Vers une intégration des marchés de médicaments sud méditerranéens

En 2011-2012 un état des lieux des systèmes de santé dans trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) a été réalisé par un groupe de spécialistes maghrébins de santé publique pour IPEMED. Le rapport « Les systèmes de santé en Algérie, Maroc et Tunisie : défis nationaux et enjeux partagés » présente, d’une part, les défis communs auxquels devront faire face ces pays (transition démographique, épidémiologique, organisationnelle et démocratique) et, d’autre part, fait des propositions méthodologiques aux pays souhaitant engager des réformes.

Une de ces propositions est « de mettre en place une régulation accrue du marché du médicament encourageant plus de convergence, voire d’intégration, au niveau maghrébin » et d’encourager des collaborations entre les pays. Une plus grande convergence des procédures d’autorisation de mise sur le marché (AMM), la mise en place d’un comité scientifique commun aux pays concernés pour l’évaluation scientifique de la demande d’AMM, des politiques de soutien à des productions nationales complémentaires, etc. pourraient être des actions concrètes permettant d’aller vers un marché du médicament plus intégré au Maghreb.

Dans ce contexte, IPEMED a réalisé en septembre 2013 un état des lieux du marché du médicament dans trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) afin de mettre en exergue les complémentarités existantes et d'identifier des éléments structurants permettant une plus grande intégration maghrébine. Ce premier rapport a été complété en 2015 par deux nouvelles monographies sur les marchés du médicament de la Mauritanie et de la Libye.

Au niveau européen, une harmonisation des procédures s’est opérée, depuis 1995, avec la création de l’Agence européenne du médicament (EMA), organe de l’UE chargé de l’évaluation et la supervision des médicaments et la mise en place de la procédure centralisée (l’EMA évalue et décide d’octroyer l’AMM qui s’applique à l’ensemble des pays européens) et de celle de la reconnaissance mutuelle (lorsqu’un médicament a déjà une AMM dans un pays membre et qu’il est destiné à être mis sur le marché dans un ou plusieurs autres états membres, il peut être demandé aux autres états membres de reconnaitre l’AMM octroyée par l’état membre de référence choisi par la firme). En 2005, une procédure décentralisée a également été mise en place. Cette procédure, plus rapide et moins contraignante que les autres, est utilisée lorsqu’un médicament n’a pas encore d’AMM (un dossier est déposé en même temps dans tous les pays concernés, l’évaluation est menée par le pays de référence choisi par la firme, si l’autorisation est accordée par le pays de référence, elle l’est dans les autres états membres en même temps).

Un autre exemple à citer en matière d’harmonisation des procédures d’enregistrement des médicaments à l’échelle régionale est celui des Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Il pourrait servir de modèle pour mettre en place un système d’harmonisation des législations relatives à l’enregistrement et au contrôle de qualité. Les Communautés économiques régionales (CER) offrent le cadre institutionnel le mieux adapté pour promouvoir ces réformes. Celle entreprise par l’UEMOA repose sur trois dispositifs complémentaires encadrés par un ensemble de textes réglementaires :
- un dispositif centralisé d’AMM organisé autour d’un Comité régional du médicament vétérinaire (CRMV) chargé d’instruire les demandes d’AMM ;
- un dispositif unique de contrôle de qualité par la mise en réseau des laboratoires performants des etats membres de l’UEMOA ;
- un dispositif de réglementation, représenté par le Comité vétérinaire de l’UEMOA, organe consultatif, chargé de coordonner l’action réglementaire.

La situation des marchés du médicament est très différente d’un pays du Maghreb à l’autre (le Maroc est un producteur important de médicaments et couvre environ 70% de ses besoins nationaux, l’Algérie et la Tunisie sont à des niveaux inférieurs, 40 voire 50% et la Tunisie a la particularité d’avoir un monopole à l’importation des médicaments). Elle n’est pas comparable à celle des pays européens au début des années 1990. Cependant, des similitudes existent entre pays maghrébins : volonté affichée de développer la production des médicaments et notamment des génériques, multiplicité d’unités de production de petite taille, non concurrentielles, problèmes d’approvisionnement notamment dans le secteur public, etc. Cela permet d’envisager une plus grande intégration de ces marchés. 

Les avantages d’une procédure commune d’AMM ne seraient pas négligeables :
- promouvoir un meilleur accès aux médicaments pour les populations ;
- accompagner l’émergence d’une communauté scientifique et technique de haut niveau (« regulatory scientific community ») au travers du partage de la connaissance et des savoirs en termes d’évaluation et de réglementation des médicaments entre les pays concernés ;
- donner plus de poids aux pays concernés dans leurs négociations internationales;
- développer l’industrie pharmaceutique locale en facilitant l’accès aux marchés du médicament au niveau maghrébin (pour pouvoir bénéficier des économies d’échelle) ;
- diminuer les délais et les coûts de la procédure.

Aux côtes des recommendations d'ordre général proposées dans le rapport "Vers un marché magrébin du médiament", les propositions concrètes suivantes sont également formulées :


Recommandations concernant l’intégration par l’achat en commun des médicaments

- Réactiver le Comité maghrébin d'achat commun des médicaments et lui déléguer le soin d'acheter une liste de produits définie d'un commun accord (UMA) ;
- Dresser la liste des besoins communs concernant les produits pharmaceutiques aux pays du Maghreb en attendant l'élaboration d'une nomenclature commune de médicaments de base et l'actualisation de la convention maghrébine d'achat groupé (UMA) ;
- Mettre en place une commission de préparation d'appel d'offres permanente pour les achats en commun des médicaments ;
- Appliquer aux médicaments et biens médicaux d'origine maghrébine le principe du traitement national en ce qui concerne les taxes exigées dans le pays importateur.


Recommandations concernant l’intégration par l’AMM

- Organiser des ateliers, des réunions et des séminaires sur les procédures d'harmonisation de l'enregistrement et du contrôle des médicaments ;
- Faciliter la coopération inter-laboratoires nationaux de contrôle de la qualité des produits médicamenteux et continuer la lutte contre les médicaments non conformes aux normes ou contrefaits (UMA) ;
- Elaborer un projet maghrébin pour la coordination des systèmes d'enregistrement des médicaments (UMA) ;
- Rédiger la version finale du projet maghrébin de coordination des systèmes d'enregistrement des médicaments (UMA) ;
- Accélérer la mise en œuvre des recommandations du Conseil ministériel maghrébin lors de la 10ème et la 11ème session concernant l’intégration du processus d’enregistrement des médicaments aux pays du Maghreb (UMA).


Recommandations concernant l’intégration par la production des médicaments

- Mettre en place une structure regroupant les industriels pharmaceutiques maghrébins (IOPM) ;
- Assurer une diversification de la gamme de production pour une intégration des différentes technologies : formes injectables, aérosols, etc. (Coulibaly A.) ;
- Assurer le suivi des indicateurs mis au point par l’OMS visant l’évaluation du potentiel de la production pharmaceutique et la mesure des performances de ce secteur ;
- Développer des infrastructures, promouvoir les ressources humaines, intégrer les nouvelles technologies d'information et de communication et procéder au transfert de la technologie ;
- Débuter l’intégration par la production des vaccins, des produits d'oncologie, des sérums et des médicaments issus de la biotechnologie ;
- Renforcer la capacité locale de production par la mise en place d’un cadre incitatif favorable à l’investissement dans la filière (Coulibaly A.) ;
- Développer la coopération maghrébine en matière de production des médicaments (notamment des génériques);
- Mettre en place une association indépendante des fabricants de médicaments afin que l'industrie pharmaceutique puisse bénéficier d'un espace d’échange scientifique, commercial et industriel au Maghreb (CIP).

ZERHOUNI Mohamed Wadie

ZERHOUNI Mohamed Wadie

Expert associé