#Covid-19 | La crise du coronavirus est une sorte de crash test mondial sur notre rapport à l’État, aux solidarités, à l’Europe et à l’Afrique…

Humeur n°237 -
Dimanche 19 Avril 2020 - Pierre BECKOUCHE

#Covid-19 | La crise du coronavirus est une sorte
de
crash test mondial sur notre rapport à l’État,
aux solidarités, à l’Europe et à l’Afrique…



par Pierre BECKOUCHE

Professeur des universités, 

Paris 1 Panthéon Sorbonne



La crise du coronavirus est le troisième événement global du XXIe siècle, après le 11 septembre 2001 et la crise financière de 2008-2011. Sa dimension globale est encore plus frappante, car les deux premiers avaient eu des impacts variés dans les différentes parties du monde.

Le Covid-19 est plus spectaculairement global parce qu’il explose en même temps partout. Ses formes sont très semblables et saisissantes, puisque le confinement généralisé contredit l’axiome des sociétés contemporaines : la liberté, notamment sa manifestation la plus sensible à chacun, puisqu’il s’agit de la liberté de circuler. Le monde d’images qu’est devenu notre société de l’information fait circuler ce monde à l’arrêt d’une façon qui frappe les esprits ; en comparaison, les mécanismes des subprimes étaient autrement difficiles à comprendre. 

 

Il serait bon qu’Ipemed mette sur pied un dispositif simple d’observation de ce qui va se passer, en tirant parti de son réseau international. Car ce qui vient sera sans doute plus impressionnant encore que ce que nous vivons depuis deux mois. La crise du coronavirus est une sorte de crash test mondial, qui cristallise une série d’interrogations profondes et de conflits qui étaient dans l’air ; le virus les convoque en un instantané qui en fait un moment historique. Voir quelles réponses en Europe, en Méditerranée et au Sud du Sahara vont être apportées aux questions suivantes, serait du plus grand intérêt. 

 

1) Sur les relations sociales : nous savons que, depuis le début du siècle, un modèle fondé sur la mutualisation émerge à côté du modèle dominé par la compétition. La solidarité qui se manifeste depuis deux mois au sein des villes, des quartiers et des pays, va-t-elle crédibiliser le premier aux dépens du second ? 

 

2) Sur le giga-endettement public né de cette crise : les solutions iront-elles vers l’inflation, ce qui serait une redistribution majeure des cartes entre rentiers et non rentiers, entre vieux et jeunes ? Ou bien vers une nouvelle austérité ? Ou bien le remboursement de la dette sera-t-il l’occasion de réformes fiscales mettant enfin au même niveau revenus du capital et revenus du travail ?  Ces solutions varieront-elles en Europe ? Entre l’Europe et l’Amérique du Nord ? Entre Nord et Sud ? 

 

3) Sur les relations internationales : le « gagnant » de la crise paraît être un acteur longtemps décrié, l’État, avec des réussites inspirantes comme celle de l’État sud-coréen. Le débat public des années qui viennent va-t-il se concentrer sur son efficacité, notamment celle de son système de santé, sur ses insuffisances, va-t-on plutôt se diriger vers la promotion des réponses locales aux crises, comme ce qu’on voit se dessiner dans une confusion entre enjeux sanitaires et environnementaux qui trouveraient une sorte de panacée dans l’hyper localisme ? Cette focalisation sur l’échelon local et national va-t-elle faire passer les relations internationales, et surtout la globalisation, au second rang ? 

 

4) Sur l’Europe : absente de la scène du Covid, l’Union européenne va-t-elle poursuivre son recul, peut-être séparer définitivement les pays « sérieux » du Nord (Allemagne comprise) et les pays du Sud dont les systèmes sanitaires ont été débordés et les morts si nombreux ? Ou bien, au contraire, la crise sera-t-elle l’occasion d’une grande avancée communautaire : promotion d’un pacte fiscal juste, eurobonds pour mutualiser les dettes publiques, protection de nos préférences régionales collectives face aux Chinois et aux Américains, relance commune sur les enjeux clés : environnement-santé, biotech, numérique ? Cette avancée associera-t-elle les partenaires sud-méditerranéens ? 

 

5) Sur l’Afrique : le virus va-t-il faire plonger le Continent, ou bien est-il protégé par la jeunesse de sa population et ses faibles densités en dehors des grandes villes ? La réponse sanitaire passera-t-elle par la coopération internationale, au sein de l’Afrique, entre l’Europe et l’Afrique ? 

 

6) Sur notre rapport au temps : les différentes sociétés du monde continueront-elles leur course folle vers le court terme dicté par la puissance de l’individualisme, ou bien seront-elles amenées à redécouvrir les nécessités du long terme ? Voilà qui devrait intéresser un institut de prospective…

 

Pierre BECKOUCHE

19 avril 2020

 

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