Programme du 1er ATELIER CEME : Partage de l’analyse et des priorités d’actions régionales

Mercredi 19 Octobre 2011
Compte rendu par Morgan MOZAS
- Présentation du rapport intermédiaire sur le projet CEME de MM. Allal et Ben Abdallah.
- Etat des lieux des politiques énergétiques des pays méditerranéens.
- Pistes de coopération énergétique régionale.

Animation : Samir Allal et Moncef Ben Abdallah

Atelier  du 7 octobre au siège de l’OME, à Nanterre.

1ère session : Etat des lieux des politiques énergétiques méditerranéennes

Présentation du rapport intermédiaire de Samir Allal et Moncef Ben Abdallah
La proximité géographique entre les pays de la région justifie une intensification de la coopération. Dans le contexte actuel de crise économique et financière, le secteur énergétique dans la région méditerranéenne doit répondre à 5 objectifs principaux :

- Sécuriser et diversifier l’approvisionnement énergétique
- Assurer une indépendance énergétique pour les importateurs
- Garantir un minimum de recettes d’exportations pour les exportateurs
- Répondre aux besoins énergétiques dans les PSEM
- Promouvoir les économies d’énergies et les technologies décarbonées

Par ailleurs, la demande d’énergie des PSEM sera en forte croissance, et de nature carbonée, au moins jusqu’à horizon 2030. A cette date, la région devra importer près de 40% de ses besoins en  pétrole et 28% de ses besoins en gaz. Malgré l’incertitude quant aux comportements futurs des consommateurs, aux objectifs politiques de réduction de consommation d’énergie, à l’évolution des prix du pétrole…. il reste quelques tendances lourdes : l’inertie et la rigidité des systèmes énergétiques, celle des systèmes de transport, la montée de la consommation dans les PSEM, la domination prolongée des énergies fossiles, le développement lent des énergies renouvelables.

Le projet de Communauté Euro-Méditerranéenne de l’Energie doit fédérer les efforts entre acteurs de la région et offrir l’opportunité d’imaginer différemment le futur, de partager des principes communs sans être limité par le court-termisme, et de penser en termes de durabilité.

Parmi les  moyens  de coopération prioritaires à privilégier dans le projet CEME, les experts ciblent :
- Aide à l’adoption de politiques énergétiques adéquates, cohérentes et ouvertes sur la coopération régionale et sous-régionale;
- Le perfectionnement des outils et méthodes de programmation  énergétique et la formation spécifique des ressources humaines  tant nationales que régionales;
- La promotion du transfert et de la maitrise technologiques, de l’efficacité énergétique et le développement d’une offre compétitive d’équipements et de solutions performantes pour la production, la transformation, la conversion et l’utilisation de l’énergie.

En conclusion de leur présentation les experts préconisent 3 domaines de coopération  prioritaires:
- Aider à accélérer le financement du Plan Solaire Méditerranéen pour installer vingt gigawatts de capacités électriques nouvelles au Sud et à l’Est de la Méditerranée;
- Coopérer pour achever d’ici 2020 la boucle électrique méditerranéenne en réalisant et en renforçant les interconnexions Nord-Sud et Sud-Sud qui permettront de favoriser la création du marché et de développer  les échanges d’électricité verte;
- Œuvrer à organiser les coopérations technologiques pour créer des filières industrielles euro-méditerranéennes des énergies propres et des réseaux électriques.


Discussion autour de la situation énergétique méditerranéenne actuelle  
Le constat général présenté par MM. Allal et Ben Abdallah sur les tendances énergétiques actuelles a été partagé dans son ensemble par la plupart des intervenants. De l’avis de plusieurs experts, le potentiel de développement du nucléaire dans la région ne doit pas être négligé.

De nombreuses remarques ont été livrées sur le choix du mix énergétique des pays de la région, et sur l’importance de l’orienter vers une perspective durable. Un mix énergétique durable dans la région devrait s’appuyer sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et le nucléaire. Pour y parvenir, M. Kechemair a préconisé de mettre l’accent en priorité sur les compétences des ressources humaines et sur le volet formation. Dans le même temps, il faut agir sur les comportements et modes de consommation pour réaliser des économies d’énergies :

En ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, les participants ont unanimement reconnu que ces filières devaient jouer un rôle plus important dans la région.  Néanmoins, ces nouvelles énergies ne sont pas encore rentables et malgré la volonté de certains ministères de l’environnement/énergie des PSEM d’encourager leur essor, le surcoût qu’elles représentent conduit le ministère des finances de certains pays à limiter leur développement (cas du Maroc), souligne Said Mouline.

En ce qui concerne l’efficacité énergétique, tous les participants s’accordent à dire que rien n’incite à l’heure actuelle les acteurs économique de la région à prendre des mesures décisives dans le domaine de l’efficacité énergétique. On ne peut espérer améliorer l’efficacité énergétique dans le bâtiment, les transports, ou le secteur industriel sans volonté politique des états et sans l’élaboration de nouvelles normes réglementaires. Les seules incitations proposées dans ce domaine par les opérateurs énergéticiens pour réduire la facture énergétique ne permettront pas d’inverser la tendance. M. Mouline a indiqué toutes les difficultés qu’il avait rencontré au Maroc, en l’absence de dispositions sur l’efficacité énergétique dans un code du bâtiment, pour sensibiliser les promoteurs immobiliers à prendre des initiatives dans ce secteur (des mesures opérationnelles pourraient entrer en vigueur en 2013). Par ailleurs, il a souligné que pour accompagner l’essor de l’efficacité énergétique, il fallait impérativement définir un volet tarification (avec estimation du surcoût subventionné) et un volet formation. Il a été rajouté par M. Boyé que ces politiques d’efficacité énergétique devraient prévoir de véritables plans d’actions pour favoriser le développement de biens électriques plus efficients.

Le développement du nucléaire sur la rive sud de la Méditerranée doit mieux être mis en perspective. Dans le couple Eau-Energie, le nucléaire occupe une place essentielle pour répondre aux besoins du dessalement d’eau de mer qui reste très énergivore.

M. Allal et M. Boyé ont rappelé qu’il fallait également agir sur la demande d’énergie et notamment sur les comportements des acteurs économiques pour les amener à moins consommer. Les comportements n’ont en effet pas évolué vers l’économie et l’on observe une croissance d’usages nouveaux dans les PSEM qui va accroitre la consommation électrique (notamment climatisation)

T. Mouline a par ailleurs insisté sur l’absence actuelle de segment sud-sud dans les stratégies nationales des pays du Maghreb. Il a rappelé que le Maroc n’importait pas suffisamment de gaz depuis l’Algérie pour produire de l’électricité et que cela conduisait le pays à importer entre 15 et 20% de l’électricité depuis l’Espagne. De la même manière, il apparaît absurde pour M. Mouline de réaliser de lourds investissements pour la construction d’un port méthanier à Tanger pour faire venir au Maroc par exemple du gaz du Qatar alors que son pays voisin en dispose en grande quantité. Il est nécessaire de définir une politique globale de l’énergie dans le Maghreb.

D’autres remarques ont porté sur l’analyse de la position de l’Union Européenne, vis-à-vis des pays de la rive sud au lendemain des révolutions arabes :

- Des craintes ont été émises sur l’initiative lancée par le Commissaire européen à l’énergie, M. Oettinger, pour que tout nouvel accord bilatéral dans le gaz conclu par un pays de l’UE avec un pays tiers soit soumis à l’aval des 27 autres états membres. Cependant, les pays membres restant souverains en matière de politique énergétique, cette proposition a peu de chances d’aboutir
- S’il apparaît que l’Europe se montre plus ouverte aux pays de la rive sud et est de la Méditerranée à la suite des événements qui se sont produits dans ces pays, la région méditerranéenne ne se présente toujours pas aux yeux de la Commission Européenne comme une zone prioritaire avec laquelle il faudrait développer des partenariats énergétiques privilégiés. L’Europe semble se tourner plus vers l’Est que vers le Sud. En l’absence d’intégration régionale sud-sud, cette tendance pourra difficilement s’inverser souligne M. Gaarba.
- La  communication de la Commission Européenne de mai 2011 place en priorité la question de la sécurité de son approvisionnement énergétique en matière de politique régionale.
- Force est de constater que le dialogue régional dans le domaine de l’énergie a perdu de son ampleur au cours des dernières années, souligne Houda Allal.

2ème session : Pistes de coopération énergétique régionale

De l’avis de la plupart des participants, le manque de coopération régionale s’explique par la situation suivante : les relations entre les gouvernements des pays de la région en matière énergétique s’effectuent quasi-exclusivement de manière bilatérale, l’Union Européenne n’est pas encore politique et les industriels cherchent leur expansion sur les marchés régionaux de l’énergie. Il apparaît dès lors difficile de concilier les exigences de chacun de ces groupes d’acteurs sur un objectif de court ou moyen terme.

Cependant, plusieurs axes de coopération pourraient être développés à l’échelle euro-méditerranéenne. Plusieurs pistes ont ainsi été proposées, aussi bien en ce qui concerne les domaines potentiels de coopération que les principes qui devraient auréoler cette coopération. Ces éléments mériteront d’être approfondis lors d’une prochaine rencontre :

Evolution des termes des échanges régionaux en matière énergétique, et de l’implication de nouveaux acteurs économiques
Pour plusieurs experts, les termes des échanges entre les pays de l’Union Européenne et les pays de la rive sud de la Méditerranée nécessitent d’évoluer vers plus de multilatéralisme, de solidarité et de développement commun.

- pour certains la commission européenne s’intéresse de manière trop prononcée à la Méditerranée, et aux échanges énergétiques dans la région, selon un modèle libéral qui vise à intégrer les pays du Sud au marché de l’énergie européen. La zone euro-méditerranéenne est également vu comme un espace marqué par une forte concurrence avec d’autres pays tel que la Chine.

La CEME devrait se bâtir selon des termes différents qui valorisent les notions d’interdépendance et de solidarité énergétique dans la région euro-méditerranéenne.

- de plus, il semble difficile de transposer le modèle européen libéral aux pays de la rive sud, les prix de l’électricité et du gaz payés par les consommateurs de ces pays ne reflétant pas les prix du marché. Les prix facturés dans ces pays sont en effet largement subventionnés par les pouvoirs publics. Sachant que les pays de l’Union Européenne ont mis près de 30 ans après la seconde guerre mondiale  à mettre en place un système de prix de marché, il semble difficile de demander aux pays émergents de la région de se soumettre à ce modèle qui pourrait avoir un impact social notable sur les populations de ces pays. Dans le contexte social actuel, de telles mesures ne semblent pas en mesure d’être appliquées (référence à une note réalisée par J. Percebois pour IPEMED – à paraître)

- il convient de reconduire l’organisation de rencontres régulières entre l’ensemble des ministres de l’énergie du bassin méditerranéen : il faut passer du bilatéral au multilatéral. Il a été rappelé que de telles réunions s’organisaient dans le processus de Barcelone.
- l’idée d’organiser un forum multi-acteurs sur l’énergie, multi-sectoriel et avec une présentation régulière de l’avancée des technologies du domaine en Méditerranée, a été rappelé par Jean-Louis Guigou. M. Moraleda a ajouté que l’on pourrait imaginer un « Davos de l’énergie » dans la région.
- les questions régionales relatives à l’énergie ne devraient pas par ailleurs être traitées par les seuls opérateurs et états. D’autres acteurs comme les villes, les mégalopoles de la région (grandes consommatrices d’énergie mais aussi génératrices de chaleur), ou encore les conseils économiques et sociaux, devraient être mieux associées à la réflexion portant sur l’énergie.

Transition énergétique régionale et locale
L’une des pistes prioritaires de coopération régionale qui se dessine est celle de la transition énergétique régionale avec le passage d’un modèle d’économie carbonée à une économie décarbonée. Compte tenu des objectifs 20-20-20 fixés par l’Union Européenne, et de la forte croissance de la consommation d’énergie à prévoir dans les prochaines années dans les PSEM, l’ensemble des pays de la région méditerranéenne doivent s’orienter vers une transition énergétique.
Cette transition régionale doit se traduire par une maîtrise de la demande, un développement de la production d’électricité verte et sobre en carbone (énergie renouvelable, nucléaire, gaz…) et un accompagnement de la formation et du transfert de technologies.

Cette démarche nécessite d’une part d’articuler le global et le local, et d’autre part de tenir compte de l’échelle de temps pour la rentabilité des projets d’énergie renouvelable :  

Dans la démarche régionale actuelle de réalisation de projets de grande envergure, les populations rurales des pays du sud ne devraient pas être laissées pour compte.

Un exemple d’électrification d’un village marocain avec des panneaux solaires qui pouvait revendre l’électricité au réseau national a été présenté par M. Mouline. La vente de cette nouvelle ressource produite localement constitue un apport financier non négligeable pour les autorités de ce village. Par ailleurs, le cas de la centrale solaire de Ouarzazate qui va accueillir un centre de formation à proximité, et qui pourrait susciter à plus long terme la production locale de composants pour les équipements solaires, a été évoqué comme une autre opportunité de développement local.

M. Mosbah a fait remarquer qu’en Tunisie les énergies renouvelables ne généraient pas nécessairement un effet multiplicateur au niveau du développement local.

Cependant le développement des énergies renouvelables est soumis à la logique de rentabilité de court terme. Si l’éolien commence par exemple à devenir rentable au Maroc, c’est encore loin d’être le cas pour l’énergie solaire (PV et CSP).  De même, les énergies renouvelables ne sont pas encore en mesure de répondre, selon un modèle économique rentable, aux besoins croissants de dessalement d’eau de mer de la région, comme l’a souligné Houda Allal. Le nucléaire reste l’énergie la moins chère pour le procédé de dessalement d’eau de mer.
Le problème de la rentabilité des énergies renouvelables n’est pas encore partagé aujourd’hui à l’échelle régionale.

Amélioration du cadre réglementaire des PSEM et adoption d’objectifs communs
Une transition énergétique doit s’accompagner d’une transition réglementaire. Les nouvelles politiques d’efficacité énergétique et de production d’’énergie renouvelable nécessitent de se mettre en place dans un cadre réglementaire clair et cohérent. Chaque pays doit se doter d’un plan qui offre aux investisseurs une meilleure visibilité et une plus grande confiance.
Pour favoriser les investissements étrangers dans ce secteur, les PSEM gagneraient à élaborer ensemble un cadre réglementaire commun pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Jean –Louis Guigou a fait un parallèle avec la législation existante, très hétéroclite, sur les PPP dans le bassin méditerranéen et la proposition de définir plusieurs principes communs dans les PSEM.

Par ailleurs, en termes d’adoption de dispositions réglementaires communes, les pays de la région pourraient s’engager en matière d’efficacité énergétique à limiter/refuser l’importation d’appareils électriques énergivores.

Ont participé à ce premier atelier :

France . ADAM  Philippe . RTE/MEDGRID - Directeur des Relations Internationales et du Développement / Directeur de Programme Infrastructures et Technologie
Tunisie.  ALLAL Samir .Institut Universitaire Technologique (IUT) de Mantes en Yvelines- Université de Versailles - Directeur/Expert Energie IPEMED
Tunisie . BEN  ABDALLAH  Moncef. Ancien Ministre de l'Industrie et de l'Energie - Expert Energie IPEMED
France. BEN JANNET  ALLAL   Houda . Observatoire Méditerranéen de l'Energie - OME - Directrice Energies Renouvelables
Tunisie. BEN MOSBAH  Ridha .STEG - PDG
Allemagne. BINDER Samir. ATZ Entwicklungszentrum - Head of Energy Management
France. BOYE Henri. Ministère de l'écologie - Ingénieur en Chef des Ponts, des Eaux et Forêts
France. CHAMPLON Daniel .IFP Energies Nouvelles - Directeur des relations internationales
Espagne. FLOS Antoni. Gas Natural - Directeur
France. GARBAA Marwen. Gdf-Suez - Direction des Relations Européennes et Internationales - Chargé de mission
France. GUIGOU  Jean-Louis. IPEMED - Délégué Général
France. KECHEMAIR  Didier - Expert Energie
Espagne. MORALEDA  Pedro. Observatoire Méditerranéen de l'Energie - OME - Directeur Général
France. MOZAS  Morgan. IPEMED - Chef de projet Energie
Maroc. MOULINE  Said. ADEREE/MEDENER - Directeur Général/ Président

Prochaines échéances :
Réunion conclusive CEME : Paris – le 16 décembre 2011
Publication du rapport : 1er trimestre 2012

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