Si l'Europe avait une ambition africaine, elle retrouverait peut-être une ambition européenne

Vendredi 13 Mai 2016
Jean-Louis Guigou

Article paru dans le Huffington post le 13 mai 2016

 

"Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire de France au 21ème siècle" affirmait François Mitterrand. On pourrait dire aujourd'hui : "Sans l'Afrique, il n'y aura pas d'histoire d'Europe au 21ème siècle".

Nul ne peut nier que l'ambition européenne est en panne et que la peur du retour à la guerre des années 50 et la peur du communisme des années 70 ne sont plus là pour donner sens à ce projet d'union. Les européens se déchirent plus que jamais sur la question des migrants, sur l'attitude à adopter face à la Grèce, sur la relance ou l'austérité. A l'évidence, là où il n'y a pas de projets, il n'y a que des rivalités.

Comment redonner une ambition à l'Europe et un projet aux européens ? L'actualité nous offre une opportunité : mettre le cap au Sud, regarder l'Afrique, comprendre les Africains, investir intellectuellement et politiquement l'Afrique pour préparer ensemble l'intégration des deux continents ! Et plusieurs exemples démontrent l'opportunité qui s'en dégagerait.

La Chine travaille avec son Sud. Entre la Grande Chine (Chine, Hong Kong, Macao et Taïwan) et l'ASEAN, la coopération économique joue à plein : échanges multipliés par 8 en 14 ans de la Chine vers l'ASEAN, par 5 dans l'autre sens. L'ASEAN est donc un partenaire gagnant de l'importance pour la Chine (12% de la balance) et inversement (22%).

L'Amérique fait de même avec son Sud. En effet, les exportations américaines de marchandises ont été multipliées par 5 avec les autres pays de l'Amérique et pratiquement multipliées par 6 pour ses importations entre 1990 et 2007. Le Mexique est bien entendu un partenaire privilégié pour les Etats-Unis avec la création de deux millions d'emplois en dix ans au Mexique, mais également parce que 80 % des échanges du Mexique se font avec son voisin du Nord. Le Mexique constitue quant à lui le troisième marché des États-Unis.

Pourquoi l'Europe ignorerait-elle que son destin est lié à l'évolution du continent africain ? Le Président du Niger ne s'y trompait pas quand il déclarait récemment "l'observation de l'évolution économique et sociale des deux continents montre à quel point ils sont liés et à quel point un cadre permanent de réflexion stratégique est nécessaire pour guider cette évolution."

Proposer aux Européens et aux Africains un projet d'intégration économique est opportun car les grandes entreprises, cherchant à valoriser la proximité géographique et culturelle ainsi que la complémentarité, s'organisent déjà avec un pied au Nord et un Pied au Sud : c'est la régionalisation de l'économie et la coproduction. Et que dire des Anglais, premiers investisseurs en Egypte et des Espagnols, premiers investisseurs au Maroc.

La coproduction s'impose alors comme le vecteur de ce nouveau paradigme. En tirant profit des complémentarités économiques entre les deux continents, en s'appuyant sur leur proximité géographique et culturelle, la coproduction permet de produire de la qualité à un coût compétitif et ainsi de se projeter sur des nouveaux marchés, en particuliers ceux des pays émergents. Cette stratégie, impliquant un partage de la valeur ajoutée et le transfert de technologies entre deux partenaires, permettra alors de créer des emplois qualifiés de chaque côté de la Méditerranée et de mettre en place les conditions d'émergence d'un véritable marché africain intégré.

Proposer aux Européens et aux Africains un ambitieux projet de paix et de co-développement entre les deux continents est réaliste car la seule approche sécuritaire contre le terrorisme n'est pas la solution. Il faut s'attaquer durablement à la cause du terrorisme : la pauvreté intellectuelle et les mauvaises conditions de vie quotidienne.

Devant la montée des peurs, la menace du déclin et les excès du populisme, la renaissance de l'ambition européenne passe nécessairement par une coopération avec l'Afrique. Chaque pays ne peut pas coopérer individuellement avec les Etats africains. Seule l'Union Européenne peut offrir une ambition à la hauteur des espérances de l'Afrique. Pour que cette proposition historique ait quelque chance d'être acceptée, il faut un New Deal entre l'Europe et l'Afrique. C'est-à-dire un changement de vision en renonçant aux notions de centre et de périphérie ; un changement de comportement qui impose aux européens de passer d'un esprit de conquête à un esprit de partage et pour les Africains d'un sentiment d'allégeance à une volonté de prendre en main leur propre destin. C'est enfin la nécessité de changer de stratégie en passant d'un échange commercial à court terme, à la coproduction partenariale sur le long terme.

L'Afrique ne doit pas être une source de peur et alimenter le populisme, mais une source d'espoir susceptible de redonner, enfin, un projet d'avenir à l'Europe.

 

 

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