Gérard Mestrallet : "Les bouleversements actuels peuvent générer des opportunités"

Humeur n° -
Lundi 12 Décembre 2011 - Propos recueillis par Agnès Levallois
Gérard Mestrallet va quitter au mois de décembre la présidence du Conseil de surveillance d’Ipemed. À cette occasion, il nous livre le bilan de cette activité et fait le point sur la stratégie de son groupe dans le Bassin méditerranéen.

SUEZ est née de la fabuleuse aventure du creusement du Canal de Suez. En quoi l’entreprise que vous présidez aujourd’hui en est-elle héritière ?

C’est avant tout l’esprit visionnaire et entrepreneurial qui constitue l’héritage légué par la Compagnie de Suez. Aujourd’hui, GDF SUEZ conserve cet esprit novateur avec, à l’image du Canal de Suez, des projets durables dans le temps et responsables, qui apportent aux populations ce qui est indispensable à leur développement (énergie, eau, propreté…), tout en respectant l’environnement.
GDF SUEZ inscrit la croissance responsable au coeur de ses métiers pour répondre aux besoins en énergie et assurer la sécurité d’approvisionnement, tout en luttant contre les changements climatiques et en optimisant l’utilisation des ressources. Le groupe est aujourd’hui le premier producteur indépendant d’électricité dans le monde, avec un parc de production électrique flexible et peu émetteur de co2, le premier acheteur de gaz naturel et fournisseur de services d’efficacité énergétique et environnementale en Europe.

La Méditerranée occupe-t-elle une place particulière dans votre politique de développement international ?

GDF SUEZ est né de la fusion de deux entreprises déjà présentes dans le Bassin méditerranéen. C’est une région stratégique pour le groupe. Nous sommes implantés dans la quasi-totalité des pays de la zone. Nous avons des projets dans l’exploration et la production de gaz, en Égypte et en Algérie notamment, dans les énergies renouvelables comme l’éolien au Maroc, au Portugal, en Italie, en Égypte et en Espagne. Nos perspectives de développement concernent également les services à l’énergie ou la gestion de l’eau et des déchets, comme c’est le cas en Algérie, avec le contrat de gestion des eaux d’Alger, ou au Maroc et en Égypte.

La Fondation GDF SUEZ a des projets humanitaires et sociétaux, en Égypte et au Maroc par exemple. Lors de mon dernier déplacement en Tunisie, je me suis engagé à ouvrir un bureau de la Fondation Agir contre l’exclusion (Face) dans ce pays. Le but est de transposer le travail fait en France par les entreprises et les organismes partenaires de Face, pour les aider à répondre aux défis économiques et sociaux issus du mouvement démocratique.

Quels sont les enjeux énergétiques et environnementaux en Méditerranée ?

Le pourtour méditerranéen compte un peu plus de 470 millions d’habitants et en comptera environ 570 millions en 2030. Selon l’Observatoire méditerranéen de l’énergie (ome), la demande d’électricité pourrait y augmenter de 80 % d’ici à 2030. Les pays de la région vont devoir faire face à de nombreux enjeux et l’énergie est au centre de ces problématiques, d’autant plus que les pays de la rive sud sont inégalement dotés en ressources énergétiques et qu’elles s’épuisent.

Par ailleurs, la région pourrait être l’une des plus exposées au changement climatique et surtout aux éventuelles pénuries d’eau. Il faut pouvoir proposer aux Etats et aux populations des solutions durables. Le potentiel en termes d’énergie solaire ou éolienne, de dessalement d’eau de mer, est encore peu exploité. Dans le cadre du Plan solaire méditerranéen ou des réflexions engagées par l’upm et IPEMED, des pistes sont tracées. Il faut y travailler.

Quel bilan tirez-vous de votre stratégie dans le domaine de l’exploration et la production et le gaz naturel liquéfié (GNL) avec le développement du permis gazier de Touat en Algérie et au Qatar ?

Nous sommes satisfaits de l’ensemble des projets engagés en Algérie, comme au Qatar, avec nos divers partenaires.
Depuis les années 1960, nous coopérons avec l’Algérie dans le GNL. Nous travaillons actuellement sur le projet de Touat (Sud-Ouest algérien). En mars 2010, nous avons lancé le groupement TouatGaz, une association créée par Sonatrach et GDF SUEZ, pour développer et exploiter ce permis gazier. C’est un projet majeur du groupe. À terme, le site de Touat devrait produire chaque année 4,5 Gm3 de gaz naturel. Le début de la production est prévu pour 2015.
Il en est de même pour l’Égypte et le Qatar qui détient les troisièmes réserves mondiales de gaz naturel. GDF SUEZ y est devenu opérateur dans l’explorationproduction en 2009.

Les bouleversements que connaît la région depuis un an vont-ils avoir un impact sur votre stratégie ?

Il est évident qu’à court terme, les Printemps arabes peuvent engendrer des facteurs d’incertitude (changement de gouvernement, maintien ou non des projets d’infrastructures, révisions constitutionnelles ou contractuelles…).
Mais les mouvements actuels peuvent générer un grand nombre d’opportunités. Le cas de la Tunisie en est une parfaite illustration.

En tant que Méditerranéen convaincu, quel voeu formez-vous pour la région ?

Le temps de la Méditerranée est arrivé. C’est une chance pour l’Afrique mais aussi pour l’Europe. Je souhaite que les mouvements engagés dans la région puissent aller au bout de leur processus, même si cela prend du temps. Il faut faire confiance aux jeunes générations. Pour éviter toute forme de désenchantement, l’un des principaux enjeux est celui de la reprise économique. C’est une condition essentielle pour le succès de ces révolutions. Mon souhait est que les nouvelles autorités réforment profondément leurs systèmes économiques afin de garantir la sécurité et la transparence des investissements engagés par les entrepreneurs locaux et étrangers. Ces réformes devraient conduire au désenclavement économique, favorisant ainsi la lutte contre l’exclusion.
De notre côté, nous pouvons espérer que les futurs dirigeants de ces pays renforcent la dynamique d’intégration régionale sud-méditerranéenne et que le processus de l’Union pour la Méditerranée franchisse une nouvelle étape.

Vous êtes membre fondateur d’Ipemed depuis la création de cet Institut. Qu’est ce qui a motivé cet engagement ?

Je crois au potentiel économique, social et culturel de la région. Nous avons tous à gagner si le pourtour méditerranéen devient une zone d’interface et d’échanges. L’initiative entreprise par Jean-Louis Guigou et ses partenaires permet de mettre en valeur  l’importance d’une coopération euro-méditerranéenne renforcée. Les événements survenus nous encouragent à la poursuivre.
Mon choix d’accompagner ce mouvement d’Ipemed est un devoir personnel de citoyen et de chef d’entreprise.
Je tiens à saluer l’engagement des partenaires et des entreprises qui ont contribué à faire de cette initiative un réel succès.
Ipemed a la difficile mission de mobiliser, coordonner et encourager toute action ou projet visant à une meilleure intégration régionale. Si l’Europe communautaire s’est formée sur des valeurs et des initiatives économiques et politiques, l’espace méditerranéen doit pouvoir compter sur les mêmes engagements pour se construire et se développer.

Vous quittez en décembre prochain la présidence du Conseil de surveillance d’Ipemed, quel bilan tirez-vous de ces deux ans d’activité ?

Tout d’abord, je salue le travail entrepris. La renommée et le niveau de sollicitation de cet institut témoignent aujourd’hui de la réussite du projet.
Depuis quelques années, nous sommes nombreux, dirigeants d’entreprise ou d’association, à encourager Ipemed à produire des idées nouvelles et des études sur des sujets concrets tels que l’eau, l’énergie, la santé, l’éducation…
De nombreuses entités du Sud de la Méditerranée nous ont rejoint. Ipemed est désormais capable de faire des propositions concrètes et de préconiser des orientations pour favoriser l’intégration régionale, infléchir les politiques publiques pour rapprocher par l’économie les deux rives de la Méditerranée.
Le bilan que je tire de ces deux années c’est la richesse autour de la création d’un savoir dans tous les domaines (revues, publications, rencontres…), et toutes les initiatives dont Ipemed a été le promoteur et le catalyseur, telles que l’EMCC, l’Euro-mediterranean Competitiveness Council. Ce club international de dirigeants d’entreprises entend influencer les chefs d’État et de gouvernement. Il est appelé à devenir le véritable porte-voix des entreprises pour construire, par l’économie, une Méditerranée productive, durable et solidaire.

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