dans les pays non industrialisés. Cependant, plusieurs intervenants ont rappelé à juste titre que ce sont principalement les pays émergents (Inde, Chine) qui ont bénéficié de ces mécanismes qui permettent de générer des crédits d’émissions en finançant des projets propres dans les pays en développement. Une représentante d’une industrie marocaine s’interroge : ces pays sont-ils encore des pays en développement ? Par ailleurs, si l’Inde et la Chine ont su attirer les principaux investissements dans leur pays pour financer des projets MDP, c’est parce que ce sont des projets qui permettent d’obtenir des crédits d’émissions à faible coût, ces pays disposant d’installations industrielles fortement émettrices en CO2 (fonctionnant au charbon) et laissant une marge de progression de réduction d’émissions conséquente. Les pays nord-africains et de l’est de la Méditerranée, réunissant des installations avec un niveau unitaire d’émissions moins élevé, n’ont dès lors pas suscité l’intérêt des acteurs de la finance carbone. Les intervenants de l’atelier se sont toutefois tous exprimés en faveur d’un accroissement des projets MDP dans la région méditerranéenne. La création du Fonds Carbone Méditerranée d’ici 2011, lancée à l’initiative de la CDC Climat, AFD, BEI, CDP et KfW, pourrait constituer une bonne opportunité pour répondre à cette attente : un apport de financement et de savoir-faire pour la réalisation de projets MDP pourrait générer jusqu’à 200Mt de réductions d’émissions d’ici 2020, principalement dans le domaine des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la gestion des déchets.

Si seules les entreprises européennes provenant des secteurs industriels et de l’énergie sont actuellement soumises au marché EU ETS, le secteur de l’aviation, conformément à la directive 2003/87/CE de 2003, devrait également être inclus dans le système à partir de 2012. Cette évolution devrait concerner l’ensemble des aéronefs qui se posent ou décollent d’un territoire de l’Union Européenne. Cette nouvelle disposition pose la question de la limite du territoire européen et du caractère global de la gestion de la réduction des émissions. Les compagnies aériennes des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée seraient dès lors elles aussi concernées. Sur ce point, le directeur délégué à l’environnement d’Air France a indiqué que l’ensemble de l’industrie et des compagnies du secteur aérien soutiennent les efforts pour parvenir à un accord post-Kyoto incluant l’aviation dans un accord sectoriel global (dans le cadre des travaux de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale) et respectant le principe de non discrimination des opérateurs énoncé par la Convention de Chicago.

Ce dernier point demeure néanmoins source de litige. Le représentant de Tunisair rappelle que les pays non annexes I de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique ne sont pas soumis à des objectifs contraignants de réduction d’émissions et qu’il revient aux pays développés de prendre les premières initiatives pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et fournir aux pays en voie de développement des soutiens financiers et techniques. Tout comme Air France, la compagnie Tunisair reste en faveur de la mise en œuvre d’un système global d’échanges de quotas d’émissions sous les auspices de l’OACI pour éviter le développement d’ETS régionaux. Cependant, son représentant souligne que le principe de « responsabilité commune mais différencié » défini dans la Convention Cadre des Nations Unies doit être respecté pour que les compagnies du sud ne soient pas trop exposées au nouveau système défini.

L’approche sectorielle semble donc être encouragée par les compagnies aériennes. Si cette approche sectorielle se révèle pertinente à une échelle globale pour le secteur aérien, elle peut néanmoins prendre des formes différentes et se concevoir à l’échelle d’un pays ou d’une région, et réunir par exemples les acteurs industriels d’une même branche (production de gaz, cimenterie…). Un dès objectif pourrait être de sensibiliser le plus possible les industriels du Sud de la Méditerranée et de les inciter à définir ensemble, par branche ou secteur, des objectifs de réductions atteignables.

L’atelier Contrainte Carbone aura cependant été l’occasion de constater que les industriels du Sud de la région ont déjà pris, de leur propre initiative, des actions pour réaliser des économies d’énergie et réduire leurs émissions de CO2. Le directeur Qualité et Sécurité de la Compagnie Tunisienne de Navigation a évoqué la réorganisation de leurs activités pour économiser du carburant et améliorer les performances de navigation des navires de la compagnie. La responsable du département HSE d’une industrie sidérurgique marocaine, Maghreb Steel, a fait part de l’utilisation de combustibles moins polluants dans le process industriel de laminage à froid. De même, le recours au cycle combiné dans la production d’électricité a été développé par la Société Tunisienne d’Electricité et de Gaz (STEG). Enfin, plusieurs mesures ont été prises par la compagnie aérienne Tunisair pour limiter son empreinte carbone avec notamment le renouvellement de sa flotte, qui se révèle à présent être moins émettrice de CO2 que la flotte vieillissante des compagnies américaines qui ne s’engagent à prendre aucune disposition équivalente. Il apparaît dès lors manifeste que des solutions transectorielles pourraient être identifiées et développées par les différents acteurs économiques et industriels des deux rives du bassin méditerranéen.

Il ressort des discussions de l’atelier que la contrainte carbone pourrait à l’avenir générer des impacts plus ou moins importants sur les activités économiques des pays de la rive sud :

-  L’inclusion du secteur aérien dans le marché EU ETS dès 2012, alarme les compagnies aériennes du sud de la région qui traversent déjà un contexte difficile.

-  Cette contrainte carbone, à terme, ne serait pas l’expression de la seule dynamique réglementaire initiée par les pays du nord de la région avec le marché EU ETS car de nouvelles normes favorisant les économies d’énergie et l’efficacité énergétique sont également développés par les pays du Sud.

- La possibilité offerte aux installations européennes soumises à quota européen d’acheter des Unités de Réduction Certifiée d’Emissions URCE/CER issus des projets de MDP du protocole de Kyoto à contribuer à l’essor de ces derniers, mais surtout en Asie. Il conviendrait dès lors de mieux les mobiliser pour la rive Sud de la Méditerranée.

- La mise en œuvre du Fonds Carbone Méditerranéen dès 2011 pourrait œuvrer en ce sens et participer à la réalisation de projets sobres en carbone.

Un intérêt vif pour le sujet, partagé par l’ensemble des industriels des deux rives de la Méditerranée présents, nous encourage à poursuivre notre étude sur cette problématique en organisant prochainement un groupe de travail approfondissant les thèmes abordés.
Partagez cet article
Imprimer Envoyer par mail