Plaidoyer pour l’intégration économique Verticale Nord-Sud

Humeur n°177 -
Lundi 04 Janvier 2016 - Jean-Louis Guigou

Repenser l’aide au développement en fonction de l’évolution des relations internationales

 

L’objet de cette note est de présenter quelques tendances lourdes, à long terme, qui pourraient conditionner l’aide au développement.


Un constat : La rapide et profonde transformation des relations internationales

Ce sont les relations commerciales Sud-Sud qui vont fortement progresser alors que les relations Nord-Sud stagnent et que les relations Nord-Nord régressent. Une étude de d’Euler Hermes est explicite à ce sujet. Dès lors, la France et l’Europe ont intérêt à promouvoir le développement de « leur Sud » et ainsi bénéficier d’un important levier de croissance externe.

La crise des migrants et des réfugiés en Méditerranée a fait prendre conscience aux grandes chancelleries européennes – Berlin, Londres, Paris, Rome – de l’importance de leur Sud et de la nécessité, pour ne plus être otages du court terme, de proposer des solutions à moyen et long terme de co-développement (cf. Sommet UE-UA à Malte les 10 et 11 novembre 2015).

A terme, si rien d’ambitieux n’est proposé, le changement climatique qui sera cruel et brutal en Méditerranée, Moyen-Orient et Afrique risque de voir des centaines de millions de migrants climatiques et alimentaires (cf. Timothy Snyder, « Le prochain génocide sera écologique », Le Monde 06/10/2015).

Le réveil économique de l’Afrique, porté par la 3ème Révolution industrielle (TIC – ENR – circuits courts – économie coopérative) constitue une opportunité pour la France (500 millions de francophones en 2050) et pour les Européens qui ont tous une longue histoire en Afrique.

Le changement du modèle de croissance de la Chine – passant d’une croissance tirée par les exportations bénéficiant à une petite classe de milliardaires, à une croissance tirée par la consommation interne au profit des classes moyennes – conduit à une rapide augmentation des revenus et des salaires (+10%/an). Par voie de conséquence, des experts de la Banque mondiale considèrent que 85 millions d’emplois dans les entreprises manufacturières vont se délocaliser, en partie en Afrique. Le Nord de l’Afrique – de l’Egypte au Maroc – pourrait devenir « la Ruhr» industrielle de l’Europe avec une main d’œuvre qualifiée, des espaces en abondance et une énergie bon marché.

Les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) sont rentrés en « mouvement ». Les transitions économiques et politiques seront longues et hésitantes. Cependant, face à ces bouleversements, tous les experts recommandent de mettre l’accent sur la coopération économique : privilégier l’économie, la coproduction, la formation professionnelle, les filières, l’exportation de nos savoir-faire davantage que l’exportation de biens.

 

Diagnostic : Dans ce contexte totalement nouveau, il faudrait repenser l’aide au développement

Passer de la mondialisation, tous azimuts, à la régionalisation. Passer de l’échange de biens à la valorisation de la proximité géographique, de la complémentarité et de la solidarité, comme l’ont fait les Américains vis-à-vis de leur Sud (Mexique) et les Chinois vis-à-vis du leur (Tigres et Dragons).

Passer de l’échange commercial (part de marché, court terme) à l’intégration par la production (coproduction, filières, transfert de technologie) L’ancien client doit devenir partenaire.

Passer de l’aide au développement à des stratégies d’investissement et de codéveloppement en multipliant les services domestiques et les remises des migrants. Il faut abandonner, progressivement, l’esprit de l’aide, de charité, de don et indirectement de suprématie.

Passer de la politique « top down » à la politique « bottom up ». Prendre en considération, et en priorité, les besoins des populations et participer à la mise en place des politiques publiques.

Passer d’une attitude neutre de bailleur de fonds à une attitude pro-active en s’impliquant dans la qualité de la gestion (entreprise, accompagnement, évaluation…).

Passer de l’aide strictement publique à la mobilisation de nouveaux acteurs (entreprises, ONG, collectivités locales).

Passer d’une intervention isolée à des stratégies plus collaboratrices dotées d’outils adéquats. Dans les deux autres « quartiers d’Orange » - Amérique du Nord + Amérique du Sud d’une part, Japon + Chine + Dragons + Tigres du Sud, d’autre part - trois outils sont privilégiés pour accélérer et densifier la régionalisation Nord-Sud :

  • Une Banque Nord-Sud pour assurer la mobilité des capitaux et la sécurité des investissments;
  • Une Fondation Nord-Sud pour être « le fer de lance » de l’intégration régionale;
  • La coproduction et la mobilisation des entreprises pour favoriser une régionalisation Nord-Sud.

 

Proposition de coopération Nord-Sud

Il s’ensuit de ces constats et diagnostics que « chacun doit gérer son Sud ». La Chine excelle à gérer l’intégration ASEAN + 6 qui englobe tous les pays du Sud-Est asiatique. L’Amérique du Nord a accéléré l’intégration de son Sud jusqu’en 2015. Elle continue à maintenir un contrôle étroit de l’économie industrielle du Mexique. L’Europe doit saisir sa chance en Méditerranée et en Afrique où elle est tant attendue à une condition selon le PDG d’Africa 24, Constant Nemalé, « de passer d’un esprit de conquête à un esprit de partage ».

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