Algérie : un vote refuge?

Humeur n° -
Mercredi 30 Mai 2012 - Nicole Chevillard, Rédactrice en chef de Risques internationaux
Malgré la victoire du FLN aux législatives du 10 mai dernier, les deux grands vainqueurs de cette élection sont l’abstention et les femmes. Celles-ci remportent 145 sièges contre 317 pour les hommes. 
 
Après le vote sanction de 1991, le vote refuge de 2012 ? C’est, en tout cas, la signification que le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, donne à la victoire du FLN lors des législatives du 10 mai dernier. Il est vrai que les électeurs qui avaient massivement opté pour le FIS en 1991 ne se sont pas reconnus dans l’Alliance Algérie verte (AAV) de 2012, une alliance islamo-conservatrice dont les principales composantes participent au gouvernement depuis plus de dix ans et qui est tout sauf une force de changement ou d’assainissement de la vie politique locale. De surcroît, la légalisation récente d’une trentaine de partis peu connus sur le plan national a émietté le corps électoral sans le mobiliser vraiment. C’est donc l’abstention, y compris un grand nombre de votes nuls, qui remporte de facto ces élections législatives. L’abstention aurait probablement été plus élevée encore si le pouvoir – conscient qu’elle était la plus coriace de ses adversaires – n’avait tout fait pour la juguler. La pression exercée sur les fonctionnaires, en particulier sur la police et l’armée (avec des bureaux de vote spéciaux), a largement permis d’atténuer ce taux fatidique.
 
Mais la grande nouveauté est incontestablement l’entrée dans la nouvelle Assemblée de 145 femmes (contre 317 hommes) un nombre suffisant pour qu’elles n’y soient pas de simples potiches. On compte notamment 68 élues du FLN, 23 du RND (Rassemblement national démocratique, du Premier ministre sortant Ahmed Ouyahia), 15 de l’AAV, 10 du PT (Parti des travailleurs, de Louisa Hanoune) et 7 du FFS (Front des forces socialistes, de Hocine Aït Hamed). Or le Code de la famille avait été au centre de la campagne de la mouvance islamiste qui avait projeté de le durcir en cas de victoire le 10 mai, alors même qu’il n’est déjà pas en l’état des plus favorables aux femmes.

Bien qu’aucun sondage ne permette de l’affirmer, il est probable que nombre d’électrices se sont (dans le secret de l’isoloir) détournées du vote «vert» pour apporter leurs suffrages à une candidate de leur choix.

Il n’est cependant pas sûr que le pouvoir sortira renforcé de ce scrutin qui n’a pas été aussi transparent qu’annoncé. Seule une participation massive aurait permis de cautionner la démarche suivie, depuis un an, des réformes politiques à petits pas, sensées juguler la contagion des révolutions arabes : selon le président Bouteflika la nouvelle Assemblée populaire nationale sera chargée, de «parachever l’adaptation du système juridique national dans le sillage des réformes politiques». Mais ces réformes, déjà élaborées par le gouvernement sortant, n’ont guère marqué l’opinion algérienne, ni par leur nouveauté, ni par leur audace… Et aucune ouverture n’a été opérée en direction des syndicats autonomes qui restent soumis à l’arbitraire et aux intimidations, quand ce n’est pas à la répression pure et simple de ses militants.

Le pouvoir algérien s’est surtout protégé de la grogne populaire en multipliant les contre-feux: subvention des produits de bases pour contrer les émeutes de la faim, hausse des salaires dans la fonction publique, soutien aux entreprises publiques déficitaires pour éviter des faillites et leur cortège de licenciements… Cette orientation s’est traduite par une hausse de 35 % du budget de fonctionnement de l’État entre 2011 et 2012 et par une baisse parallèle de 30 % du budget d’équipement sensé préparer l’après-pétrole. Ce qui n’a pas empêché un nouveau déficit budgétaire, que vient année après année combler un Fonds pour les générations futures, qui s’apparente de plus en plus à un Fonds pour le soutien du pouvoir actuel.
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