La Tunisie face à ses défis énergétiques

Humeur n° -
Mardi 25 Juillet 2017 - Mariem BRAHIM, Nidhal OUERFELLI, Kelly ROBIN
Centrale éolienne de Sidi Daoud - Tunisie

Cette analyse est signée par Mariem BRAHIM, Economiste au sein de l’IPEMED, Nidhal OUERFELLI, Ancien Ministre en charge des affaires économiques et ancien Secrétaire d’Etat en charge de l’Energie et des Mines en Tunisie et Kelly ROBIN, Responsable des projets de l’IPEMED. Elle a été publiée sous forme d’article (voir pièce-jointe) dans l’Economiste Maghrébin en juillet 2017.

Début 2017, la Tunisie a franchi une nouvelle étape dans la déclinaison de son programme national 2016-2020 pour la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables avec le lancement d’un appel d’offres pour la construction de plusieurs centrales éoliennes et photovoltaïques d’une capacité globale de 210 MW. L’accélération de la diversification de son mix énergétique vise à résorber le déficit énergétique national, dans un pays où les potentiels sont considérables.

Depuis 2000, la Tunisie est strictement déficitaire en énergie en raison d’une augmentation de la demande en énergie plus importante que celle de la production nationale. D’après le ministère de l’Energie, des Mines et des Energies Renouvelables, le pays a connu, ces dernières années, un déclin de ses ressources d’énergie primaire d’environ 6% par an (de 7,8 Mtep en 2010 à  5,4 Mtep en 2016), consécutif, notamment, au déclin naturel des réserves, au ralentissement des activités de prospection et de recherche (arrêt des activités des compagnies de prospection et d’exploitation pétrolière dans le sud tunisien et sur l’ile de Kerkennah) et la baisse de la redevance algérienne du gaz naturel. Par ailleurs, ses besoins en énergie primaire ont cru de plus de 2% par an (8,3 Mtep en 2010 à 9,2 Mtep en 2015). Dès lors, la Tunisie doit faire face à une croissance continue de ses importations en énergie sur la période 2000 – 2015, drainées principalement par les importations de produits raffinés du pétrole et de gaz naturel. A titre d’illustration, le déficit énergétique a été multiplié par 6 entre 2010 et 2015.

Si on assiste, pourtant, à une baisse de la dépendance énergétique passant de 93% en 2010 à 59% en 2016, la dépendance énergétique de la Tunisie s’appréhende aussi à un autre niveau. En effet, car son approvisionnement extérieur est constitué de gaz naturel acheminé d’Algérie par gazoduc, importé ou prélevé à titre de redevance sur le gaz destiné à l’Italie. En 2015, tous produits confondus, l’Algérie est par ailleurs le 1er fournisseur de la Tunisie devant l’Italie, la Russie, l’Azerbaïdjan et la France.

Cette situation démontre ainsi que le système énergétique actuel du pays se trouve au cœur des problèmes globaux, et son évolution va de pair avec des défis difficilement surmontables : stratégique, lié à la nécessaire sécurisation et diversification de ses approvisionnements ; économique, compte-tenu du poids des subventions énergétiques dans la facture globale et de la dépendance croissante du secteur industriel tunisien au gaz naturel importé, et enfin, social et environnemental.

La transition énergétique : une opportunité pour l’économie tunisienne

L’engagement de la Tunisie dans la transition énergétique pourrait donc avoir un effet positif sur l’économie du pays. Dans sa Contribution Prévue Déterminée au niveau National (CPDN) remise à la COP21, le pays a en effet annoncé « l’intensification de la promotion de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs consommateurs et pour tous les usages énergétiques [devant] permettre une baisse de la demande d’énergie primaire en 2030 de l’ordre 30% par rapport à la ligne de base » ainsi qu’une augmentation de la « part des énergies renouvelables dans la production d’électricité à 14% en 2020 et à 30% en 2030, alors qu’elle n’était que de 4% en 2015 ». Mais l’originalité de la Tunisie, en comparaison avec d’autres pays de la région méditerranéenne, est d’avoir anticipé le lien entre transition énergétique, transition numérique et création d’emplois, prévoyant, dans sa CPDN, la création « d’environ 58 000 équivalent emplois sur la période 2015 – 2030, dont 75% proviendront des mesures d’efficacité énergétique dans le bâtiment ». Or, si un rapport récent de la BAD relève également les opportunités en matière de création de filières à haute valeur ajoutée et d’emplois nouveaux, elle conditionne la réussite de cette transition écologique dans les pays du Maghreb à l’anticipation des besoins en compétences par secteur, et appelle notamment à investir dans des formations « ciblant les jeunes entrepreneurs en ER et les organisations du secteur des ER » et à promouvoir des « projets de professionnalisation de jeunes entreprises d’ER en phase de démarrage et d’organisations de la société civile s’intéressant aux ER dans les domaines de l’énergie, de l’environnement et de la création d’emplois ».

L’enjeu des réformes

 Pour exploiter l’ensemble de ses potentiels, la Tunisie compte donc agir aussi bien sur l’offre (amélioration des infrastructures de transport, de distribution, de raffinage et de stockage des produits pétroliers, relance de la production nationale de gaz, relance des activités de prospection, développement des interconnections, investissements massifs dans le solaire et l’éolien pour répondre aux besoins du marché local, etc.), que sur la demande (mise en œuvre de sa stratégie nationale de maîtrise de l’énergie à l’horizon 2030, etc.).  

Or, l’atteinte de ses objectifs ne pourra également se faire sans la prise en compte de problématiques transversales, portant sur la redéfinition du rôle de l’Etat, l’amélioration de la gouvernance énergétique et du cadre règlementaire (notamment pour faciliter le raccordement au réseau de la STEG), la simplification de la fiscalité et des procédures administratives, l’amélioration de la formation initiale et professionnelle, etc. ; réformes nécessaires pour attirer les investisseurs étrangers selon une logique de « coproduction ».

Un autre levier devrait être encouragé : l’ancrage territorial des politiques énergétiques et le rôle des acteurs non étatiques. Déjà en 2012, l’ANME l’avait bien anticipé en mettant au cœur du Plan Solaire Tunisien le développement des territoires, notamment des plus défavorisés, et l’implication des collectivités locales et des citoyens. La coopération décentralisée entre acteurs du Nord et du Sud de la Méditerranée peut venir en appui à cette dynamique, comme l’atteste la signature récente d’un accord de partenariat entre deux PME, normande et tunisienne, pour le développement de l’économie verte en Tunisie.

Ainsi, l’engagement de la Tunisie dans une transition énergétique apparaît donc comme une réelle opportunité économique et une stratégie sans regret. Cependant, l’intrication de l’usage et de la disponibilité des énergies fossiles avec l’activité économique en fait un véritable défi, non seulement pour les sociétés, mais également pour les individus ainsi que les acteurs économiques : la « transition énergétique » est alors et avant tout, pour la Tunisie, une transition industrielle et sociale s’accompagnant d’une « transition du paradigme ». La transition énergétique représente alors un immense défi tant politique que socio-économique, qui suppose de questionner en profondeur les options que nous faisons aujourd’hui pour les territoires et les sociétés de demain.

 

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