Rapport du groupe de travail sur les valeurs communes en Méditerranée

Jeudi 23 Septembre 2010

Dans le cadre du programme de prospective « Méditerranée 2030 », IPEMED, qui se consacre au rapprochement des deux rives de la Méditerranée par l’économie, a été confronté à une question venue notamment des décideurs de la rive sud : au nom de quelles valeurs devrions-nous faire le choix d’une intégration euroméditerranéenne ?

Pour répondre à ce délicat croisement d’approches économique et culturelle, le programme de prospective a monté un groupe de travail dédié aux valeurs euroméditerranéennes. Sa première tâche a consisté à différencier trois notions différentes :

(i) la notion de valeur, notion complexe qui ne doit surtout pas être limitée à la religion, ni élargie à un ensemble trop disparate de comportements (familiaux, religieux, politiques, de loisir, associatifs…), ni abordée de manière normative et notamment en posant que les valeurs occidentales constitueraient un « kit » prêt-à-porter (le groupe de travail reprend à son compte la formule selon laquelle « la démocratie ça ne s’exporte pas, ça s’importe ») ;

(ii) la notion de « préférences collectives », qui fait l’objet d’un nombre croissant de travaux compte tenu de la nécessité dans laquelle les nations se trouvent de coopérer les unes avec les autres. Il s’agit non pas de nous mettre d’accord sur une valeur positive commune, cardinale et absolue ; mais sur nos difficultés communes face à un dilemme sociétal, et sur une façon commune – parmi plusieurs autres possibles – d’y répondre. Ces dilemmes sociétaux sont notamment la question du rapport au développement (choix entre court terme et long terme, entre pérennité et transformation, autrement dit la question du temps), celle du rapport entre autonomie individuelle et cohésion collective (autrement dit la question de la liberté), et celle du rapport au droit (autrement dit la question de la justice et notamment de la place de la règle de droit). Ces dilemmes ne sont pas propres à la Méditerranée ; mais c’est sans doute la capacité à définir des préférences collectives communes qui dessinera les contours les plus significatifs des régions de demain ;

(iii) la notion de « vecteurs de mobilisation ». Identifier les valeurs qui fondent une région commune ou les préférences qui définissent son projet est une chose ; les mettre en mouvement en est une autre. Dans vingt ans y aura-t-il une valeur pour la défense de laquelle les populations, dans toute la région, descendront dans la rue si elle devait être remise en cause ? Il s’agit d’identifier ce qui travaille à bas bruit, et que nous ne repérons peut-être pas encore clairement. C’est ce à quoi répond la méthodologie dite du « contrat invisible » mise en œuvre par la société Stratorg dans le cadre de Méditerranée 2030.


Sur un plan plus sociologique, le groupe de travail s’est par ailleurs attaché à l’évolution rétrospective des valeurs dans certains pays de la région. Deux séminaires ont été consacrés aux cas de la Tunisie et du Maroc. Ils ont montré, à la fois, la persistance d’un fort attachement aux valeurs collectives et notamment familiales, et la montée en puissance de valeurs dites modernes, celles de l’individuation (y compris dans la pratique religieuse) qui a caractérisé l’évolution des sociétés européennes depuis au moins les trois derniers siècles. Dans les deux pays également, le politique a été identifié comme un « maillon faible des valeurs collectives ». Cela pose le problème de l’investissement de ce champ par les acteurs du développement, si l’on veut faire de la règle de droit une préférence collective partagée dans la région.

Sur un plan pratique, il reste à appliquer la méthodologie du contrat invisible à d’autres pays de la région. Une autre piste consisterait à faire le bilan des différents groupes de travail lancés par Euromed depuis 1995 sur la question des valeurs communes. Enfin l’idée d’une enquête régulière sur l’évolution des valeurs dans l’espace régional (« baromètre euroméditerranéen ») pourrait faire l’objet d’investigations complémentaires.

Font parti du groupe de travail : Pierre BECKOUCHE (coordinateur, IPEMED), Abdellah EL ASRY (Stratorg, France), Jean Luc FALLOU (Stratorg, France), Salam KAWAKIBI (ARI, Syrie), Salim KELALA (CEAP, Algérie), Sanja KLEMPIC (IMES, Croatie), Tawfic MOULINE (IRES, Maroc), Jacques OULD AOUDIA (Minefi, France), Ahmed Youra OULD HAYE (MAED, Mauritanie), Khaled SELLAMI (ITES, Tunisie), Vladimir SKRAČIĆ (Université de Zadar, Croatie).

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