La Nature se venge

Humeur n°228 -
Lundi 13 Avril 2020 - Jean-Louis GUIGOU

 

L'Humeur de Jean-Louis GUIGOU
______

 
La Nature se venge :
le grand retournement

 

 

C’était en 1983. J’étais responsable de la Prospective à la DATAR et participais à un congrès à Berlin. 

Une conférence a retenu mon attention « L’état du monde en 2040 ». Je m’y précipite ; un régal.

Deux scientifiques, un Allemand et un Américain, avaient construit un scénario sur cinquante ans, comparant la contribution à la production mondiale des pays de l’OCDE et celle d’une vingtaine de pays émergents (Chine, Russie, Inde, etc...) 

J’ai perdu les chiffres exacts mais à titre illustratif, j'indique ici de mémoire des ordres de grandeur approximatifs, et donc à considérer comme tels  :

 

Scénario d’évolution de la contribution
au PIB mondial 
des pays de l’OCDE
et des pays émergents

Contribution au PBI mondial


 1960


 1980


 2000


 2020


 2040

Pays
de l’OCDE

 70%

 60%

 50%

 40%

 70%

Pays émergents

 30%

 40%

 50%

 60%

 30%

 

En somme, les vieux pays occidentaux hégémoniques dans les années 1960 perdaient leur suprématie par suite du vieillissement et de la stagnation économique. En revanche, les pays émergents, avec des taux de croissance à deux chiffres, devenaient hégémoniques (sur le plan économique) en 2020 grâce à leurs richesses, à leurs jeunesses et à leurs élites de retour au pays.

Puis, subitement en 2040, la situation s’inversait : les pays de l’OCDE redevenaient hégémoniques et les pays émergents, sans tomber dans le déclin, étaient confrontés à des crises structurelles à répétition entravant leur développement.

 

Tous les auditeurs de cette conférence étaient surpris par ce retournement si rapide. Pourquoi donc un tel renversement ? Les deux scientifiques énoncèrent les motifs suivants…

Avec un taux de croissance à deux chiffres pendant quarante ans, les pays émergents avaient accumulé et non recyclé un trop grand nombre de de déchets – physiques, chimiques, humains, climatiques –, saccagé la Nature, détruit leurs civilisations et leurs cultures, défiguré leurs villes… La trop grande rapidité de la croissance économique se serait faite sans développement et aurait entraîné des désastres sanitaires, écologiques, sociaux et économiques. 

Ainsi, Les pays émergents auraient voulu faire en cinquante ans ce que le monde occidental a réalisé en un siècle et demi. À vouloir aller trop vite, ils se sont fourvoyés. En 2020, avec le Coronavirus venant de Chine, nous sommes peut-être arrivés à ce stade de retournement. La Nature et la Terre nourricière se vengeraient. À trop les maltraiter – avec des insecticides, des pesticides, des engrais, des bulldozers, la déforestation –, l’agriculture industrielle a détruit l’autorégulation des écosystèmes et libéré des virus, des bactéries et des insectes agressifs, mutants, dévastateurs. 

La liste commence à s’allonger avec les pandémies qui affectent les hommes – le SIDA en 1981, le SRAS en 2003, Ebola de 2013 à 2015, le Coronavirus en 2020 – mais aussi les animaux : vache folle en 1995, grippe aviaire en 2004, grippe porcine en 2014.

 

La Terre se venge. Il va falloir composer avec elle et trouver des compromis durables, avec moins de croissance et plus de développement. 

 

Jean-Louis GUIGOU

Paris, le 10 avril 2020

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