La réindustrialisation de la France ? Oui, mais sur des espaces pertinents

Humeur n°243 -
Mardi 01 Août 2023 - Jean-Louis GUIGOU, Fondateur de l'IPEMED

La réindustrialisation de la France ?

Oui, mais sur des espaces pertinents

 

Par Jean-Louis GUIGOU,

Fondateur de l'IPEMED

 

Après une période marquée par une désindustrialisation sévère, en partie due à des délocalisations d’activité dans des pays à faible coût de main d’œuvre, l’espoir d’une réindustrialisation, au sortir d’une crise sanitaire qui a révélé la vulnérabilité de notre économie, resurgit. Si des signes d’inversion de tendance apparaissent, on doit s’interroger sur les conditions de leur pérennisation. Que nous indique le passé ? quelles perspectives nouvelles entrevoit-on ? 

 

La désindustrialisation et les délocalisations

ont fait d’importants dégâts

 

De 1970 à 2020, le poids de l’industrie manufacturière en France dans le PIB national est passé de 25% à 12 % alors qu’en Allemagne, il se situe toujours à 20%. Le commerce extérieur est devenu déficitaire de 100 milliards par an en moyenne. Sous l’effet de cette désindustrialisation, le chômage et les inégalités se sont accrus, affectant les classes moyennes, tout particulièrement dans les bassins d’emploi de tradition industrielle. Les disparités sociales et géographiques se sont aggravées. Elles se traduisent aujourd’hui par une montée de revendications (cf. Gilets jaunes) et l’ obédience croissante des partis politiques nationalistes.

Les causes de ce déclin de l’industrie sont certes multiples. Mais notre conviction est qu’elle est corrélée à l’excessive centralisation de nos élites dans nos institutions (administrations, grands corps de l’Etat, média…) qui en renforçant la puissance d’un Etat central l’a éloigné des classes laborieuses et des territoires, aggravant le sentiment de suprématie de la technostructure en même temps que le sentiment de solitude en « province ».

Si une prise de conscience existe aujourd’hui à tous les niveaux, peut-on envisager une réindustrialisation qui s’appuierait à la fois sur le réveil des énergies créatives soutenues par une solidarité locale, et sur un rapatriement d’activités qui avaient été délocalisées dans un étranger lointain réputé pour ses bas coûts ?

Notre réponse est claire ; oui, la réindustrialisation jumelée avec des relocalisations est souhaitable en termes d’autonomie, de souveraineté, de commerce extérieur, d’emploi, et de renforcement des classes moyennes. Mais des conditions en limite la portée.

 

La réindustrialisation de la France

est possible, mais à trois conditions  

La première condition consiste à écarter tous les marchands d’illusion, tous les souverainistes de droite ou de gauche. A l’évidence, parce que nous manquons d’énergie (cf. la crise actuelle), parce que nous n’avons pas suffisamment de matières premières parce que la population européenne vieillit, il est illusoire et trompeur de prêcher l’autonomie et l’indépendance industrielle. 

La deuxième condition est de corriger les nombreux dysfonctionnements qui brident l’esprit d’entreprise : adopter des simplifications administratives ou réglementaires dans le foncier, l’immobilier, désempiler les contraintes, faciliter l’accès aux financements. Le livre de Nicolas Dufourcq est de ce point de vue très riche en propositions. Il faut cesser d’en parler mais le faire. Cela passera par une prise de conscience des élites. 

Une troisième condition consiste à intervenir aux niveaux d’ « espaces pertinents », ceux qui vont permettre aux entreprises de trouver les ressources optimales pour contribuer efficacement à l’effort de réindustrialisation. 

 

D’un point de vue géographique et industriel,

deux types d’espaces pertinents sont à privilégier

Au niveau national, c’est le bassin d’emploi (ou la microrégion). 

C’est le bon espace pour l’organisation d’écosystèmes productifs (systèmes productifs territoriaux, districts à l’italienne, clusters ou pôles de compétitivité.) ; celui dans lequel les entreprises (PME, grands groupes, sous-traitants) tissent des liens entre elles ainsi qu’avec des organismes de recherche, de formation ou de conseil. Dans un maximum de ces bassins et pour chacun d’eux, il faudrait identifier les ressources spécifiques à exploiter, la main d’œuvre qualifiée à valoriser, l’organisation à privilégier, les échanges interprofessionnels à promouvoir entre l’université, la recherche, les entreprises, l’administrations et les élus. C’est passer, selon Pierre Veltz, «  de la géographie des coûts à la géographie des organisations. Les facteurs de production ne sont plus donnés, ils sont de plus en plus produits ». 

 

De nombreux bassins d’emploi sont déjà pourvus de ces organisations productives ou se trouvent dans l’aire d’influence de l’une d’elles (voir par exemple le cas de l’aérospatial à Toulouse.). Il en faudrait dans chaque bassin.

Dans ces clusters, ce sont le plus souvent des entreprises existantes qui saisissent et développent de nouvelles opportunités de marché. Un cluster dynamique est innovant. Il rend les entrepreneurs plus compétitifs et permet de briser leur solitude.

Le lieu, c’est le lien. Cet environnement entrepreneurial a plus de valeur pour eux que l’idée d’aller produire dans des pays à bas coûts. Xavier Roy, directeur général de l’association Franceclusters, ne cache pas son optimisme. La crise économique, sanitaire, environnementale et énergétique a renforcé, dit-il, la dynamique et l’organisation locale entre entreprises ainsi que leur capacité d’innovation. Les bassins organisés en écosystèmes et clusters ne se contentent pas de résister. Ils progressent en termes de créations d’emploi, de valeur ajoutée, de compétitivité, d’exportation et d’internationalisation des chaines de valeur. 

Mais développer notre industrie à grande échelle suppose de disposer d’énergie et de matières premières. On peut y parvenir en impulsant une politique de réindustrialisation qui dépasse les frontières pour chercher les complémentarités en ressources nécessaires. Envisager une politique volontariste au niveau européen est nécessaire mais pas suffisant. Il manque à l’Europe l’énergie, grand nombre de matières premières et bien d’autres facteurs comme la jeunesse, l’espace…

 

Voilà pourquoi, au niveau international, il convient d’amplifier le mouvement de régionalisation qui se structure à partir des chaînes de production et donner toute sa valeur à la proximité géographique, linguistique et administrative.

 

Au niveau mondial, notre espace pertinent est la grande région verticale Afrique – Méditerranée – Europe

 Le CEPII a montré, que dans la durée, de 1966-2016, « l’effet frontière qui mesure ce qu’il en coûte d’exporter sa production plutôt que de la vendre sur le marché intérieur diminue considérablement, passant de l’indice 265 à 175 ». Tandis que « l’effet distance qui mesure de combien le commerce se réduit lorsqu’un pays échange avec un partenaire plus éloigné qu’un autre » ne cesse de croitre. 

En un mot, c’est au moment où l’on peut économiquement produire partout, chaque pays essayant d’attirer à bon compte des investissements directs étrangers (IDE) en baissant les droits de douane, les charges fiscales et les réglementations (sanitaires, du travail, etc.) que les échanges semblent donner une préférence à la proximité géographique et au voisinage pour réduire les coûts de transport, contrôler la qualité des produits, permettre le juste à temps et surtout assurer la sécurité des chaînes de valeur et la souveraineté. 

Ainsi voit-on se dessiner trois grandes « régions mondiales verticales » Nord/Sud, de plus en plus, autonomes. Le rapport de la CIA sur l’état du monde en 2040 parle de « silos séparés » de blocs économiques et de sécurité de taille et de force variable. C’est le fractionnement de la mondialisation et la relocalisation de la production au sein de trois ensembles : l’ensemble régional constitué respectivement par les deux Amériques, l’ensemble des pays d’Asie Orientale incluant le Japon, la Chine, les pays de l’ASEAN et l’Australie et, enfin, la grande région Verticale Afrique-Méditerranée-Europe. 

Cette dernière dont l’acronyme AME (l’âme qui donne du sens) est la plus en retard dans son intégration, (alors que l’intégration européenne est, elle, très élevée). Dans cette grande région verticale, le Maghreb devrait et pourrait constituer, comme le Mexique avec les Etats-Unis et le Canada, une base productive autour de la pétrochimie, de la mécanique, des engrais, des industries du verre, toutes gourmandes en énergie. Cette région et particulièrement l’Algérie pourrait devenir la « pile électrique » de l’Europe. Bipolarisation des clusters (ou jumelage entre clusters) et co-production entre entreprises de la région Verticale AME, déjà amorcées, viendraient en appui de ce mouvement. 

Oui, la réindustrialisation et les relocalisations sont possibles à la fois en France, en Europe et en Afrique. Cette région Verticale Nord/Sud ou Sud/Nord permet à un Président Africain averti de ces questions d’industrialisation de dire que « l’Europe est le partenaire naturel de l’Afrique alors que les Américains et les Chinois sont des partenaires occasionnels ». 

 

En somme, la grande région Afrique-Méditerrané-Europe a tout pour réussir mais reste en retard par rapport aux deux autres grands espaces (« quartiers d’orange ») américain et asiatique. L’alternative est claire : ou bien l’Afrique et l’Europe réussissent leur intégration économique régionale, ou bien l’Afrique se réduira à un objet de convoitise des deux autres et l’Europe gérera au mieux son déclin démographique. Gardons l’espoir : un monde nouveau est en marche même s’il est encore « à bas bruit » ; encore faut-il accélérer parce que l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare. Et comme le disaient les jeunes Algériens du mouvement HIRAK en 2020 : « Le temps perdu ne se rattrape pas ; c’est pourquoi il faut arrêter de perdre du temps ». Si l’Europe ne participe pas à l’industrialisation de l’Afrique du Nord, c’est la Chine qui poursuivra son implantation.

 

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