Vers une filière euro-maghrébine des TIC?

Jeudi 18 Décembre 2014
Macarena Nuno

Nul ne doute aujourd’hui des opportunités offertes par les TIC en termes de croissance[1], de création d’emploi (140 000 emplois en Algérie), d’amélioration des conditions de vie (meilleur accès à l’éducation, à la santé, etc.), comme levier d’inclusion sociale et financière (à travers par exemple le mobile money), comme moyen de rapprocher les citoyens de leur administration, etc.


Les pays du Maghreb ont, avec des différences selon les pays, les ingrédients minimum pour pouvoir profiter de cette troisième révolution industrielle qu’est le numérique. Ils disposent tous de stratégies nationales (Maroc numeric 2013, Tunisie digitale 2018, e-Algérie) avec des objectifs identifiés et des plans d’actions. Il leur revient maintenant, au-delà des annonces, de veiller à la bonne exécution de ces stratégies afin qu’elles atteignent les résultats escomptés.


Malgré l’existence de zones technologiques équipées (cyberparc de Sidi Abdellah, technopark de Casablanca et d’El Gazala, etc.) et d’infrastructures permettant un accès à la 3G, des disparités importantes demeurent notamment entre zones rurales et zones urbaines et zones d’intérieur et zones côtières qui empêchent d’exploiter toutes les potentialités de l’Internet. Les taux de pénétration d’Internet demeurent faibles (autour de 10%[2]) et le prix pour accéder à ces technologies encore cher pour envisager un accès pour tous. Des efforts doivent être consentis par les pouvoirs publics afin de démocratiser l’accès aux nouvelles technologies de l’information.


Les trois pays du Maghreb ont des systèmes d’enseignement qui forment des ingénieurs et des techniciens avec des compétences technologiques mais en nombre insuffisant par rapport aux besoins du marché. Les filières des sciences sociales et humaines continuent d’attirer la majorité des étudiants. Par ailleurs, une politique active à l’égard des jeunes entrepreneurs est essentielle si l’on veut encourager la production de contenus au niveau local et développer les activités à haute valeur ajoutée et ainsi éviter la fuite de ces cerveaux vers l’Union européenne ou les Etats-Unis, voire encourager le retour des professionnels du secteur partis ailleurs. Dans ce cadre, une mobilité accrue entre les pays du Maghreb et entre ceux-ci et l’Union européenne est également indispensable. L’industrie du numérique est intensive en capital humain disposant de compétences très spécialisées. Une plus grande mobilité de ces compétences accroît les échanges économiques, facilite les transferts de savoir-faire, l’amélioration des compétences et booste l’innovation.


Des fonds dédiés au soutien du secteur des TIC existent (Maroc numeric funds, Faro[3], fonds Tuninvest innovations[4], etc.). Ils gagneraient à être renforcés et complétés par un fonds euromaghrébin qui accompagnerait les entreprises innovantes et les startups mettant en place des coproductions et des activités à dimension régionale. Dans ce cadre, le rôle des Business Angels gagnerait également à être reconnu et renforcé.


Enfin, il est de la compétence des Etats de veiller à favoriser un climat des affaires sain et incitatif et de mettre en place un cadre réglementaire adapté aux enjeux, en constante évolution, du numérique (protection des données personnelles, sécurisation des transactions électroniques pour faciliter le développement du e-commerce, propriété intellectuelle, etc.)


Les pays du Maghreb sont dans la course pour faire du numérique un levier de leurs économies et de leurs processus de modernisation. Les logiques mises en place restent cependant fragmentées, voire concurrentes (par exemple la Tunisie et le Maroc se positionnent tous les deux comme plateformes d’accueil des activités d’offshoring). Davantage de coopération et de complémentarité permettrait à ces pays de partager leurs expériences, de profiter des économies d’échelle et de proposer une offre cohérente et plus attractive pour leurs champions nationaux mais aussi pour les investisseurs internationaux.


En effet, des champions nationaux d’envergure, tels que ceux identifiés dans le rapport de l'IPEMEd sur la filière euromagrbéine des TIC, qui développent des contenus et des activités dans la région, voire en Afrique, sont des acteurs qui peuvent apporter leur expertise pour faire du Maghreb un hub régional du numérique, porteur de croissance et d’emploi, et pour mettre en place une filière euromaghrébine des TIC.


 


Macarena Nuño, chef de projet à IPEMED






[1] Selon les sources nationales, en 2012 la contribution des TIC dans le PIB de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie a été de 4%, 7% et 7,6% respectivement. 



[2] Selon les sources nationales



[3] Fonds d'amorçage, de réalisation et d'orientation, lancé en 2010 dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, pour contribuer au développement de l’innovation dans la région.



[4] Ce fonds du Groupe Tuninvest Finance Group a pour mission d'investir dans des entreprises tunisiennes opérant dans les secteurs technologiques et innovants et dans les secteurs traditionnels à fort potentiel de croissance.

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