La politique des visas de l’Union européenne

Dans un monde globalisé, il est facile de s’apercevoir que les hommes circulent bien moins facilement que les marchandises ou les capitaux. La Méditerranée ne déroge pas à la règle, en dépit des progrès d’une mobilité qui est de plus en plus multiforme, associant motifs professionnels, familiaux et de loisir. Mais la région est loin de la circulation dont elle aurait besoin pour que l’intégration « en profondeur », à laquelle IPEMED travaille, se traduise dans les faits.

 Une plus grande mobilité peut être une solution pour faciliter les ajustements sur des marchés de travail, très fragmentés, de part et d’autre de la Méditerranée. Cela permettrait de pallier aux manques de main d’œuvre structurelle recensées notamment au Nord de la Méditerranée et de faire baisser les taux de chômage élevés notamment des jeunes et des diplômés du Sud. Une autre raison appelle à davantage de mobilité. Elle est politique. Parler d’intégration « en profondeur » n’est pas envisageable sans une fluidité accrue des mobilités des personnes dans la région.

 Ce rapport apporte une analyse sur la migration économique dans différentes régions du monde (UE/Espace Schengen, Etats-Unis, Canada) et contribue aux objectifs de la réflexion de l’IPEMED dans cette thématique qui sont les suivants:
   - informer sur la réalité de la situation et encourager une plus grande mobilité;
   - analyser et mieux comprendre le phénomène de la mobilité et de la migration dans la région ;
   - passer d’une vision administrative des migrations à une vision économique des mobilités.

 Il dresse un état de lieux des dispositifs de visas mis en place par différents pays ou régions du monde pour faciliter la mobilité économique des populations issues du Maghreb (qualifiées et non qualifiées).  Néanmoins, étant donné le caractère réducteur d’une analyse axée uniquement sur les politiques de visas (accès à un territoire), le choix a été fait d’élargir l’objet de l’étude aux politiques d’admission sur un territoire (entrée et séjour).

 Le rapport répond aux questions suivantes :
   - quel type de mobilité (courte, longue durée) est encouragée?
   - quel est le public cible (tout public, entrepreneurs, chercheurs, autres ?)
   - quelles politiques d’admission sont mises en place, quel type de documents sont demandés (visa à entrée multiples ou à une seule entrée, exemption de visas, visa touristique, titre de séjour, etc.)?
   - existe-t-il d’autres dispositifs encourageant la mobilité des populations (par exemple, dans le cadre des accords bilatéraux, de coopération, etc.)?

 La notion de mobilité ou de migration économique est considérée comme tout mouvement entre deux pays motivé soit par la recherche d’un emploi ou inscrit dans cette perspective, soit pour réaliser des activités économiques (investissements, voyages d’affaires, travail indépendant). Sont inclues dans cette notion les migrations aux fins d’étude et de formation professionnelle (stagiaires non-rémunérés et volontaires inclus), car elles peuvent s’inscrire dans la perspective de la recherche d’un emploi. La mobilité pour des motifs non économiques, c'est-à-dire pour de raisons d’asile et de regroupement familial, n’est pas analysée dans ce rapport.

 Pour répondre aux différentes questions, le cadre européen est pris comme référence. Il est comparé aux politiques mises en place aux Etats-Unis et au Canada.

La question de la mobilité économique est un sujet complexe, au carrefour des différentes politiques, celle de visas, de la libre circulation, de la sécurité intérieure, de l’immigration, de l’emploi, de la politique sociale, etc. Ce rapport n’a pas la prétention de réaliser une analyse approfondie de la question. Il propose, plutôt, un regard exploratoire sur la mobilité économique dans la région Euromed et sur les politiques d’admission mises en place dans différentes régions du monde.

Poser la question de la mobilité économique en Méditerranée est une nécessité si l’on veut une intégration régionale en profondeur. C’est aussi un défi, tellement le sujet est complexe et source des débats passionnés.

En partant du cas des migrants issus des pays du Maghreb, l’objectif de ce rapport est de faciliter la compréhension de ce phénomène en analysant les politiques de visas mises en place dans différents pays ou régions du monde (Union européenne (UE)/espace Schengen, Etats-Unis, Canada) et d’identifier des éléments qui pourraient faciliter une plus grande mobilité économique dans la région.

Au niveau européen, c’est l’achèvement progressif du marché unique qui amène les Etats membres à se poser la question de la politique migratoire et de visas à développer. Mais c’est seulement à partir des années 2000 que la machine institutionnelle va se mettre en route pour élaborer des dispositifs (les directives spécifiques) censés attirer et faciliter l’admission des certains catégories de ressortissants des pays tiers dont l’UE a besoin. Ces dispositifs développés à destination des étudiants, des chercheurs, des travailleurs hautement qualifiés et des travailleurs saisonniers sont le fruit de vifs débats entre la Commission européenne et les Etats membres. La première défendant l’idée d’une politique commune structurée autour d’un cadre juridique commun garantissant un ensemble de droits à tous les migrants économiques (« approche horizontale ») et les Etats prônant une approche sécuritaire et plus sélective, avec la mise en place des dispositifs différenciés en fonction du statut du migrant.

Au bout du processus, l’Union européenne n’a pas de politique commune de l’immigration économique. Il s’agit plutôt d’une juxtaposition de dispositifs caractérisés par :

   - une facilitation de la mobilité dans l’espace Schengen pour de courts séjours si le titre est délivré par un pays membre de cet espace ;
   - une facilitation de la mobilité dans l’espace Schengen pour de séjours de plus de trois mois mais toujours en lien avec la raison pour laquelle le titre a été délivré;
   - des conditions plus favorables et des dérogations pour faire venir la famille du ressortissant (chercheurs, titulaires d’une carte bleue européenne), mais des démarches restent à faire en cas d’installation dans un deuxième Etat membre ;
   - un effort de simplification administrative même si les procédures restent complexes et très souvent doivent se faire en étroite collaboration avec l’employeur ;
   - une harmonisation à minima du fait de la main mise des Etats membres;
   -  l’obtention de ces titres est censée faciliter l’obtention des visas quand nécessaire, mais il ne s’agit pas d’une disposition juridiquement contraignante pour les Etats membres.

Malgré une certaine harmonisation et comme le montrent les différents rapports réalisés par la Commission sur l’application des directives et les chiffres d’Eurostat, l’UE n’arrive pas à attirer en nombre suffisant les catégories de migrants ressortissants des pays tiers qu’elle souhaite privilégier (chercheurs, travailleurs hautement qualifiés). Elle continue à attirer surtout des migrants venant réaliser d’autres activités rémunérées (toute activité qui ne rentre pas dans les catégories spécifiques), des étudiants et des travailleurs saisonniers.

 Aux Etats-Unis, le choix qui a été fait est celui d’une politique de migration économique ambitieuse basée sur la demande des employeurs, qui pilotent la procédure. L’objectif est de faire venir, de façon permanente ou temporaire, des travailleurs étrangers ayant des compétences ou des profils spécifiques et pouvant occuper des emplois dans des secteurs stratégiques ou rencontrant des pénuries de main d’œuvre. Une longue liste des dispositifs (il existe plus de 80 types de visa temporaires, Green card, etc.) très précis a été élaborée. Des quotas sont établis.

Néanmoins, le système mis en place par les Etats-Unis est :
   - complexe, les procédures en place ne sont pas simples ni transparentes - pas assez accessibles ni pour les migrants ni pour les employeurs;
   - coûteux, de part les frais liés à la procédure mais également car souvent les migrants et les employeurs doivent faire appel à des juristes spécialisés;
   - peu transparent et peu réactif aux besoins du marché. Les délais d’attente pour se voir délivrer un visa peuvent aller jusqu’à plusieurs années.

Tous les acteurs concernés font le constat du besoin d’une reforme globale du système mais les visions divergentes notamment entre le Sénat, plus enclin au développement d’une politique plus favorable à l’immigration de travail, et la Chambre de représentants, encourageant une politique restrictive, ont bloqué cette reforme jusqu’à maintenant. Ce sont surtout les employeurs et notamment ceux souhaitant faire entrer aux Etats-Unis des travailleurs qualifiés et ceux évoluant dans les secteurs des TIC qui font pression sur le gouvernement pour encourager la migration économique et augmenter le nombre de visas délivrés aux travailleurs étrangers.

La complexité du système n’empêche pas les Etats-Unis d’attirer un grand nombre d’étudiants, venant réaliser notamment des études supérieurs, des travailleurs hautement qualifiés qui deviennent résidents permanents après avoir été des migrants temporaires, mais aussi des travailleurs saisonniers originaires, pour la plus grande partie, du Mexique.

Le Canada a depuis toujours fait appel à l’immigration dans une perspective d’installation permanente. Mais, de plus en plus, le système mis en place cherche également à répondre aux besoins du marché du travail et aux pénuries de main d’œuvre pour soutenir la croissance économique du pays.

Les différents gouvernements ont développé un système hybride combinant un modèle de sélection par l’offre (dans le cadre de la migration économique permanente les migrants peuvent entrer dans le pays sans avoir une offre d’emploi ferme) et par la demande (ce sont les employeurs qui pilotent la procédure pour la migration économique temporaire). L’objectif est d’attirer des migrants qualifiés ayant les compétences et l’expérience professionnelle leur permettant d’exercer un métier et pouvant réussir leur intégration économique.

Seulement deux titres (carte de résident permanent et visa de résident temporaire) sont délivrés mais plusieurs programmes existent pour faciliter la venue des travailleurs étrangers. Les délais de délivrance, notamment de la carte de résident permanent, peuvent prendre plusieurs années.

La migration économique permanente, avec le programme pour les travailleurs qualifiés et un système à points, est la principale voie d’accès au marché canadien. Même si depuis quelques années, la migration économique temporaire prend de l’ampleur obligeant le gouvernement à réfléchir globalement à la politique migratoire du pays.

Ce rapport sur les dispositifs juridiques que l’UE, les Etats-Unis et le Canada mettent en place à l’attention des migrants économiques permet d’ouvrir le débat sur la question large de la mobilité économique et de la migration.

Définir la politique d’immigration économique la plus « adaptée » à un pays donné est un sujet complexe. Autant les pays qui ont des dispositifs de migrations économique plus anciens, comme le les Etats-Unis (loi INA du 1952) ou le Canada (loi sur l’immigration de 1967) que l’UE, avec des dispositifs beaucoup plus récents (début 2000) questionnent régulièrement le système en vigueur.

Faut-il privilégier une approche horizontale concernant tous les migrants économiques ou, au contraire, sélectionner davantage les candidats selon différents critères ? Faut-il un grand choix de dispositifs spécifiques, comme aux Etats-Unis, ou un système plus ramassé comme celui du Canada qui propose seulement deux titres, un pour les résidents permanents et un autre pour les temporaires ? Faut-il privilégier la migration économique temporaire, même si cela implique des longs séjours sur le territoire national (au Canada cela peut aller de six mois jusqu’à cinq ans) ou la migration économique permanente ? Faut-il laisser la porte ouverte à la citoyenneté ? Faut-il privilégier les titres multi-entrées et ceux pluriannuels ?

L’analyse réalisée dans ce rapport fait ressortir quelques points communs aux différentes politiques développées envers les migrants économiques :

      - face au vieillissement des populations et aux pénuries de main d‘œuvre, la migration économique apparaît comme un besoin ;
      - il existe une véritable course mondiale pour attirer les migrants les plus qualifiés, d’où l’importance de mettre en place une politique migratoire attractive, au moins pour cette catégorie des migrants ; - les pays veulent mieux maitriser, voir réduire, la migration non économique, notamment le regroupement familial ;
      - l’intérêt est croissant pour une migration économique de plus en plus choisie et adaptée aux besoins du marché du travail national, voire local, même si ces besoins sont difficiles à évaluer rapidement; - le lien croissant entre l’ouverture des frontières et le renforcement du volet sécuritaire avec souvent une externalisation du contrôle aux pays d’origine des migrants, sans que cela ait un impact conséquent dans la réduction de l’immigration illégale.

En vue d’une région euroméditerranéenne fortement intégrée, notamment au niveau économique, plusieurs idées peuvent être soumises au débat afin de mettre en place un espace euro-méditerranéen de la mobilité économique :

     - développer des dispositifs qui fluidifient la mobilité autant géographique (titres à entrés multiples, dépassement du schéma de la mobilité circulaire) qu’économique (possibilité de changer d’employeur, d’évoluer de statut et passer d’étudiant à jeune travailleur, de migrant temporaire à permanent, etc.) : plus les dispositifs sont rigides plus ils fixent, même précarisent , les populations sur un espace donné ;
     - sécuriser le parcours du migrant afin qu’il puisse exploiter ses compétences et s’impliquer dans le développement économique de la région en ayant « un pied au Nord et un pied au Sud ». Cela pourrait se faire en lui assurant, par exemple, des droits égaux à ceux des travailleurs nationaux, la possibilité d’avoir une portabilité de certains droits (chômage, retraite, etc.) au moment du départ, la possibilité de venir accompagné de certains membres de sa famille, de faciliter l’accès à la citoyenneté et à la binationalité, d’accéder à des titres pluriannuels, etc. ; - dissocier, notamment au niveau des politiques européennes, la question de la mobilité de celle de l’immigration et du contrôle des frontières pour pouvoir imaginer l’espace de mobilité euro-méditerranéen sans instrumentalisation politicienne ;
     - renforcer l’action de l’UE en s’appuyant sur les politiques les plus actives en la matière mises en place par certains état membres ;
     - associer toutes les parties prenantes (acteurs publiques, économiques – entreprises et syndicats, société civile, représentants des diasporas, réseaux professionnels euro-méditerranéens, etc.) dans l’élaboration de cet espace.

Mais le migrant n’est pas seulement un acteur économique, il est aussi porteur d’une identité multiple qui peut être une source potentielle de rapprochement Nord-Sud. Cette identité multiple peut être un levier puissant d’intégration régionale à condition qu’elle soit davantage reconnue, valorisée, accompagnée. Les pouvoirs publics, autant du Nord comme du Sud, ont un rôle majeur à jouer afin de créer les conditions d’une nouvelle confiance encourageant l’implication active des migrants, notamment économiques, dans le rapprochement des deux rives. Cela renvoie à la question de la société (euro-méditerranéenne) dans laquelle nous voulons vivre.