Les politiques d’attraction des ressortissants résidant à l’étranger

Le potentiel que les migrants résidants à l’étranger peuvent apporter à leur pays d’origine n’est plus à démontrer : transfert de compétences et de savoir-faire, transfert de remises, capacité à investir et développer des projets localement, etc. Comment les pays d’origine gardent-ils un lien avec leurs ressortissants résidant à l’étranger ? Quelle organisation des relations avec leurs diasporas développent-ils ? Quels dispositifs mettent-ils en place pour tirer profit de ces compétences et ressources pour le développement du pays ?

L’étude que l’IPEMED a lancé en 2013 cherche à mieux comprendre les stratégies et les dispositifs déployés par différents pays envers leurs diasporas afin de garder un lien avec elles et les inciter à faire bénéficier leur pays d’origine de leur compétences et savoir-faire. L’étude cherche également à évaluer l’impact de tels dispositifs.

Les objectifs du rapport

Le rapport a pour objectif de réaliser un état des lieux des politiques publiques d’attraction des migrants mises en place par trois pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (comme le Maroc, l’Algérie, le Liban) depuis les années 1990 jusqu’à nos jours et cherche  tout particulièrement à : 

1. Présenter les différents dispositifs juridiques et politiques d’attraction envers leurs ressortissants résidant à l’étranger.
2. Donner des éléments du contexte dans lequel ces dispositifs ont été crées.
3. Analyser l’impact de tels dispositifs sur la mobilisation de la diaspora.


Ce rapport analyse les dispositifs mis en œuvre par trois États – le Maroc, l’Algérie et le Liban – afin de maintenir des liens avec leurs ressortissants qui résident à l’étranger. À l’origine de ces dispositifs, un constat : l’émigration a un impact sur les pays de départ. Elle peut avoir un effet positif grâce aux transferts de fonds et aux transferts de compétences. De plus, les émigrés peuvent jouer le rôle de pont entre le pays de départ et le pays d’accueil. L’impact de l’émigration peut être négatif si le pays de départ ne parvient pas à maintenir des liens avec ses ressortissants à l’étranger, à stimuler les transferts de fonds et à les orienter vers des secteurs productifs. C’est pourquoi, un nombre croissant d’États mettent en œuvre des dispositifs qui visent à maximiser les bénéficiers de l’émigration et à en minimiser les coûts.

Le Maroc, le Liban et l’Algérie ont expérimenté différentes formules institutionnelles. Ce rapport accorde une attention particulière aux institutions spécifiquement dédiées à l’émigration. Il retrace leur évolution en mettant en avant les difficultés auxquelles elles ont du faire face. Dans les trois cas étudiés, l’action des ministères dédiés à l’émigration a été confrontée aux problèmes de chevauchement de compétences, de concurrence institutionnelle et d’insuffisance budgétaire. Ces problèmes étaient plus saillants encore dans le cas libanais.

Les dispositifs mis en place ont trois objectifs principaux : renforcer et pérenniser les liens économiques entre les émigrés et leur pays d’origine, créer ou maintenir des liens culturels et permettre la représentation politique des émigrés.

Afin de renforcer et pérenniser les liens économiques, le Maroc met œuvre des mesures incitatives spécifiquement à l’intention des émigrés. Les autorités marocaines mettent en place des dispositifs pour orienter les investissements vers les secteurs productifs (campagnes d’information, dispositifs de cofinancement pour les investissements des émigrés dans certains secteurs estimés productifs, etc.). En Algérie et au Liban, malgré une rhétorique qui met en avant le potentiel économique que représentent les transferts de fonds des émigrés, aucun avantage ne leur est accordé. Les autorités en appellent au patriotisme des émigrés pour dynamiser les transferts de fonds et les investissements. Pour stimuler les transferts de compétences, le Liban, le Maroc et l’Algérie mettent en place des dispositifs inspirés du programme Tokten du Pnud, qui visent à faire contribuer les migrants qualifiés à des projets lancés par des organismes du pays d’origine.

Afin de créer et maintenir les liens culturels avec les émigrés, le Maroc et l’Algérie mènent une politique dynamique qui vise plus particulièrement les descendants des émigrés. Ils favorisent les retours vacanciers (facilitent les flux estivaux et organisent des colonies de vacances et des écoles d’été pour les émigrés). Le Maroc et l’Algérie ont des dispositifs qui permettent aux enfants d’émigrés de se familiariser avec la langue et la culture de leurs parents dans leur pays de résidence (cours de culture et de langue, activités organisées par le centre culturel algérien à Paris ou le centre culturel marocain à Montréal, etc.). À l’exception des colonies pour jeunes issus de l’émigration, ou de journées dédiées à l’émigration, le Liban a mis en œuvre peu de dispositifs visant à maintenir les liens culturels avec ses émigrés. L’ancienneté de l’émigration libanaise, la distance entre le Liban et les pays d’accueil, la dispersion de l’émigration ainsi que l’instabilité de l’État libanais contribuent à expliquer ce déficit.

Afin de permettre la représentation politique des émigrés, le Maroc, l’Algérie et le Liban ont dû repenser les notions de nationalité et de citoyenneté. Les trois États autorisent la double nationalité et permettent la transmission de la nationalité par la filiation. Dans le cas du Liban, la transmission de la nationalité ne se fait que par le père. Tous ont octroyé le droit de vote aux émigrés. Les Algériens jouissent d’une représentation spécifique au sein du parlement depuis 1997. Au Maroc, les MRE peuvent s’inscrire sur les listes électorales de leur commune d’origine, mais ne peuvent voter qu’en se déplaçant au Maroc ou par procuration.  Au Liban, la loi prévoit, depuis 2008, que les émigrés libanais votent pour leurs circonscriptions d’origine depuis l’étranger. Cette loi devrait être mise en application aux élections législatives de 2014.

Bien que l’émigration soit historiquement et sociologiquement ancrée dans les trois cas étudiés, le Maroc, l’Algérie et le Liban sont confrontés à des situations migratoires différentes. L’émigration libanaise est plus ancienne. Elle a débuté au milieu du XIXème siècle, avant que les frontières de l’État ne soient tracées et que la nationalité libanaise n’existe. L’émigration algérienne est devenue significative durant la Première Guerre mondiale. Quant à l’émigration marocaine, elle ne prend de l’ampleur que durant les années1960.

 C’est en raison de l’ancienneté de l’émigration libanaise que le problème du maintien des liens culturels et identitaires est amplifié au Liban. Le Maroc et l’Algérie sont confrontés de manière croissante à ce défi puisqu’il y a aujourd’hui des générations de personnes nées à l’étranger de parents ou grands-parents marocains ou algériens. Le maintien de ce lien peut être plus ardu, dans le cas libanais, en raison de la dispersion de sa population et les distances importantes qui séparent l’État d’origine des pays d’accueil. Le Maroc et l’Algérie ne sont pas confrontés à ce problème. En effet, 90% des émigrés marocains résident en Europe, dont plus d’un tiers en France. Quant aux ressortissants algériens, ils résident en large majorité (85%) en France. Dans le cas du Maroc et de l’Algérie, les populations émigrées sont relativement concentrées et géographiquement proches de leur pays d’origine, alors que dans le cas du Liban, les émigrés et leurs descendants dont dispersés et éloignés.

 La situation migratoire libanaise diffère également, car elle s’inscrit dans un contexte politique spécifique marqué par la politisation des données démographiques. Le régime politique libanais est basé sur un partage du pouvoir entre les communautés lui-même fondé sur des données démographiques. La part de l’émigration dans la population totale est bien plus importante au Liban qu’au Maroc ou en Algérie. L’équivalent d’un quart des personnes qui détiennent la nationalité libanaise vit à l’étranger et il y a probablement plus de Libanais et de personnes d’origine libanaise à l’étranger qu’au Liban. En guise de comparaison, environ 3,4 millions de personnes de nationalité marocaine résident à l’étranger, soit 10% de la population, et moins de 2 millions de personnes de nationalité algérienne, soit environ 5% de la population.

 Les profils socio-économiques des migrants varient. Selon la Banque mondiale, le taux d’émigration parmi les personnes de 25 ans et plus ayant fait au moins une année d’étude supérieure est de 43,9% au Liban, 18,6% au Maroc et 9,5% en Algérie. L’émigration de personnes qualifiées est un phénomène plus récent au Maroc et en Algérie.

 Les trois pays étudiés sont confrontés à des situations migratoires dissemblables. Pourtant, tous expriment un intérêt envers leurs ressortissants qui résident à l’étranger. Tous les trois ont progressivement admis que les émigrés étaient amenés à jouer un rôle dans les sociétés de départ et qu’il fallait œuvrer afin de maintenir et approfondir les liens économiques, culturels et politiques entre l’État et ses ressortissants à l’étranger.

 Afin de mettre en œuvre leur politique d’émigration, le Maroc, le Liban et l’Algérie ont expérimenté différentes formules institutionnelles. Dans les trois cas, l’action des ministères dédiés exclusivement à l’émigration a dû faire face aux problèmes de chevauchement de compétences, à la concurrence institutionnelle et aux difficultés budgétaires. L’expérience des ministères autonomes dédiés à la gestion de l’émigration a été abandonnée en Algérie et au Liban.

 

Économie et développement

 S’agissant du maintien des liens économiques, le Maroc, l’Algérie et le Liban souhaitent bénéficier des transferts de fonds et des transferts de compétences des émigrés.

 Le Maroc a la politique la plus développée en matière de transfert des fonds représentant environ 7% du PIB national. Afin de stimuler les transferts de fonds, le Maroc met en place des mesures incitatives spécifiquement à l’intention des émigrés alors que dans le cas de l’Algérie et du Liban, les émigrés n’ont pas d’avantages particuliers. Le Maroc stimule les transferts en faisant appel à la rationalité économique des émigrés. Les autorités marocaines mettent en place des dispositifs de cofinancements tels que « MDM invest » pour orienter les investissements vers les secteurs productifs. Elles organisent des campagnes de communication sur les possibilités d’investissements au Maroc et soutiennent des initiatives telles que les salons organisés par le groupe SMAP pour promouvoir les investissements. En Algérie, où les transferts de fonds représentent une partie minime du PIB, les autorités mettent en place principalement des dispositifs afin que ces transferts soient effectués par les canaux officiels. Ces dispositifs ont des résultats mitigés en raison, notamment, de la plus-value du taux de change sur le marché informel (équivalent à près d’une fois et demie le taux officiel durant l’été 2013). Aucune disposition ne vient stimuler les transferts des émigrés et leurs investissements en leur accordant des avantages propres. En Algérie, des campagnes d’information sur les possibilités d’investissements ont été amorcées puis abandonnées. Au Liban, où les transferts de fonds représentent pourtant 18% du PIB, les dispositifs mis en place pour attirer les transferts n’octroient pas d’avantages aux émigrés. Les autorités en appellent plus souvent au patriotisme des émigrés pour dynamiser les transferts.

 Pour stimuler les transferts de compétences, le Liban, le Maroc et l’Algérie mettent en place des dispositifs similaires. Tous sont inspirés du programme Tokten du Pnud. Ces dispositifs visent à faire contribuer les migrants hautement qualifiés à des projets lancés par des organismes du pays d’origine. Cette contribution se fait sous la forme de mission d’expertise ou de consultance. Tokten-Liban, le Fincome au Maroc et le « le portail des compétences nationales à l’étranger » en Algérie reposent tous les trois sur la constitution d’une base de données des migrants hautement qualifiés. Hormis le Maroc qui avait commandé une étude sur le programme Fincome en 2008-2009, il n’y a pas d’évaluation des dispositifs de transferts de compétences.

 

Identité et culture

 Le maintien des liens culturels et identitaires avec les nationaux qui résident à l’étranger est une préoccupation commune aux trois États étudiés. Le maintien des liens passe par la facilitation des retours vacanciers dans le cas de l’Algérie et du Maroc. Les deux États doivent faire face à des flux particulièrement importants pendant la période estivale et mettent en œuvre des dispositifs qui visent à faciliter le voyage et le rendre plus agréable. De réelles améliorations ont été notées dans ce domaine. Dans le cas de l’Algérie, les tarifs, particulièrement élevés, des billets d’avion et de bateau en période estivale, malgré la proximité géographique avec le pays d’installation, demeurent un obstacle majeur à la venue des émigrés.

 Les trois États étudiés proposent des camps de vacances ou des universités d’été dédiés aux jeunes émigrés afin que ces derniers se familiarisent avec leur pays d’origine. Les programmes incluent des activités culturelles et des initiations linguistiques.

 L’Algérie et le Maroc mettent en œuvre des actions destinées à promouvoir les cultures d’origines dans les pays d’accueil. L’Algérie a un centre culturel à Paris et le Maroc a ouvert, en 2012, un centre culturel à Montréal (Dar Al Maghrib). Le Maroc a l’intention d’étendre son réseau de centres culturels. L’Algérie a confié à l’agence pour le rayonnement culturel un rôle dans le maintien du lien culturel entre l’Algérie et ses ressortissants.

 Le Maroc et l’Algérie proposent des enseignements de la langue et de la culture d’origine dans les pays d’accueil.

 

Nationalité et citoyenneté

 Enfin, les États tentent de maintenir des liens politiques avec leurs ressortissants qui résident à l’étranger. Les législations algériennes, libanaises et marocaines permettent aux émigrés de garder leurs nationalités, y compris s’ils acquièrent la nationalité du pays d’accueil. Dans les trois cas étudiés, ils peuvent transmettre la nationalité à leurs descendants. Dans le cas libanais, seuls les pères peuvent transmettre la nationalité à leurs enfants. Cela exclut de facto un certain nombre de descendants d’émigrés. Le Liban a annoncé en 2008 « la carte de l’émigré », un dispositif destiné à faciliter la circulation et les investissements des personnes d’origine libanaise qui n’ont pas la nationalité. Ce dispositif n’a toujours pas été mis en place.

 Le Maroc, l’Algérie et le Liban reconnaissent la qualité de citoyen à leurs nationaux qui résident à l’étranger et affirment qu’ils souhaitent que cette citoyenneté puisse être exercée activement. Dans le cas de l’Algérie, les émigrés peuvent voter et jouissent même d’une représentation spécifique au sein du parlement depuis 1997. Au Maroc, les MRE peuvent s’inscrire sur les listes électorales d’une commune où eux, leur conjoint ou leurs ascendants possèdent des biens, ou dans la commune de naissance de leur père ou leur grand-père. Ils ne peuvent voter qu’en se déplaçant au Maroc ou par procuration. Au Liban, le droit de vote fut octroyé aux nationaux résidant à l’étranger en octobre 2008. La loi prévoit que les émigrés libanais votent pour leurs circonscriptions d’origine depuis l’étranger L’application de la loi a été reportée aux élections de juin 2013, elles-mêmes reportées à novembre 2014.

 

Perspectives

 Les communautés nationales établies à l’étranger font l’objet d’une attention croissante sur la scène internationale. Les États sont plus soucieux qu’auparavant de leur diaspora. Ils souhaitent associer leurs ressortissants qui résident à l’étranger à la vie politique et économique nationale. Ils prennent conscience que les diasporas peuvent jouer le rôle de relais entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Il y a une convergence nette de la perception de l’émigration dans les pays de départ.

 Les acteurs institutionnels formulent une forte demande de concertation au sujet du maintien des liens politiques, culturels et économiques avec les émigrés, comme en témoigne la conférence ministérielle sur les communautés nationales à l’étranger qui s’est tenue à Paris en juin 2013. Il conviendrait d’encourager cette concertation et promouvoir des échanges concernant les « bonnes pratiques ». Il faudrait également œuvrer à plus de coordination entre les acteurs institutionnels bien que celle-ci représente un véritable défi puisque la nature même de l’émigration en fait un dossier aux carrefours des compétences de plusieurs ministères.  Cette concertation doit inclure la société civile, notamment les représentants des associations de migrants. Le maintien de lien entre le pays de départ et le migrant est le fait de l’action des migrants, en premier lieu.

SOUIAH  farida

SOUIAH farida

Experte associée

Doctorante de science politique, spécialité politique comparée « monde musulman » à l’IEP de Paris.