Repenser la mobilité durable et l’aménagement du territoire à l’aune des transformations actuelles

Jeudi 26 Janvier 2017
Jean-Louis Guigou

Cet article reprend les éléments présentés par Jean-Louis Guigou, lors des Premières Assises de la mobilité durable (AMA) organisées au Maroc, par l’ONCF, le 3 novembre dernier.

 

1. Les facteurs de mobilité n’ont jamais été aussi forts.

 

« Toute civilisation est échange » affirme A. Malraux. Avec l’arrivée de l’économie numérique, on a longtemps cru que l’échange d’informations allait, ou pouvait, se réduire et se substituer à l’échange de biens et à la mobilité des personnes. Rien de tel ! Les raisons qui poussent à une mobilité des hommes et des biens n’ont jamais été aussi fortes, car les outils numériques facilitent l’accès à l’éducation, à la santé, aux loisirs, au sport, au travail, etc.

Voilà pourquoi devant cette « explosion » de la mobilité consécutive à la révolution digitale, les grands groupes « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) se lancent, à partir de la Silicon Valley, à la conquête d’un nouveau marché : la mobilité autonome, avec des objets autogérés.

Devant cette offensive des « GAFA », les constructeurs automobiles (Renault, Peugeot, Volvo, etc.) réagissent et se lancent dans la conception de nouveaux usages de la mobilité. Dans une interview récente accordée à La Tribune, Carlos Tavares, Président du directoire de PSA part en croisade et affirment que « les constructeurs automobiles ont accumulé des décennies d'expérience, d'erreurs commises et corrigées, ils ont accumulé un savoir considérable que les Apple et Google n'ont pas1».  

Une autre conséquence de ces besoins accrus en matière de mobilité concerne directement l’environnement. En France, par exemple, le secteur des transports a contribué en 2013 à hauteur de 27,6 % aux émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises2 ; d’où l’intérêt majeur d’étudier et de promouvoir de nouveaux modèles de mobilité durables.

 

2. « La mobilité durable » est un concept multidimensionnel que la route et le rail revendiquent.

 

Tous les experts s’accordent sur les trois dimensions ou caractéristiques de la mobilité durable :

- La dimension sociale avec une attention portée sur le confort et la sécurité des voyageurs. Ceci implique un accès plus facile à la mobilité, des moyens de transports plus fréquents, avec un faible taux d’accidents, mais également l’accès à des services (espace « zen », internet, restauration, etc) ;

- La dimension économique ;

- La dimension écologique avec la prise en compte progressive de l’empreinte environnementale des choix en matière de transports, etc.

Or, qui du rail ou de la route peut offrir les solutions les plus innovantes en matière de mobilité durable ? La révolution digitale actuelle ravive en effet la concurrence entre le rail et la route, et permet à l’automobile d’énoncer des propositions tardives.

D’une part, les « GAFA » ont lancé le concept de mobilité autonome, avec des voitures semblables à des objets circulants robotisés, téléguidés et télécommandés. L’usage va prévaloir sur la propriété, puisqu’il y aura des gestionnaires de flottes automobiles qui loueront ces « objets » à titre individuel ou collectif. Ces véhicules roulants seront bourrés de capteurs, de récepteurs GPS, de robots, etc. Ces objets circulants seront disponibles dans un futur proche, à l’horizon 2020. Ils flatteront l’autonomie, la liberté, l’individualisme, mais ils seront élitistes et comporteront des risques en matière de sécurité.

D’autre part, le rail, face à cette offensive conceptuelle, doit réagir. Or la force du secteur ferroviaire, outre la sécurité et le confort, est, sans nul doute, sa capacité à apposer des services au mouvement de mobilité. A côté d’une mobilité dite « sèche » (sans service), le rail peut offrir une mobilité associée à une « plateforme embarquée de services ». Outre la restauration, ces services pourraient comporter des salles de réunion, des salles de gymnastique, des cabines équipées pour les familles, des cours de langues, des services administratifs, etc.

En conclusion, dans cette « guerre de concepts » pour se rapprocher de l’idéal que représente la mobilité durable :

- La route propose « la mobilité autonome » qui flatte la liberté l’autonomie, l’individualisme, l’usage plutôt que la propriété ;

- Le rail doit riposter avec « la mobilité associée à une plateforme embarquée de service » qui flatte la sécurité, le collectif, la convivialité, la rencontre et l’échange.

Dans cette bataille de titans - le rail contre la route – subsistent cependant des complémentarités et des intermodalités à exploiter. La puissance publique – l’Etat et les collectivités territoriales – pourraient orienter cette concurrence frontale – rail/route – en définissant un objectif commun qui est de construire la ville durable.

 

3. « La ville durable » devrait constituer l’objectif de la « mobilité durable ».

 

A l’évidence, il ne peut pas y avoir de mobilité durable des biens et des personnes s’il n’y a pas de cadre territorial adapté. Telle est la relation entre le contenant (le cadre géographique, l’aménagement du territoire) et le contenu à savoir la population, le transport et la mobilité. Si le cadre géographique n’est pas défini à l’avance avec une planification rigoureuse (ville nouvelle) ou si le cadre géographique n’est pas sévèrement et périodiquement restructuré (Haussmann), l’accumulation et la précipitation de décisions individuelles façonnent des agglomérations anarchiques, des métropoles ingérables (Le Caire, Lagos) où la notion de mobilité durable n’a pas de sens ou est réduite à son expression minimum.

Or, en matière d’aménagement du territoire, on sait définir la ville durable par deux caractéristiques :

- « Le bassin » géographique, hydrologique, de vie ou d’emploi doit servir de base aux découpages administratifs;

- Les villes polycentriques, sous forme de « grappes », sont économiquement, écologiquement et socialement préférables aux villes mono centriques. La ville polycentrique est celle qui, schématiquement, propose une alternative à l’agglomération d’un million d’habitants et offrant la possibilité d’avoir quatre villes de 250 000 habitants séparées par la nature, la forêt, des espaces naturels, et reliées entre elles par les transports rapides collectifs, (train, tramway) ou autoroutes. Les villes allemandes en sont un bon exemple.

 A ce niveau local, décentralisé, la mobilité durable est une partie intégrante de la ville durable, et il semble que le rail et la route soient plus complémentaires que concurrents pour offrir des services de moyenne distance.

Or, de manière générale, dans tous les pays, la route l’emporte sur le rail. Dès lors, l’Etat et les collectivités locales, qui doivent défendre la mobilité durable et la ville durable, sont amenés encourager la modernisation du rail et, si nécessaire, à pénaliser la route.

 

4. Les transports collectifs et le rail sont à favoriser et à moderniser.

 

Parce que le rail a trop longtemps été protégé, il s’en est suivi des rentes de situations pour les producteurs de matériels (Alstom) et pour les opérateurs (SNCF). Ces rentes ne peuvent être maintenues car elles condamnent le secteur ferroviaire. Une double action – courageuse – reste à entreprendre :

- Moderniser le rail avec des TGV, véritables plateformes de services embarqués, avec l’amélioration du fret ferroviaire, la promotion de l’’intermodalité au niveau local. Mais surtout, il faudrait engager la transformation des statuts et des mentalités.

- Pénaliser la route pour aussi lui supprimer « ses rentes de situations » qui consistent à ne pas la taxer sur les équipements budgétisés. Pour cela, établir une écotaxe sur les transports de marchandises sur de longues distances, établir un « budget temps » de transport en voiture individuelle au niveau des entreprises et les taxer, rétablir la vignette automobile à des fins écologiques, et réfléchir à des mécanismes de financement innovants, sont autant de pistes à privilégier.

 

Conclusion

 

Faire en sorte que la mobilité soit durable est un objectif avec une dimension locale, nationale mais aussi internationale.

Au niveau international, la mobilité durable s’appréhende de plus en plus au niveau des régions, comme l’Union Européenne, l’Alena, (USA, Canada, Mexique) ou l’Asean +6 (Japon, Chine, Dragon et Tigre).

Pour l’Europe, qui a achevé son développement à l’Est avec le PECO, l’avenir se joue au Sud en Méditerranée et en Afrique. C’est l’interconnexion ou l’arrimage de l’Europe et de l’Afrique qui s’esquisse à bas bruit avec la mobilité accrue des hommes, des biens et des informations. C’est dans ce nouvel espace pertinent en gestation, « Afrique-Méditerrané-Europe », qu’il faudra concevoir les mobilités durables internationales de demain.

 

(1) « "Les besoins de mobilité n'ont jamais été aussi forts" Carlos Tavares (PSA) », Nabil Bourassi, La Tribune, 29/09/2016

(2) www.developpement-durable.gouv.fr/Transports,34304.html

 

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