La Méditerranée et l’Afrique, la France, l’Europe et le monde : extraits choisis du discours habité d’Emmanuel Macron devant les Ambassadeurs

Humeur n°224 -
Vendredi 27 Septembre 2019 - Jean-Louis GUIGOU

Chaque année, tous les Ambassadeurs et Ambassadeurs de France se réunissent à Paris pour une semaine de débat. Ils y sont informés des grandes évolutions (cyber sécurité, intelligence artificielle…) et y reçoivent des instructions.

C’est toujours le Président de la République qui débute cette conférence et le Ministre des Affaires étrangères et européennes qui la conclut.

Au lendemain du G7 de Bayonne, le Président a fait un discours de deux heures sans lire ses notes : un discours longuement réfléchi, d’un Président habité face à un auditoire sous le charme et stupéfait par la prouesse. La Méditerranée et l’Afrique notamment ont été à l’honneur.

 

Voici quelques extraits choisis du discours présidentiel du 27 août 2019, au Palais de lÉlysée.

1 - SUR LE GRAND BASCULEMENT

- « Les deux qui ont aujourd'hui des vraies cartes en main dans cette affaire, ce sont les États-Unis d'Amérique et les Chinois. Et ensuite, nous avons un choix par rapport à ce grand changement, ce grand basculement : décider d'être des alliés minoritaires de l'un ou l'autre ou un peu de l'un et un peu de l'autre, ou décider d'avoir notre part du jeu et de peser. » (…)

L'économie de marché a replongé et conduit à des inégalités qui ne sont plus supportablesQuand les classes moyennes qui sont le socle de nos démocraties n'y ont plus leur part, elles doutent et elles sont légitimement tentées ou par des régimes autoritaires. (…)

Nous savons que les civilisations disparaissent, les pays aussi. L'Europe disparaîtra. L'Europe disparaîtra avec l'effacement de ce moment occidental et le monde sera structuré autour de deux grands pôles : les Etats-Unis d'Amérique et la Chine. Et nous aurons le choix entre des dominations. (…)

La vocation de la France, c'est d'essayer de peser sur cet ordre du monde avec les cartes qui sont les nôtres pour ne pas céder à quelque fatalité que ce soit. Et donc, je ne crois qu'à une chose : c'est la stratégie de l'audace, de la prise de risque. L'esprit français c'est un esprit de résistance et une vocation à l'universel. Ce qui a toujours caractérisé l'Europe, ce qui est le fil rouge de notre vocation, c'est un véritable humanisme. (…)

Les Etats-Unis d'Amérique sont dans le camp occidental, mais ils ne portent pas le même humanisme. Leur sensibilité aux questions climatiques, à l'égalité, aux équilibres sociaux qui sont les nôtres n'existe pas de la même manière. (…)

Et la civilisation chinoise n'a pas non plus les mêmes préférences collectives, pour parler pudiquement, ni les mêmes valeurs. Nous sommes le seul espace géographique qui a mis l'homme avec un grand H au cœur de son projet à la Renaissance, au moment des Lumières et à chaque fois que nous avons eu à nous réinventer. Le projet de civilisation européenne ne peut pas être porté ni pas par la Hongrie catholique, ni par la Russie orthodoxe. (…)

2 - SUR LA FRANCE 

La première chose, c'est que pour parvenir à cet objectif dans ce désordre, je crois que ce que nous devons faire très profondément, c'est jouer notre rôle, au fond, de puissance d'équilibre. Puissance d'équilibre, c'est d'acter que nous sommes une grande puissance économique, industrielle même si nous avons perdu, nous devons être une puissance d'équilibre, cela veut dire que nous devons en quelque sorte avoir la liberté de jeu, la mobilité, la souplesse.

Ce rôle de puissance d'équilibre, c'est celui que nous devons jouer dans les grandes crises et les situations de conflit, [comme] l'Iran. (…)

Nous sommes en Europe, et la Russie aussi. Repenser notre lien avec la Russie très profondément, très profondément. (…)

Il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, il faut donc avoir ce dialogue avec la Russie. 

Si nous voulons être respectés de la Chine, il faut d'abord avoir une approche européenne. (…)

3 - SUR L’EUROPE

 

La deuxième priorité c'est de travailler à la construction d'une souveraineté européenne. Nous avons très longtemps commis l'erreur de laisser le mot de souveraineté aux nationalistes. Celui qui est souverain, c'est le peuple.

Cette souveraineté européenne doit passer par un agenda ambitieux qui est au cœur d'ailleurs, de ce que la Présidente de la Commission européenne a repris de notre projet dans son discours devant le Parlement européen. D'abord, sur le sujet de la défense. La souveraineté, c'est celle aussi que nous devons repenser à nos frontières. Un dialogue structuré entre les pays européens et les pays de la rive sud de la Méditerranée. (…)

L'Europe a été formidable pour penser une stratégie concurrentielle, nous n'avons plus pensé notre stratégie industrielle. Il est indispensable de retrouver cette souveraineté.

C’est aussi une souveraineté numérique qu’il nous faut bâtir. C’est aussi une souveraineté culturelle qui est indispensable pour mener le projet que. Il faut aussi réinvestir le dialogue bilatéral. Il est complémentaire du dialogue communautaire. (…)

 

4 - SUR L’AFRIQUE


Troisième priorité sur laquelle je voulais revenir avec vous, c'est de construire un partenariat renouvelé avec la Méditerranée et l'Afrique. C'est au fond notre politique de voisinage stratégique ce partenariat. Il est indispensable là aussi de la poursuivre, de la relancer.

Nous avons en effet avec la rive sud et la Méditerranée des liens historiques, civilisationnels, culturels, très profonds. Et l'Europe ne peut pas réussir et la France au premier chef, si nous ne repensons pas et revisitons pas ces liens. La France a une part africaine en elle parce que des combattants de ce continent ont sauvé notre pays et notre liberté. Il nous faut pouvoir réinvestir ce lien là aussi de manière nouvelle, équilibrée. Sans les oripeaux ni du colonialisme ni de l’anticolonialisme.

C’est pourquoi j’avais souhaité à Tunis annoncer ce sommet des deux rives et donc un dialogue entre les sociétés civiles, universitaires, académiques, entrepreneuriales, et bien sûr les gouvernements, pour essayer que les choses recirculent à la fois entre nos deux rives. (…)

J’ai été frappé à Marseille en juin dernier de voir la vitalité de ce dialogue quand certains de ces pays avaient joué le jeu. Poursuivre ce que j'ai pu appeler cette conversion du regard réciproque. Mais l'Afrique est notre indispensable allié pour que l'Europe continue de jouer tout son rôle dans les affaires du monde. (…)

D'abord en aidant l'Afrique dans ses projets régionaux et d'intégration en cours. C'est pourquoi nous accompagnons la CEDEAO dans sa marche vers une monnaie unique, parce qu'il y avait jusque-là de notre côté des blocages, de leur côté des tensions.

Nous soutenons le projet de l'Union africaine d'aller vers une zone de libre-échange à l'échelle continentale. 

Mais je pense que plus largement, ce que nous voulons c'est ne plus avoir une relation avec l'Afrique qui repose sur un sentiment ou parfois des réalités d'asymétrie. (…)

Ce que j'appelle cette conversion du regard, c'est-à-dire que nous-mêmes nous devons agir et travailler différemment avec les Africains pour eux-mêmes, penser leur action avec eux et considérer que les actions les plus en pointe sont à faire avec les africains en Afrique.

L'innovation sera le thème majeur du sommet Afrique-France que nous accueillerons à Bordeaux en 2020. Ne tombons pas dans le piège qui consisterait à faire de l'Afrique un théâtre d'influence. Je crois très profondément que notre stratégie ne doit pas être une stratégie de part de marché et d'influence, d'hégémonie prédatrice.(…)

 

4 – SUR LES BIENS COMMUNS

 

C'est d'ancrer par les résultats une diplomatie des biens communs, et au fond d'essayer, dans le cadre multilatéral, d'apporter notre part de réponse aux déséquilibres du monde et aux inégalités que j'évoquais tout à l'heure.

Le premier d'entre eux évidemment, c'est le climat et la biodiversité.

Enfin la dernière priorité sur laquelle je voulais vous parler elle est au fond de méthode. Si nous voulons réussir à véritablement nous penser comme puissance d'équilibre, rebâtir la souveraineté européenne, réussir à avoir des résultats sur cette diplomatie de biens communs et renouveler ce partenariat avec l'Afrique et la Méditerranée je crois qu'il nous faut aussi poursuivre le renouvellement profond de nos méthodes. C'est l'audace. Et nous sommes les seuls pour lesquels l'immobilisme est mortel. Je pense qu'il est indispensable de renouveler et d'intensifier les liens avec la société civile dans tous les interstices de chacun des pays. »

 

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