Enjeux et perspectives stratégiques de la filière blé dur en Méditerranée par Jean-Louis Rastoin

Humeur n° -
Jeudi 27 Octobre 2016 - Jean-Louis Rastoin

Chaire UNESCO en Alimentations du monde, Montpellier SupAgro et IPEMED

Contribution de Jean-Louis Rastoin lors du séminaire organisé à l’initiative du Syndicat des Agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI), du Pôle de Compétitivité de Bizerte et de la Plateforme Blé Dur en France, autour de la nécessité de « Mobiliser les savoirs pour un développement durable des filières blé dur en Méditerranée ».

La filière blé dur en Méditerranée est confrontée à plusieurs défis de grande ampleur. Tout d’abord la dynamique de la consommation — du fait de la convergence des modes de vie vers un modèle urbain et industriel — tend à s’orienter vers les produits dérivés du blé tendre plutôt que du blé dur. En second lieu, on note une forte irrégularité des productions liée à la pluviométrie, tandis que le réchauffement de la planète induit un plafonnement des rendements. En troisième lieu, tous les pays méditerranéens sont importateurs nets de blé dur, à l’exception de la France de l’Espagne et de la Grèce et l’on observe un effritement des positions commerciales des exportateurs européens dans la zone au profit de pays tiers, notamment le Canada. Enfin, la filière méditerranéenne présente des faiblesses structurelles dans l’amont agricole et la première transformation, la qualité des produits et la logistique. Dans la deuxième transformation, la tendance à la concentration oligopolistique menace le tissu des PME.

Cependant, la filière « BDM » (Blé Dur Méditerranée » possède des atouts. Le premier est probablement nutritionnel, avec un engouement des consommateurs du monde entier pour la diète alimentaire méditerranéenne (reconnu par un label de l’UNESCO) et donc les produits qui le compose, avec notamment la semoule de blé dur et les pâtes. Le second est biologique, avec une meilleure adaptation du blé dur — par rapport au blé tendre — aux contraintes agroclimatiques locales et un réservoir de biodiversité formé par les variétés natives de la région. Le troisième est social et technique, avec un savoir-faire ancestral, tant au niveau de la production [adaptation à l’écosphère] que des produits [patrimoine culinaire d’une grande richesse].

Le cadre stratégique de la filière doit être envisagé sur le long terme, et non en fonction d’une conjoncture fluctuante au gré de la volatilité des marchés et du court-termisme des décideurs politiques et financiers. La stratégie des filières et des systèmes agroalimentaires doit prendre en compte la transition ou la rupture que nous vivons entre un modèle hérité de la société du carbone fossile et de l’industrie de masse concentrée et celui à venir, fondé sur la bioéconomie circulaire organisée en réseaux décentralisés.

En conséquence, pour les pays méditerranéens, il apparaît opportun d’opter pour une stratégie de différenciation de la filière blé dur par la qualité, dès lors que ses concurrents du Nouveau Monde sont enfermés dans une stratégie de domination par les coûts, c’est-à-dire d’économies d’échelle par les volumes qu’il serait vain de vouloir concurrencer frontalement. La différenciation qualitative BDM doit se fonder, dans chacun des pays méditerranéens, sur des produits valorisés par les attributs organoleptiques et culturels, des itinéraires techniques reposant sur l’agroécologie, un ancrage territorial des filières garantissant l’origine des matières premières et les lieux de fabrication des produits, un partage équitable de la valeur ajoutée entre acteurs par une bonne gouvernance de la filière, un impact sur le développement local en termes d’emploi et de cadre de vie. Dans cette perspective, face aux enjeux identifiés, un partenariat renforcé entre pays riverains de la Méditerranée à travers un schéma de co-production constituera un indéniable facteur-clé de succès.

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