#Covid-19 | Les impasses des chaînes globales de valeur agro-industrielles et l’impératif de systèmes alimentaires territorialisés

Humeur n°237 -
Dimanche 19 Avril 2020 - Jean-Louis RASTOIN

#Covid-19 | Les impasses des chaînes globales
de valeur agro-industrielles

et l’impératif de systèmes alimentaires territorialisés


par Jean-Louis RASTOIN

Professeur honoraire à Montpellier SupAgro
Membre de l'Académie d'Agriculture de France



L’insécurité alimentaire qui frappe près de 40 % de la population mondiale, du fait d’un manque de nourriture ou de sa mauvaise qualité, risque de s’aggraver avec la pandémie du Covid-19. En effet, cette pandémie compromet le bon fonctionnement des filières d’approvisionnement et la santé publique. Les filières agroalimentaires ou « chaînes globales de valeur » avec la mondialisation des marchés se sont spécialisées, intensifiées, fragmentées et financiarisées. Ce mouvement les rend vulnérables aux chocs économiques et sanitaires. 

Les marchés agricoles sont instable,s comme en témoignent les violentes secousses de 1974, 1986, 1996 et 2008. Ces marchés, pilotés par les bourses « spot » (Chicago, Londres), réagissent aux prévisions spéculatives des opérateurs, amplifiant les variations de prix. Il en résulte, pour les consommateurs, de fortes hausses de prix déclenchant des « émeutes de la faim », et pour les exploitations agricoles et les PME agroalimentaires, une forte instabilité des revenus. À ces défaillances de marché s’ajoutent, en 2020, les perturbations dans les réseaux logistiques et l’emploi, du fait des décisions de confinement et de fermeture de frontières.

Le choc sanitaire est probablement plus préoccupant encore que le choc économique. Dans le contexte de la pandémie covid-19, la malnutrition est un facteur aggravant des pathologies respiratoires. L’obésité et le diabète de type 2 fragilisent l’organisme et compliquent beaucoup le traitement du syndrome restrictif de la respiration. La progression des maladies chroniques d’origine alimentaire, au Nord comme au Sud, s’explique notamment par la médiocre qualité nutritionnelle de produits du type « aliments ultra-transformés » (AUT). Les épizooties de 1995 et 2000 (encéphalopathie bovine), de 2004 (grippe aviaire H5N1), de 2014-2020 (peste porcine africaine) ont souvent une origine virale, impactant d’autant plus les élevages qu’ils sont de plus en plus industrialisés et concentrés.

 

Ces crises, qui viennent s’ajouter à la dégradation des ressources naturelles (terre, eau, biodiversité) et au dérèglement climatique, questionnent directement le système alimentaire agro-industriel aujourd’hui dominant dans les pays à haut revenu et émergents.

Les diètes alimentaires patrimoniales (par exemple la diète méditerranéenne) pourraient constituer le socle de la construction de systèmes alimentaires territorialisés (SAT), fondés sur le triptyque autonomie, proximité, solidarité, et – de ce fait - plus résilients aux crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales. 

Mobilisant l’agroécologie, la bioéconomie circulaire et une gouvernance participative, de tels systèmes ont la capacité d’assurer un développement local durable par la reconquête du marché intérieur, mais aussi par l’exportation sur un marché international très porteur pour les produits de terroir. Ils devraient contribuer à réduire les fractures territoriales en revitalisant les espaces ruraux1.

 Une nouvelle politique agricole et alimentaire commune Afrique-Méditerranée-Europe, fondée sur des SAT en réseaux de co-développement, est attendue pour dépasser la crise en cours.

 

1 - Voir, pour des recommandations d’actions, le rapport du groupe de travail « Transition alimentaire, filières et territoires » de l’Académie d’Agriculture de France : https://www.academie-agriculture.fr/publications/publications-academie/avis/rapport-transition-alimentaire-pour-une-politique-nationale

 

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