DES RISQUES DE PERDRE LA TURQUIE

Humeur n° -
Mercredi 22 Septembre 2010 - Akram Belkaïd
Ankara affiche une croissance florissante. mais les négociations pour son adhésion à l’UE piétinent et le chef de la diplomatie, Ahmet Davutoglu, a fait connaître son mécontentement.

Les chiffres ont de quoi faire rêver nombre de dirigeants européens… Au deuxième trimestre 2010, le produit intérieur brut (pib) turc a enregistré une croissance de 10,3% en rythme annuel contre 11,7% pour les trois premiers mois. Au final, le taux de croissance pour cette année devrait être de 6% voire de 7 %. Pour nombre d’experts, ces performances placent la Turquie parmi les économies les plus dynamiques de la planète. Elles confirment aussi le choix des analystes de la banque hsbc qui, depuis avril dernier, incluent la Turquie – et l’Égypte – parmi les Civets, c’est-à-dire les pays émergents les plus prometteurs pour la décennie à venir (1).

Cette bonne santé économique constitue évidemment un argument de poids pour tous les partisans de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE). En effet, quoi de mieux pour une Europe à la croissance atone qu’un nouveau membre aussi fringant et capable d’afficher des taux de croissance proches de ceux des fameux Bric (2) ? Mieux, l’essor turc à l’Est et au Sud de ses frontières démontre que l’Europe aurait tout à gagner de cette adhésion. Cela lui permettrait de conforter son influence économique mais aussi politique dans une zone qui s’étend des rives de l’Atlantique à celles de l’Euphrate. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre au Nord de la Syrie et de voir à quel point la suppression récente des visas par la Turquie a dopé l’activité commerciale et industrielle de cette sous-région méditerranéenne.

TERGIVERSATIONS

Pourtant, l’UE continue de tergiverser. Ouvertes le 3 octobre 2005, les négociations entre Ankara et la Commission européenne traînent en longueur à tel point que de nombreux dossiers n’ont même pas encore été ouverts. Le 11 septembre dernier, la Turquie a fait connaître son mécontentement auprès de Bruxelles en dénonçant, par la voix du chef de sa diplomatie Ahmet Davutoglu, le rythme trop lent de ces négociations. Dans le même temps, Ankara voit d’un mauvais œil certaines initiatives européennes qu’elle assimile à des manœuvres dilatoires pour faire capoter sa candidature. C’est le cas du « dialogue stratégique  » que propose l’UE à la Turquie ainsi que du « partenariat privilégié » que défendent la France et l’Allemagne en lieu et place de l’adhésion.

Quant à l’Union pour la Méditerranée (upm), elle n’est certes pas, du moins officiellement, une alternative à l’adhésion de la Turquie à l’Europe. Néanmoins, elle court le risque d’être une victime collatérale de l’immobilisme européen. Rejetée par l’Europe, la Turquie n’aura que faire de l’upm et se tournera alors vers ses zones traditionnelles d’influence que sont le Proche- Orient et l’Asie mineure. Une perspective dont la Méditerranée pourrait faire les frais car l’upm a besoin de la Turquie. En juin 2010, Les États-Unis ont reproché à l’Europe d’avoir éloigné la Turquie de l’Occident. On peut aussi se demander si les pays de la rive sud de la Méditerranée ne vont pas accuser un jour l’Europe d’avoir torpillé la construction euro-méditerranéenne en boudant la Turquie.

(1) Civets désigne la Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Égypte, la Turquie et l’Afrique du Sud (South Africa).

(2) Brésil, Russie, Inde et Chine.

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