La France malade de son manque de prospective

Humeur n°220 -
Jeudi 28 Mars 2019 - Jean-Louis Guigou

Bernanos disait « L’Homme ne va bien que là où il va tout entier » c’est dire là où, dans la vie quotidienne, se mêlent l’action, la réflexion, les sentiments, les passions, le travail, le sport… et où harmonieusement s’articulent les références au « passé », la gestion du « présent » et l’anticipation de l’« avenir ».


Le triptyque passé/présent/futur est fondamental pour l’équilibre de nos vies et de celles des peuples.


Les élites et les scientifiques sont pressenties pour éclaircir l’avenir. L’Etat, les administrations et les politiques, défenseurs de l’intérêt général, proposent des visions, des plans, des programmes, des schémas, des prévisions, des scenarios, tant au niveau national que local. Le Chef de l’Etat quant à lui doit proposer une vision, un destin collectif, une espérance, un rêve ? Une épopée ? Car un peuple n’avance pas s’il ne sait pas où il va.


Chaque citoyen tâche alors de préparer « son » avenir et suit inconsciemment le précepte de Woody Allen « Je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai décidé de passer le reste de mes jours ».


Or tout cela n’existe pas. Tout cela n’existe plus dans nos sociétés contemporaines. Le court-terme envahit tous les champs du quotidien, le stress est permanent. La consommation immédiate dicte sa loi. L’échange et la communication internet imposent la réactivité instantanée.


Le présent ne laisse plus de place à la préparation du futur.


Les crises se succèdent : financière, désindustrialisation, migration, désertification médicale, crise hospitalière, du logement… Sans prospective et anticipation du futur, la société devient nerveuse, le monde politique est discrédité, les replis identitaires sécurisent, les corporatismes refleurissent, le passé est sollicité sur un mode nostalgique, le présent, surchargé d’émotions et des problèmes non résolus qui s’accumulent, devient invivable. Les groupes sociaux, avec juste raison, se cramponnent à leurs avantages acquis : un tien vaut mieux que deux tu l’auras, l’un est sûr, l’autre ne l’est pas… Les réformes « balancées » d’en haut au nom de l’intérêt général sont repoussées avec violence.


Ce trou noir que constitue notre avenir sans avenir déclenche l’incertitude, l’insécurité. La confiance se dérobe. C’est le retour des passions tristes (colère, envie, haine, mépris …).


La révolte grandit. Les populations appauvries, au bas de l’échelle sociale, qui plus que les autres ont besoin de rêver, se révoltent. Les gilets jaunes et les populismes sont là pour longtemps.

 

La France est malade de ses fractures sociales et territoriales, trop longtemps habituée à confier son destin à un Etat central unitaire et puissant. Or il est devenu impuissant, gangréné à son tour par le court-termisme. Pour reprendre les mots de PA Taguieff[1] il y a simultanément « faillite du progrès, éclipse de l’avenir et impuissance du politique ».


Dans l’urgence de la crise des gilets jaunes et des populismes rampants, le « grand débat » est un bon calmant, un premier regard attentif sur le mal d’avenir qui gangrène la France depuis longtemps.


Mais le grand débat ne va pas soigner le mal en profondeur. La somme des intérêts individuels ne fait pas un projet collectif et une ambition nationale.


Il faut mettre la société en état de produire collectivement et dans la durée son propre avenir.


L’Etat doit être Vertical pour le régalien. Mais le pouvoir doit être Horizontal pour le quotidien ! Entre les deux et avec les deux niveaux, les corps intermédiaires, syndicats, partis politiques, oh combien nécessaires pour exercer des contre-pouvoirs, participeront à la production de consensus.


Au niveau de l’Etat, toutes les administrations doivent réinvestir l’avenir et réintroduire le temps long dans les politiques publiques. Pourquoi ne pas organiser des grands débats ministère par ministère ? Il y a trop de fonctionnaires malheureux parce qu’inefficaces devant le gâchis des compétences et les gaspillages budgétaires ; trop de médecins et d’infirmiers désorientés, trop d’instituteurs et de professeurs démotivés, trop de chercheurs stérilisés…


Ministère par Ministère se pose la question : Que garde-t-on ? Que faut-il changer ? Qu’abandonne-t-on aux élus ou au secteur privé ?


Faut-il rassembler le Sénat (les territoires) et le Conseil Economique et Social (le temps long) comme le voulait le Général de Gaulle ?


Faut-il créer un Ministère d’Etat de la Prospective et du temps long qui fasse de la veille et de l’alerte permanente sur les grandes transformations scientifiques, économiques et culturelles ?


La double administration déconcentrée et décentralisée est onéreuse et inefficace. Ne faut-il pas inventer un fédéralisme à la française et transférer aux élus tout ce qui relève du quotidien : se loger, travailler, se déplacer, se soigner, s’instruire… Instaurer au niveau local, dans ces domaines des référendums d’initiative locale (pas sur le régalien). Mais, s’il y a un fort mouvement souhaitable de régionalisation/décentralisation/ responsabilisation locale, l’Etat central doit repenser en profondeur la fiscalité et instaurer comme en Allemagne une péréquation horizontale entre régions riches et régions pauvres.


Au niveau local, l’adhésion des français au grand débat exige de dépasser la phase expérimentale de découverte et d’écoute et les réponses immédiates, pour proposer des instances de concertation permanente et déboucher sur des actions collectives ; Notamment pour faire vivre les bassins de vie et les bassins d’emplois, préserver l’environnement tout en y créant des emplois. C’est au niveau local que se gagnera la transition écologique et la transition énergétique.


Les Conseils Economiques et Sociaux pourraient être l’Agora des débats collectifs. Le découpage aberrant, de certaines communautés de communes et Métropoles, de certaines régions est à repenser, à débattre et doit donner lieu à un référendum régional.


Mettre de l’ordre, clarifier, responsabiliser, réduire les gaspillages. Pourquoi, comme en Grèce, ne pas confier les compétences des Préfets de départements aux Présidents élus des Conseils Généraux ? Pourquoi ne pas adapter à la France le statut et le fonctionnement de la Poste libanaise qui crée des emplois et gagne de l’argent ? Etc…


Le temps est venu de transformer tous les français en disciples de Socrate : Penser autrement. Parler autrement. Agir autrement. Et de définir une ambition collective.


Sachant qu’il reste à définir une vision collective pour nous rassembler. Il n’y en a pas 36 ! Ce peut être l’Europe à refonder. Ce doit être l’écologie à imposer et l’Afrique à arrimer, car comme le disait F. Mitterrand « Sans l’Afrique, la France n’aura pas sa place dans le 21ème siècle. ».


Sachons créer "la Verticale" de l’espoir Afrique-Méditerranée-Europe, l’AME.

 

[1] Pierre André Taguieff – L’effacement de l’avenir » Ed. Galilée – Année 2000

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