Combattre la cybercriminalité à un niveau régional

Vendredi 26 Juin 2015
Interview avec Alain Ducass, expert et consultant auprès de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED)
Le Manager : Comment évaluez-vous le secteur du e-commerce en Tunisie ?

Alain Ducass : En Europe, le secteur du e-commerce a connu diverses phases de maturité, il y a des mutations tous les quatre à cinq ans. En France, au début c’était une simple présence des entreprises ensuite des professions sur internet. Ensuite, il y a eu des phases de structuration de l’offre. Par exemple au niveau de l’e–tourisme, il y a eu des travaux d’e-tourisme destinés à trouver des solutions pour des régions en France qui étaient plus chères que certaines destinations africaines pour qu’elles continuent à attirer des touristes. Structurer l’offre permet à toutes les catégories de touristes de trouver ce qui leur convient et donc de dynamiser les régions. Lors de l’étude en cours de l’IPEMED sur le commerce électronique en Tunisie, au Maroc, au Sénégal et en Côte-d’ivoire, j’ai pu constater qu’en Tunisie - ceci est actuellement une urgence - le marché est en phase de démarrage. En effet, il y a un mouvement qui est en train de se créer avec les sites de deals, les sites de covoiturage, de location de voitures touristiques. La création d’un département dédié au commerce électronique au sein du ministère du Commerce est une bonne chose, qui n’existe pas dans tous les pays. Par ailleurs, l’existence et l’activité de la SEVAD constituent un atout important pour l’autorégulation du secteur qui est une nécessité pour créer et garder la confiance. De même, la Tunisie est un pays où le niveau numérique est bon et les gens sont bien formés, ce qui est un important atout. Toutefois, il y a certains problèmes liés à la fiabilité des opérations : le mobile- paiement est beaucoup moins développé qu’en Afrique subsaharienne et d’un autre côté, les transactions par cartes restent seulement du ressort des opérateurs bancaires contrairement à l’Europe. L’e-commerce est par nature mondialisé et la convertibilité du dinar reste problématique. C’est peut-être pour ces raisons que les indicateurs, notamment de la CNUCED ne sont pas très bons. A noter que ces indicateurs qui ont le mérite d’exister sont à mon avis sommaires.

LM : Que faut-il faire pour améliorer le positionnement de la Tunisie en matière d’e-commerce ?

A. D. : L’étude d’Ipemed n’est pas terminée si bien qu’il est prématuré de répondre de façon complète et certaine. D’abord il faut instaurer une forte confiance. Et pour cela il faut absolument combattre la nonqualité. Il suffit de quelques mauvaises expériences de marchandises non délivrées à temps, ou arrivées dans un mauvais état ou posant problème au niveau du paiement, pour que ce travers s’ébruite et circule à grande vitesse dans les réseaux sociaux si bien que les gens deviennent encore plus méfiants. Les professionnels ne détenant qu’un maillon de la chaîne, ne peuvent pas tout maîtriser, il faut que les services de logistique, les services du paiement soient conscients de l’importance d’une qualité irréprochable pour l’essor de tout le secteur. Ensuite, il importe de combattre la cybercriminalité à un niveau national avec une coordination régionale. Cet enseignement figure parmi les conclusions du colloque qui vient de se dérouler à Casablanca sur les paiements électroniques. Les experts considèrent qu’on assiste à un combat perpétuel entre les cybercriminels d’une part et les acteurs de sécurité de paiement, d’autre part. La réponse ne doit plus seulement être nationale mais régionale au niveau des organisations méditerranéennes, arabes ou africaines. J’ajouterais qu’il faut se pencher sur la fiscalité, car une fiscalité lourde c’est un boulevard vers l’informel. En revanche, une fiscalité plus légère poussera les gens vers l’économie formelle à l’instar du e-commerce. Enfin, il faut veiller à respecter la culture tunisienne sans tomber dans les excès de la société de consommation occidentale.


__________________________

Paru dans Le Manager, mai 2015, n°208
Partagez cet article
Imprimer Envoyer par mail