La Chine et nous

Commentaire de Jean-Louis Guigou de l’ouvrage de Fathallah Oualalou⁽¹⁾

 

Les Africains, les Arabes, les Méditerranéens, et les Maghrébins vont-ils subir un deuxième dépassement par la Chine, sachant qu’ils ont déjà subi à leurs dépens un premier dépassement par les européens pendant au moins deux siècles ? « Aujourd’hui nous vivons un autre dépassement, celui de la Chine. Ce dépassement nous interpelle car il pourrait se réaliser à notre détriment » p.14

La question est pertinente : Comment la Chine a-t-elle pu, en trente ans, passer du statut de pays en développement, à pays émergent, pour finir la plus grande puissance économique du monde ? Sa trajectoire, si rapide, est-elle vraiment solide ? Comment coopérer avec la Chine sans pour autant se laisser, à nouveau, dominer ?

L’essentiel du remarquable ouvrage de Fathallah Oualalou – parce que clair, chiffré, argumenté avec son point de vue affirmé de Maghrébin – porte sur la puissance et la vision à long terme de la Chine qui fait de la Nouvelle Route de la Soie (NRS) son programme de stratégie internationale sur trente ans. Face à cette domination potentielle, Fathallah Oulalou propose une riposte à travers la régionalisation que constitue Verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME).

Le programme de la Nouvelle Route de la Soie (NRS) a été présente par Xi Jinping en 2014 lors du 25^ème anniversaire de l’APEC, en présence d’Obama et de Poutine. Ce programme prolonge la politique d’ouverture des années 1980 (Deng Xiao Ping) et concrétise le vieux « Rêve chinois » vieux de l’antiquité, consistant à relier la Chine, bien implantée dans la région asiatique, au monde romain, puis européen, par la plus importante route commerciale au monde.

« La Chine accorde aussi la priorité à l’espace asiatique, berceau de sa culture profonde, cadre de son sentier de développement économique et point de départ de la Nouvelle Route de la Soie qui doit la rattacher à l’Afrique, à la Méditerranée et à l’Europe » page 20

Quatre axes organisent la Nouvelle Route de la Soie :

• Un axe ferroviaire, (11 000 km) de transport reliant Shangaï au port allemands Duisbourg et Lyon, via Moscou.
• Un axe routier, sous forme d’autoroute (8 445km) assurant la liaison de Xi’an au cœur de la Chine au Kazakhstan, Téhéran, Istanbul, Moscou, Rotterdam.
• Un axe maritime, via Colombo, Jakarta, Calcutta, les pays du golfe, le canal de suez, Venise et Rotterdam.
• L’axe de la route de l’énergie, avec le gazoduc Chine-Russie.

A ces quatre axes principaux, qui ont pour cible l’Europe, il faut rajouter la Dorsale Transsaharienne Alger (Algérie), Lagos (Nigeria) longue de 6 000km.

Ce projet pharaonique (NRS) a trois objectifs : Sur le plan interne la NRS vise à donner un nouveau souffle à l’aménagement du territoire en intégrant les régions aux confins de l’Ouest ; Puis accélérer l’intégration des pays du Sud-est asiatique qui constituent le socle de la puissance de la Chine ;

Enfin, il s’agit assurer (par l’économie) le rapprochement de l’Afrique et de l’Europe. Ce projet doit être achevé en 2049, pour la centenaire de la Révolution Chinoise.

Des lors, pour ne pas voir les pays africains et méditerranéens être une nouvelle fois dépassés par la Chine – après avoir été trop longtemps dépassés par l’Europe – Fathallah Oulalou propose une solution : créer la grande région Verticale Afrique-Méditerranée-Europe (AME).

C’est là en effet une piste intéressante car la globalisation puis crise de la mondialisation en 2008, ont accéléré les accords régionaux de coopération qui sont passés de … en 2000 à … en 2015, renforçant ainsi l’intégration régionale. Cette idée de régionalisation de la globalisation est reprise dans le rapport de la CIA sur l’état du monde en 2035 : « L’affirmation croissante de la Chine et de la Russie aboutit à la remise en question de la domination américaine et force Washington à accepter l’idée des sphères régionales d’influence exclusive. Le système international pourrait se fragmenter en plusieurs sphères régionales d’influence que les grandes puissances se disputeront »

Ainsi se constituent trois grandes régions et quatre si l’on compte la Russie – Des intégrations régionales fondées sur le libre-échange (ALENA), sur des politiques communes (Union Européenne) ou encore les réseaux industriels (espace asiatique). Face aux deux grands pôles que sont l’Asie-Pacifique et l’Amérique -Atlantique qu’IPEMED appelle des Quartiers d’Orange Nord-Sud «  Il est opportun de promouvoir le grand projet de la Verticale (Afrique-Méditerranée- Europe) parce qu’il accorde une place centrale à la Méditerranée, ce qui permettra à cet ensemble dans sa globalité d’entrer dans les rapports équilibrés avec l’espace Asie-Pacifique et l’espace Amérique-Atlantique (le concept de la Verticale a été mis en évidence par du monde méditerranéen (IPEMED). » page 303

Cet ouvrage – La Chine et nous, de Fathallah Oualalou – est un ouvrage de prospective économique et de géopolitique. Il propose étayé sur des tendances lourdes dont notamment la Nouvelle Route de la Soie, une vision du monde crédible qui rapproche l’Europe, l’Afrique, et la Méditerranée comme pivot.

 

 

_{[1] Fathallah Oualalou – La Chine et nous – Répondre au second dépassement – 312 pages – Edition la croisée des chemins – Casablanca – fin 2016.}